Le Protévangile de Jacques est une sorte d'harmonie composée à partir des quatre évangiles...

À sa manière, il s’agit d’une harmonie, composée à partir de Matthieu et de Luc, mais en se référant aussi à Marc et Jean. Le titre, qui n’est pas d’origine, lui a été conféré par Guillaume Postel parce qu’il se présente lui-même comme rédigé par Jacques et qu’il traite des faits qui précèdent l’activité et même la naissance de Jésus. Il se compose de trois parties (EAC I, p. 73-104).

Première partie : Marie
On y apprend comment ses parents, Joachim et Anne, un couple riche de Jérusalem, étaient privés d’enfants. La naissance de Marie est donc miraculeuse. À six mois, elle est placée dans un sanctuaire créé pour elle dans la maison paternelle. À trois ans, elle est conduite au temple, accompagnée des vierges d’Israël, pour y vivre, conformément à la promesse faite par sa mère de consacrer son enfant. À l’âge de douze ans, on recherche un veuf à qui la confier. C’est Joseph qui est miraculeusement désigné, lui qui est un vieillard ayant déjà des fils. Quand les prêtres décident de confier la fabrication du voile du temple à des vierges de la tribu de David, Marie se voit attribuer le filage de la pourpre. À partir de là, l’auteur s’inspire des récits de Mt et de Lc 1–2, non sans prendre de réelles libertés avec ces sources : annonciation ; visitation à Élisabeth, chez qui Marie passe trois mois.

Alors que Marie est enceinte depuis six mois, Joseph rentre d’un chantier éloigné ; il découvre la grossesse, se lamente, décide de répudier Marie. Tous deux sont accusés devant le grand prêtre d’avoir eu des relations sexuelles, mais ils sont soumis à une ordalie qui les innocente.

Deuxième partie : naissance de Jésus
Vient le recensement. Joseph, ses fils et Marie se rendent de Jérusalem à Bethléem. Mais Marie sent qu’elle va accoucher. Joseph la place dans une grotte, le temps d’aller quérir une sage-femme. Cependant, le cosmos entier cesse de se mouvoir, marquant, comme lors de la mort de Jésus, son association au grand événement qui se produit. La sage-femme vient mais n’a pas à intervenir, car la naissance se produit derrière une nuée qui se dissipe pour faire place à une grande lumière. Intervient Salomé (celle de Mc 15,40 et 16,1), qui déclare ne pouvoir croire qu’une vierge a enfanté que si elle le vérifie physiquement. Ce qu’elle fait, montrant ainsi que Marie est encore vierge après l’accouchement.

Troisième partie : intervention Hérode
On y lit le récit de l’intervention des mages et du massacre des enfants. Marie dissimule alors Jésus dans une mangeoire à bétail ; la fuite en Égypte n’est pas évoquée. De son côté, Élisabeth parvient à cacher Jean grâce à une montagne qui s’ouvre miraculeusement. Zacharie, son père, est mis à mort pour ne pas avoir révélé la cachette de son fils. Il est remplacé dans le sacerdoce par Syméon, le vieillard de Lc 2,26.

Virginité et noblesse de Marie
L’intention principale de cet évangile est d’affirmer la virginité de Marie. Elle l’est par vocation, du fait de sa consécration par ses parents. Dès son enfance, elle est mise à part et entourée de vierges d’Israël. Vierge, elle le sera toujours lorsqu’elle sera confiée à Joseph, un vieillard qui a déjà des enfants, ce qui explique que ceux qui passent pour les frères de Jésus ne sont pas en réalité les enfants de Marie. Vierge, elle le restera après son accouchement, de sorte que le texte affirme, de manière narrative, la virginité perpétuelle de la Mère de Jésus. Cette conviction n’a peut-être pas été forgée par l’auteur de l’évangile, mais celui-ci a contribué à la diffuser, dès la seconde moitié du IIe s., puisqu’on situe généralement sa rédaction vers 170.

Au delà de sa virginité, le « Protévangile de Jacques » s’attache aussi à mettre en évidence la noblesse de Marie. Ses parents sont des riches de Jérusalem. C’est elle qui est de descendance davidique. Sa naissance est miraculeuse. Elle n’enfante pas à proximité des animaux d’un caravansérail, mais dans une grotte illuminée, et ce n’est que pour cacher Jésus qu’elle le place dans une mangeoire. Les bergers ne viennent pas la visiter, mais seulement les mages. Et elle ne prononce pas le « Magnificat », mais seulement ces paroles : « Toutes les générations de la terre me proclament bienheureuse. »

Prise de position dans un débat
Sur ces deux points, le « Protévangile » prend position dans un débat au sujet de Marie.

Sa virginité tout d’abord. Elle fut affirmée par Matthieu et Luc, mais elle était contestée par ceux des juifs qui reconnaissaient le Christ en Jésus, en particulier les ébionites, mais aussi par les juifs eux-mêmes (voir Justin, « Tryphon » 48,4 ; Irénée de Lyon, AH III, 21,1). La contestation portait en particulier sur la traduction et l’interprétation d’Is 7,13-14, qui évoque d’ailleurs précisément un débat : « la vierge est enceinte » dans le grec des Septante ; « la jeune femme est enceinte » dans l’hébreu. Le Protévangile rejoint, ce faisant, les affirmations d’autres apocryphes qui évoquent également un débat à ce sujet et le fait que la Vierge Marie a accouché miraculeusement et sans l’aide d’une sage-femme : « Ascension d’Isaïe » 11,12-14 ; « Odes de Salomon » 19,6-9 ; « Actes de Pierre » 24.

La qualité de Marie ensuite. Le « Protévangile » semble répondre aux accusations proférées par des païens, et dont on trouve un écho sous la plume du philosophe Celse : Marie était une pauvre fileuse ; mise enceinte par un soldat et convaincue d’adultère, elle fut chassée par son mari, charpentier de son état ; elle donna naissance à Jésus en secret ; celui-ci fut obligé, par pauvreté, d’aller louer ses services en Égypte où il acquit des pouvoirs magiques et d’où il revint tout enorgueilli et se proclama dieu (Celse, « Discours véritable », cité par Origène, « Contre Celse » I, 28.32). Les choix et les réorientations du récit du « Protévangile » par rapport à ceux de Matthieu et de Luc contribuent à répondre à ces accusations.

Rapports avec l’A. T
L’auteur du « Protévangile » rédige une harmonie, d’ailleurs libre et théologiquement orientée, de Mt et Lc 1–2. Mais il exploite aussi Mc et Jn, par exemple pour l’épisode de l’incrédulité de Salomé. Il s’inspire aussi de faits de l’A. T., tel le récit de la naissance de Marie qui renvoie à celui de Samuel (1 S 1,1 – 2,11) et à la parenté miraculeuse d’Abraham et Sarah. Sans le dire explicitement, il établit trois sortes de préfigurations : entre des faits de l’A. T. et ceux qui concernent Marie et Jésus, entre la naissance et l’enfance de Marie et celles de Jésus, entre la naissance de Jésus et sa mort.

La référence à l’A. T. et aux quatre Évangiles est donc clairement assumée. D’ailleurs, certains détails du récit ne sont compréhensibles que si l’on connaît la tradition scripturaire sous-jacente, que l’auteur la confirme ou, au contraire, s’en démarque. Mais, en même temps, on observe que cet auteur prend de grandes libertés avec cette tradition.

Antiques traditions
Le « Protévangile » intègre en outre des traditions non attestées dans les Évangiles canoniques, mais connues par ailleurs. Ainsi la naissance dans une grotte, connue, peu avant, de Justin et évoquée plus tard par Origène, qui précise que l’on voit, de son temps, à Bethléem « la grotte où Jésus est né, et, dans la grotte, la mangeoire où il fut enveloppé » (Justin, « Tryphon » 78,5 ; Origène, « Contre Celse »I, 51).

L’auteur ignore à la fois le judaïsme (il n’y avait pas de vierges consacrées au Temple en Israël) et la topographie de la Palestine, ce qui exclut une connaissance de cette région, mais ne fournit pas d’indication positive sur l’origine du « Protévangile de Jacques ».


© Jean-Marc Prieur, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 148 (juin 2009), "Les écrits apocryphes chrétiens", pages 32-34.