Le mot "mustèrion" appartient au vocabulaire des mouvements religieux généralement venus d’Orient...
Le mot "mustèrion" appartient au vocabulaire des mouvements religieux généralement venus d’Orient qui, dès l’époque classique, s’étaient répandus en Grèce, en réponse aux aspirations de ceux que la religion de la cité et ses dieux d’opérette ne satisfaisaient guère. À côté des écoles philosophiques, on connaissait des groupes religieux de type ésotérique qui proposaient aux initiés tout un chemin de connaissance et d’accession au divin. Les plus célèbres et probablement les plus anciens à Athènes sont les mystères d’Eleusis, célébrant les divinités de la nature et de la fécondité. L’étymologie du verbe mueo n’est pas sûre : signifie-t-il « fermer les yeux » ? En tout cas les initiés (ou ceux qui sont en voie de l’être) portent le nom de mystes. Ils sont engagés sur une voie aux étapes initiatiques qui les conduira à une révélation finale, l’ »époptie ».
Le terme mustèrion qui décrit ce processus de révélation d’une réalité cachée au plus grand nombre a donc une double face, de secret et de révélation. Il est déjà employé dans les textes tardifs de la Septante. On le trouve dans le livre de Daniel (chap. 2) pour désigner le sens caché de la vision du roi Nabuchodonosor, sens que seul Daniel, à qui Dieu a donné sa sagesse, saura révéler au roi. Dans le livre de la Sagesse de Salomon, il désigne la destinée ultime des justes qui espèrent une immortalité auprès de Dieu ; mais ceci échappe complètement aux impies qui « ignorent les mystères de Dieu » (Sg 2,22) !
Paul s’empare du mot pour désigner le dessein de salut de Dieu qui est resté caché jusqu’à ce qu’il se révèle pleinement en Jésus Christ crucifié et ressuscité (1 Co 2,1.7). Le mystère est cette réalité paradoxale de la « crucifixion du Seigneur de gloire ». Les successeurs de l’apôtre donneront au mot un sens très riche, y voyant l’ensemble du dessein de salut de Dieu depuis les origines jusqu’à son plein achèvement.
Pour la lettre aux Colossiens, le mystère déploie le contenu de la croix et de la résurrection en désignant l’élargissement de l’Évangile aux païens, et à tous les hommes : « Dieu a voulu faire connaître parmi les païens la glorieuse richesse de ce mystère : Christ au milieu de vous, l’espérance de la gloire » (Col 1,27). C’est en ce sens que la lettre aux Éphésiens emploie le mot, pour porter le dessein de salut de Dieu aux dimensions de l’univers (Ep 1,9) : « Comprenez l’intelligence que j’ai du mystère du Christ : ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des autres générations comme il a été maintenant révélé par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes : les païens ont le même héritage, forment le même corps et participent à la même promesse en Jésus Christ par l’Évangile » (Ep 3,5-6).
Mais nul, peut-être, n’est allé aussi loin que Paul dans la perception de l’inouï du projet de Dieu, en comprenant que ce projet qui commence par l’élection d’Israël ne saurait aller à son terme que lorsque sera accompli le rôle d’Israël pour le salut de tous les hommes. Il écrit dans la lettre aux Romains : « Car je ne veux pas que vous ignoriez ce mystère : un endurcissement est survenu à Israël en partie, jusqu’à ce que la totalité des païens soient entrés, et ainsi tout Israël sera sauvé » (Rm 11,25-26).
© Roselyne Dupont-Roc, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 147 (mars 2009), "Saint Paul : une théologie de l'Église ? ", page 40.