Dans la lettre aux Éphésiens, la métaphore du "corps" prend une dimension nouvelle...

On sait que la lettre aux Éphésiens est en partie une relecture développée de la lettre aux Colossiens ; l’horizon s’élargit encore, et à la haute christologie de Colossiens correspond une vision de l’Église dans laquelle l’auteur semble contempler l’accomplissement du projet éternel de Dieu : l’humanité réconciliée en un seul corps montant vers le Père dans un même Esprit.

Union des chrétiens et des juifs
La métaphore du « corps » y prend une dimension nouvelle : elle sert à décrire l’unification d’Israël et du monde païen au sein de l’Église, comme unité modèle et archétypale de l’Église cosmique. L’union des chrétiens issus du monde juif et des chrétiens issus du monde païen est le prototype de la réconciliation du tout au sein de l’Église. En dehors de cette unité, la réunification cosmique ne pourra s’accomplir. Ainsi l’Église est-elle présentée comme « la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (1,23). Les termes font parfois songer à une fusion de type panthéiste ; mais, en tant qu’elle est le corps en croissance, une telle Église reste une visée.

Puissance du Christ
Après la grande bénédiction qui noue en une seule gerbe le projet créateur et la rédemption en Jésus Christ, la lettre présente une action de grâce qui déploie la révélation de la puissance du Christ sur l’univers et sur l’Église. L’énergie de Dieu se communique au Christ qu’il a ressuscité et fait asseoir à sa droite, et à travers lui elle atteint le corps « à qui il a été donné comme tête, l’Église » (1,22). Le chapitre 2 évoque alors le salut également accordé, par pure grâce, aux juifs et aux païens et donne à contempler, comme déjà acquis, le triomphe des croyants : « Il nous a fait revivre avec le Christ – c’est par grâce que vous êtes sauvés – avec lui il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Christ Jésus » (2,10).

Nous lirons le passage suivant qui célèbre la réconciliation, par la croix, des hommes avec Dieu et entre eux.

L’Église, lieu de réconciliation (Ep 2,11-22)
Le texte s’adresse aux pagano-chrétiens : « Vous qui jadis étiez les païens dans la chair » (2,12). Ils sont définis par opposition aux juifs, par le jeu des désignations qu’on s’assène mutuellement : « Ceux qui sont appelés incirconcis par ce qui est appelée “circoncision” dans la chair » ; les non-circoncis sont ceux que les circoncis appellent en hébreu goyîm, en grec ethnè : des païens. Leur situation passée est décrite de façon entièrement négative par ce dont ils étaient privés : « Sans Messie (Christ), exclus de la citoyenneté d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant pas d’espérance et sans dieu dans le monde » (v. 12). Mais maintenant leur situation est entièrement transformée : « En Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ » (v. 13).

Lointains / proches
Ce v. 13 est une relecture d’un texte du prophète Isaïe. Après une série d’oracles de salut dans lesquels Dieu rassemble et guérit un peuple dont ne sont plus exclus ni l’étranger ni l’eunuque (Is 56,3-4), on lit : « Et le Seigneur dit : “J’ai vu les chemins de mon peuple, et je l’ai guéri et je lui ai donné la consolation véritable, paix sur paix à ceux qui sont loin et à ceux qui sont proches” » (Is 57,19). Le jeu d’opposition « loin / proche » va servir ici de trame à l’ensemble du passage.

En effet, le texte opère une transformation complète en opposant, dans une sorte d’inclusion :
• les v. 11-12, qui rappellent – nous l’avons dit – l’état de ceux qui étaient loin c’est-à-dire les païens, « exclus, étrangers, privés, sans Dieu… »
• aux v. 19-22, qui reprennent et inversent les termes pour affirmer de façon triomphale ce que désormais sont devenus les païens : « Vous n’êtes plus étrangers ni immigrés, mais vous êtes concitoyens de saint, de la famille de Dieu… ».

Entre les deux, la transformation est annoncée au v. 13 (« Vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches »), puis le mouvement d’unification est décrit aux v. 14-17, dans une progression en spirale, qui revient plusieurs fois sur les mêmes termes pour culminer de proche en proche au v. 17 : « Il a annoncé la paix à vous les lointains, et la paix aux proches. »

Christ « notre paix »
Le v. 14 énonce l’action du Christ. C’est le Christ qui fait l’unité et il est, au présent, « notre paix ». Le « notre » reflète les deux groupes, chrétiens venus du paganisme et chrétiens venus du judaïsme, désormais réunis dans la paix : « Il a fait des deux une seule chose, et il a détruit le mur de séparation, la haine dans sa chair, ayant annulé la loi et les commandements. » L’image semble bien venir du monde juif : le mur représente la Loi, ou plus concrètement la barrière du temple interdisant l’accès sous peine de mort à tout incirconcis. Matérialisation concrète de la séparation, de l’exclusion qui engendrait la haine, il est aboli en celui qui a pardonné à tous les hommes et les accueille tous.

Les v. 15b et 16 déploient les effets de l’action du Christ dans une finale qui se dédouble :
• 15b : « afin qu’il crée les deux en lui en vue d’un seul homme nouveau en faisant la paix » ;
• 16 : « et qu’il réconcilie les deux en un seul corps avec Dieu, par la croix, ayant tué la haine en lui ».

Les deux verbes reprennent la thématique de la réconciliation en 2 Co 5,17-18 en distinguant les deux images pauliniennes :
• le Christ inaugure la création nouvelle, en ouvrant la voie à l’homme nouveau ;
• il opère la réconciliation des hommes entre eux et avec Dieu. Dès lors, ils ne forment plus qu’un seul corps.

Réconciliation, création nouvelle

Le v. 17 reprend alors le thème de la venue du Christ, porteur d’une paix qui fut « annoncée comme bonne nouvelle », une paix qui continue désormais à abolir les oppositions « lointains / proches ». Il me semble en effet que, dans ce v. 17, l’opposition « lointains / proches » a changé de nature : elle ne désigne plus comme au v. 13, deux états (passé / présent) du même groupe, mais deux groupes différents qui au présent coexistent. Ce qui permet de penser qu’il y a sans cesse des « lointains » qui sont devenus des « proches », par opposition à de nouveaux « lointains » qui un jour deviendront proches. Et que la réconciliation ne vaut pas seulement pour les judéo- et les pagano-chrétiens, mais pour tous ceux du dehors (les « lointains ») appelés à devenir « proches ».

La réconciliation doit être considérée comme une création nouvelle qui a été opérée dans la chair du Christ (« sur la croix / dans son sang ») par l’annulation de la haine à laquelle il a mis un terme. En lui, Dieu a créé, à partir des deux, « l’homme nouveau », il les a réconciliés en « une seul corps ». Dès lors est rouverte la voie que le péché et la haine avaient fermée : l’accès à Dieu « dans un seul Esprit » (v. 18).

Une étonnante formulation trinitaire rassemble dans ce v. 18 la finalité du projet de Dieu qui rouvre à tous les hommes la voie qui conduit auprès du Père : « Par lui [le Christ], nous avons les uns et les autres, dans un seul Esprit, l’accès auprès du Père. »

L’Église, construction en croissance

Il faut poser la question du statut de cet « homme nouveau », en « un seul corps » : il s’agit d’abord du corps crucifié et ressuscité du Christ, mais au-delà, le texte vise-t-il le corps du baptisé, ou déjà le corps ecclésial issu de la croix et de la résurrection ?

Plantation et construction
L’évocation des deux groupes au début du chapitre, la récurrence du « nous » au v. 14 et au v. 18, tout plaide pour y voir le corps de l’Église appelée à rassembler les hommes, toujours plus largement, toujours plus loin. La fin du chapitre (v. 19-22) développe des images nouvelles de la communauté, et d’abord celle de la croissance de l’édifice. En effet, en 2,20 et 4,16, on assiste au croisement des deux images pauliniennes de la plantation et de la construction : il s’agit d’abord de la construction et de la croissance du corps « lié en cohésion et arrangé en unité par toute jointure de l’approvisionnement, selon l’activité à la mesure de chaque partie », mais c’est l’édifice tout entier qui grandit vers le ciel, donnant l’impression de la montée d’une cathédrale gothique, animée d’une poussée organique formidable : celle d’une création dont le principe moteur est l’amour (3,19 ; 4,15).

Mais une autre image encore vient se nouer à celle de l’édifice en croissance : le texte est tissé avec le vocabulaire de la maison et de la famille (que rassemble le terme grec oikos). La racine oik- court tout au long des trois versets (cinq occurrences) ; elle assure l’intégration, la force du lien et de l’appartenance. Il est évident qu’elle annonce ce qui sera dit, dans la deuxième partie de la lettre, de la vie dans les grandes maisons familiales du monde romain. Mais la maison est aussi portée par un dynamisme de croissance, pour former « un temple saint dans le Seigneur ! » (v. 22).

Action du Christ-tête
Qui assure la croissance ? À la suite du Christ-tête, quelques-uns sont au service de tous. Depuis la première lettre aux Corinthiens, la métaphore de la construction s’est déplacée ; le « fondement », ce sont ici les apôtres et les prophètes, tandis que Jésus Christ est la « pierre angulaire » (akrogôniaios). Qu’il s’agisse de la pierre sommitale ou de la pierre angulaire, (la TOB traduit : « pierre maîtresse » pour échapper à une discussion sans fin), peu importe, le Christ est bien celui qui assure la croissance de l’édifice tout entier. Au préalable, le chapitre 1 avait repris de la lettre aux Colossiens la métaphore de la « tête » (kephalè), dont la portée est d’abord physiologique : elle est ce qui assure la croissance de l’organisme. Mais elle évoque aussi le sommet, ce qui vient en tête. Ainsi les images se complètent-elles en s’enrichissant : le Christ-tête est à la fois le premier, le chef de file, et le moteur, la force de vie et de croissance.

Action des ministres
Les ministres ont aussi un rôle à jouer ; dans leur diversité, ils sont ordonnés à la croissance et à l’unité du corps. Les apôtres et les prophètes sont ici le fondement de l’édifice (2,20), mais ils réapparaissent plus loin dans la lettre, en 4,11-12, dans une liste plus détaillée : « C’est Dieu qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres comme pasteurs et les didascales, pour l’ajustement des saints en vue de l’œuvre du ministère, en vue de la construction du corps du Christ. » La liste reprend celle de 1 Co 12,28, tout en incluant des évangélistes et des pasteurs. Aucune fonction n’est clairement définie ni hiérarchisée, sinon le fait que quelques-uns se détachent au service de tous. La signification de ces versets dépend de la construction des trois premières prépositions : pros (« pour »), eis… eis (« en vue de… en vue de »). Faut-il les juxtaposer comme trois actions différentes des ministres, ou au contraire détacher la première ? Il me semble que la première gouverne les deux autres ; on comprend ainsi que les ministres sont au service de tous « pour que les saints (c’est-à-dire tous les membres de la communauté) soient ajustés en vue du ministère en vue de l’édification du corps ».

Action de tous
Car la croissance du corps est l’œuvre de tous : « Jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité de la de foi et la reconnaissance du fils de Dieu, en vue de l’homme parfait, à la mesure de la taille de la plénitude du Christ » (v. 13). Tous ensemble, nous devons parvenir à l’unité : « l’homme parfait » n’est pas ou pas seulement la perfection atteinte par chacun, mais bien la réalité nouvelle d’une humanité réconciliée. Les « ministres » sont ordonnés à la croissance des autres et à celle du tout. Quant aux chrétiens, il n’est plus parlé de « membres » du corps, mais d’une activité « selon la mesure de la part de chacun » (4,16). Le texte de 1 Co 12,27 reste sous-jacent : complémentaires et solidaires, tous participent, chacun pour sa part, à la croissance du Corps. L’Église de la lettre aux Éphésiens se caractérise par un manque complet de traits institutionnels. Mais ces multiples expressions de la visée disent aussi que cette croissance n’est pas encore réalisée ; les images ménagent toujours l’espace de l’œuvre à accomplir : la croissance est un don, c’est aussi pour tous une tâche à accomplir ; quelques-uns y veilleront particulièrement.

Les rapports de l’Église et du monde
Le terme d’ekklèsia (église), est peu fréquent dans la lettre : on le trouve neuf fois ; mais, en dehors de la comparaison du couple humain et du couple Christ / Église dans les codes domestiques où il est répété six fois (5,21-33), on ne le trouve que trois fois. Les contextes ne permettent pas de préciser beaucoup le mot, mais ils donnent une idée de la dimension universelle qui est visée.

Église, plénitude du Christ
L’action de grâce qui s’élève en 1,15 s. célèbre la puissance que Dieu déploie pour les croyants, en la communiquant au Christ « qu’il a ressuscité d’entre les morts et fait asseoir à sa droite » (v. 20). Plaçant le Christ au-dessus de tous les êtres créés, « il a tout soumis sous ses pieds, et il l’a donné comme tête, au-dessus de tout, à l’Église, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (1,22-23). Si nous laissons de côté l’ambiguïté de la dernière expression, il ressort de ce passage de type hymnique que Dieu a fait de l’Église le corps du Christ-tête, et qu’elle est elle-même la plénitude (ou le « plérôme ») du Christ. Il faut très probablement y lire la récapitulation eschatologique de tout l’univers et de toute l’humanité dans le Christ, en rapprochant du v. 1,10 : « En vue de la plénitude des temps, pour récapituler tout dans le Christ, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la terre. »

Église, médiation
Au chapitre 3, l’évocation du ministère apostolique permet à l’auteur de déployer une fois encore le « mystère » du plan de Dieu, désormais révélé à l’univers tout entier, « afin que soit révélée maintenant aux puissances et aux dominations dans les cieux grâce à l’Église, la sagesse multiforme de Dieu » (3,10). L’Église apparaît dans un rôle de médiation : c’est « grâce à elle », « à travers elle » (et les hommes que sans cesse elle accueille), que la sagesse répandue dans l’univers et dans les nations humaines sous des aspects multiples se manifeste dans l’immense dessein de Dieu allant à son achèvement.

Église, lieu de la gloire

Le même chapitre 3 s’achève sur une doxologie surprenante : « À Lui la gloire dans l’Église et dans le Christ pour toutes les générations des siècles des siècles. Amen » (3,21). La louange s’élève à partir d’en bas, de la manifestation de la gloire de Dieu dans l’Église, pour remonter, à travers le Christ tête de l’Église, jusqu’à Dieu, sommet et source de toute gloire et de toute grâce.

Aux dimensions du monde
À ces textes, il faut encore ajouter deux expressions imagées de la croissance de l’Église. En 2,21 : « En Christ toute la construction harmonieusement ajustée croît en vue d’un temple saint pour le Seigneur. » Et en 4,16 : « À partir de la tête d’où tout le corps ajusté harmonieusement et parfaitement ajointé, selon l’activité à la mesure de la part de chacun, opère la croissance du corps pour sa construction dans l’amour. »

L’Église est donc comprise à la fois comme l’achèvement du dessein de Dieu, la plénitude du corps du Christ récapitulant toutes choses, et comme le corps en croissance à travers lequel le dessein de Dieu se révèle et croît jusqu’à son accomplissement.

L’ensemble offre une très haute image de l’Église : lieu de la révélation, lieu de la louange, lieu de la plénitude. Et l’impression qui s’impose est celle d’un élargissement constant de l’Église jusqu’aux dimensions du monde qu’elle réconcilie avec Dieu. Car, comment comprendre la relation Église-cosmos, si le Christ doit devenir la tête du Tout, comme il l’est de l’Église ? Cela n’est possible que si le monde tout entier entre dans l’Église ou plutôt si l’Église s’élargit aux dimensions du monde.

Le risque du triomphalisme
On mesure l’ampleur et la force d’une telle vision de l’Église mais aussi ses ambiguïtés et le danger qui la guette. Les dangers plutôt, car, à côté du risque de l’enthousiasme et de l’eschatologie déjà réalisée, on ne peut oublier que la lettre aux Éphésiens a parfois donné naissance à une lecture de type politique, où la chrétienté devenue majoritaire et triomphaliste cherche à s’intégrer tout l’univers.

Il est certain qu’il ne s’agit pas d’un « contrains-les d’entrer », ni du prosélytisme exacerbé d’une mission conquérante. Mais une perversion plus subtile a été de donner réalisation et forme politique à la perspective grandiose des Éphésiens ; l’ère constantinienne a vu l’Église s’élargir aux dimensions de l’oikoumenè, « la terre habitée », et cette Église s’est trompée de Seigneur ; elle a oublié que, selon Paul et la lettre aux Éphésiens, son Seigneur n’était pas d’abord le Christ victorieux, vite remplacé par l’Empereur, puis par l’un ou l’autre glaive, mais le Crucifié, le Serviteur souffrant ; en d’autres termes elle a oublié la Croix !

Un objectif : la réconciliation

Mais rien, dans une lecture rigoureuse du texte, ne soutient cette interprétation, et toute une tradition théologique et exégétique n’a cessé de lire la lettre aux Éphésiens à travers l’ample vision du dessein de Dieu que les Pères grecs ont su déployer. Il me paraît particulièrement juste de suivre la méditation de l’exégète protestant Michel Bouttier  sur le mystère de l’Église, tel qu’Éphésiens le laisse entrevoir : l’Église est appelée à porter sans cesse le souci du monde pour que le monde puisse recevoir la Vie du Christ-tête. Tel est le mystère d’une Église, lieu de réconciliation, d’une Église ouverte sur le monde au point que les limites (le mur !) disparaissent, ou encore comme l’écrit Bouttier : « Il y a donc Église, là où il y a réconciliation, là où les murs de séparation sont renversés » (p. 284). On peut alors définir plus précisément la tâche ecclésiale selon Éphésiens : elle consiste à annoncer au monde divisé qu’il est réconcilié par le Christ et à favoriser cette réconciliation pour que le monde se mette en marche vers la gloire de Dieu.

L’Église et le Royaume
Un autre danger menace l’interprétation de la lettre : l’Église d’Éphésiens ne risque-t-elle pas de se confondre avec le Royaume ? Dans la mesure où elle tend à rassembler toute l’humanité réconciliée, n’est-elle pas l’Église au ciel qui ne pourra apparaître qu’au terme de l’histoire ? Et la question de ce qu’est actuellement l’Église face au monde serait refusée. Nous maintenons au contraire que l’Église de la lettre aux Éphésiens est toute entière attentive au labeur de la croissance pour rendre présente dans le monde la réalité de la réconciliation et en manifester le dynamisme.

En effet, l’Église comme lieu de réconciliation n’est que le prototype du plérôme. L’unité entre juifs et païens qui s’accomplit en Christ, par la croix, n’existe qu’à titre de modèle, on pourrait dire de programme. La réunion en un seul corps de tous ceux qui sont près et de ceux qui sont loin se poursuivra par la prédication de l’Évangile : « Le mystère maintenant révélé à ses saints apôtres et prophètes dans l’esprit, c’est que les nations sont appelées à un même héritage, à devenir un même corps, à participer à la promesse en Christ-Jésus par l’Évangile » (Ep 3,5). Mais les douleurs de l’enfantement ne sont pas achevées : Paul parle du don de la grâce qui lui a été fait comme serviteur et gérant du mystère ; les souffrances de l’apôtre, et celles de l’Église, liées à l’activité missionnaire, ne sont pas considérées comme rédemptrices, mais elles font partie du long combat contre les forces du mal, de l’accouchement difficile du monde nouveau. L’œuvre qui reste à faire est très exactement ce que Paul appelait dans la lettre aux Philippiens « une participation aux souffrances du Christ ». D’ailleurs les derniers chapitres d’Éphésiens développent, à l’instar de Colossiens, des codes domestiques qui s’ouvrent sur l’injonction : « Imitez Dieu » (5,1), et sont suivis d’un véritable appel aux armes : « Revêtez la panoplie de Dieu afin de pouvoir tenir bon devant les manœuvres du diable » (6,11-13).

 © Roselyne Dupont-Roc, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 147 (mars 2009), "Saint Paul : une théologie de l'Église ? ", pages 67-73