Le Quatrième évangile s’ouvre sur une sorte de préface habituellement appelée "prologue"...

Lecture de Jn 1,1-18
[Nativité du Seigneur - Messe du jour

Nous n’entrons pas directement dans le récit évangélique par l’enfance de Jésus (comme Matthieu ou Luc) ou par son entrée dans la vie publique une fois adulte (comme Marc). Le Quatrième évangile s’ouvre sur une sorte de préface non signée, beaucoup plus développée que les débuts des œuvres de Marc (Mc 1,1) ou de Luc (Lc 1,1-4), habituellement appelée " prologue ".

Ce prologue, écrit en style poétique, introduit certes à la lecture de tout l’évangile, mais il en est aussi une relecture. Placé au début du récit, il le précède, mais, d’une certaine façon, il le suit car il est vraisemblablement issu d’une réflexion postérieure sur la théologie johannique. Il est " pro-logue ", car il est situé avant tous les mots et paroles de l’évangile, mais il est en même temps " pro-Logos ", s’il l’on peut dire, car c’est une hymne entièrement en faveur (grec " pro-") du " Logos " (Verbe ou Parole).


Lecture d’ensemble

Le prologue n’est ni un plan de l’évangile, ni un résumé. Tout ce qu’il contient n’est pas repris dans l’ordre, ni tel quel, dans le Quatrième évangile. En effet, certains mots, pourtant centraux, sont absents du corps du récit. Ainsi le " Logos " préexistant et créateur, le " plérôme " (la plénitude) et la " grâce " (v. 14, 16 et 17) ne se retrouvent pas après 1,18. On pourra lire le terme " logos " (au singulier ou au pluriel) dans le corps de l’évangile de Jean, mais ce sera dans un autre sens, plus commun, celui de " parole " ou de " mots " (2,22 ; 4,39 et ailleurs). D’autre part, le prologue ne décrit pas les différents événements de la vie de Jésus, laissant ce soin à l’évangile. Ainsi, même s’il est question du non-accueil du " Logos " par le monde ou par les siens, la croix en tant que telle n’est pas mentionnée.

Cependant, malgré son style différent et même si, dans l’histoire de la formation du Quatrième évangile, cette hymne était peut-être indépendante, elle est actuellement bien unie à l’ensemble de l’écrit qu’elle introduit. La divinité du " Logos " incarné en Jésus, annoncée au début et à la fin du prologue (Jn 1,1 et 1,18), forme une inclusion avec la fin de l’évangile lorsque Thomas reconnaît le Ressuscité comme son " Seigneur et Dieu " (Jn 20,28). En outre, la plupart des termes et thèmes présents dans ces premiers versets se retrouvent dans l’évangile, ainsi : la " vie ", la " lumière " et le dualisme " lumière / ténèbres ", le " monde ", la " gloire ", les verbes " croire ", " connaître ", " naître ". Une même théologie parcourt donc l’évangile johannique de la première phrase du prologue à la dernière de l’épilogue (Jn 21).

Dès ses premiers mots, le prologue nous situe avant la création du monde avec un solennel " Au commencement " (Jn 1,1) qui renvoie à la Genèse (Gn 1,1). Il se termine par l’affirmation de la possibilité de connaître Dieu grâce à la révélation ou au récit que fait de lui le Fils unique. C’est ainsi toute l’histoire du salut, depuis les origines jusqu’à l’Incarnation, en passant par le don de la Torah à Moïse au Sinaï, qui est décrite en quelques traits et nous aide à comprendre le Salut amené par Jésus.

Au fil du texte

1) Le " Logos " est le centre des premiers versets. Son identité est précisée : il était " au commencement ". Il est " tourné vers Dieu ". Il est Dieu. Puis, on va apprendre que c’est par lui que tout a été créé et, finalement, qu’il " plante sa tente " parmi les hommes et s’incarne dans un être humain. Ce qui est dit du " Logos " rejoint la présentation de la Sagesse dont parlent le livre des Proverbes (8,12-31) et le Siracide (24,2-29). Dans ces deux passages, la Sagesse, telle une personne, prend la parole pour dire qui elle est : Première-née de toutes les créatures, elle était engendrée avant que les collines et les montagnes ne soient dessinées. Elle est sortie de la bouche du Très Haut. Elle est présente à la création quand Dieu établissait les cieux, elle agit au cours de l’histoire de l’humanité et a dressé sa tente au milieu du peuple de Dieu. Comme le " Logos ", la Sagesse est proche de Dieu. Elle est présente à ses côtés, mais, différemment de la Sagesse, le " Logos " n’est pas seulement proche de Dieu et en relation avec lui, il est Dieu lui-même.

2) Le " Logos " est vie et lumière. Le premier jour de la Genèse, la lumière est créée par Dieu qui sépare ensuite la lumière des ténèbres (Gn 1,3-4). C’est le premier des actes créateurs qui préparent les conditions de la vie pour l’être humain créé le sixième jour. Le prologue identifie le " Logos " avec la vie et la lumière et précise que celle-ci brille dans les ténèbres. Quant à ces dernières, elles sont incapables de saisir la lumière. C’est déjà l’annonce de la victoire sur le mal.

3) Jean est présenté comme un homme " envoyé de la part de Dieu ". C’est un honneur qui est réservé à Jésus (Jn 3,17) et à l’Esprit (Jn 14,26) dans le Quatrième évangile. Nommé deux fois dans le prologue et présenté de cette façon, Jean le Baptiste pourrait être pris pour celui qu’il n’est pas. Voilà pourquoi le prologue précise tout de suite que Jean est témoin de la lumière et, plus explicitement, qu’il n’est pas la lumière. Puis, après la mention de l’Incarnation et de la gloire du Père que nous pouvons désormais voir en Jésus (v. 14), le témoignage et la proclamation de Jean sont donnés en style direct : " Lui qui vient derrière moi, il a pris place devant moi, car avant moi il était " (v. 15).

4) La non-acceptation du " Logos " semble être générale : Il n’est pas reconnu par le monde (= l’humanité) dans lequel il était présent, il n’est pas reçu par " les siens " (pas seulement son peuple, mais aussi toutes les nations) vers lesquels la Lumière est venue. Cependant, une note d’espérance apparaît tout de suite après ces affirmations. Il est question en effet d’accueil du " Logos " et de possibilité de devenir enfants de Dieu. On passe donc d’un rejet qui semble général à un accueil qui commence par un " tous " (" tous ceux qui l’ont reçu ").

5) Paul emploie souvent le terme " chair " pour qualifier ce qui, dans la personne, est le siège du péché et opposé à l’Esprit. Ce n’est pas le cas dans le Quatrième évangile, où il faut voir sous ce mot le substrat sémitique. Le terme " chair " n’a pas donc un sens négatif, mais désigne l’être humain mortel, corruptible, limité. Dès lors quand le prologue dit : " Le Logos est devenu chair ". Il signifie que le " Logos " a assumé pleinement notre humanité. Il n’a pas pris l’apparence d’un homme. Il était homme de la naissance jusqu’à la mort à laquelle il n’a pas échappé.

6) Le don de la Loi est lié à la grâce de la vérité. L’incarnation du " Logos " est présentée comme une grâce après une autre grâce. Dieu ne limite pas ses dons. Au don de la Torah ou Loi du Sinaï transmise par Moïse s’ajoute un autre don, celui de la " vérité ". Dans la Bible, la vérité n’est pas une idée ou un concept, mais la fidélité de Dieu à sa parole, à ses promesses. La vérité de Dieu nous est donnée par Jésus-Christ, pas seulement parce qu’il nous la dit, mais parce qu’il est lui-même la vérité : " Je suis la vérité " (Jn 14,6). Il est la pleine réalisation des promesses de Dieu, l’incarnation de la parole de Dieu.

7) Le prologue se termine par le rappel d’une constante de la Bible : l’impossibilité de voir Dieu ; Moïse lui-même qui parlait avec Dieu " face à face " (Ex 33,11) n’a pu voir le Seigneur que de dos, une fois qu’il est passé (Ex 33,23). Cependant le fils unique qui est dans l’intimité du Père nous permet de dépasser cette impossibilité car il " a conduit à le connaître " (un seul verbe en grec : " éxègèsato "). Ce terme, de la même racine que le mot " exégèse ", signifie : " conduire pas à pas ", " expliquer " ou " raconter ". Ainsi l’accent n’est pas mis sur la vision, mais sur la parole et l’hymne se termine par un verbe qui fait référence au récit. La narration qui commence à partir du v. 19 est dès lors, non seulement le récit de l’évangéliste, mais aussi et d’abord celui du Fils.


© Bernadette Escaffre, SBEV / Éd. du Cerf,Cahier Évangile n° 145 (septembre 2008) "Évangile de J.-C. selon St Jean. 1 – Le Livre des signes (Jn 1-12)", pages 9-12.