Pour l'essentiel, l'organisation littéraire du livre de Ruth est assez simple et la structure respecte une disposition concentrique...
Introduction et finale (1,1-5 et 4,13-22)
Pour l'essentiel, l'organisation littéraire de Ruth est assez simple et la structure respecte une disposition concentrique. Le récit est encadré par des éléments qui ne sont pas sans rapport. L'introduction consiste en une chronique familiale: le mariage de Ruth y est environné de malheurs et de morts (1,1-5). La finale est un autre tableau de famille avec un nouveau mariage de Ruth, une naissance et la reprise de la suite des générations (4,13-22). Cette finale est l'épilogue du récit.
Première et dernière parties (1,6-22 et 4,1-12)
L'essentiel du ch. 1 (v.6-22) constitue un premier ensemble. Son objet est le « retour » en Juda de Noémi et Ruth (verbe clé : « retourner »). La section centrale rapporte une conversation où, Ruth – la« seconde » (1,4) – prend le risque de s'attacher à Noémi dans une fidélité qui va au-delà du requis, tandis qu'Orpa renonce à quitter sa patrie pour rester avec « son peuple » (v.8-18). Un scénario du même genre se produit dans la dernière partie, au ch. 4. Au cours d'un dialogue aux accents juridiques, le go'el, le « racheteur » anonyme, renonce à faire valoir son droit, pour ne pas compromettre « son héritage », tandis que Boaz, le second après lui (4,4), se porte volontaire pour exercer son droit et relever le nom du mort. En cela, il va lui aussi au-delà de ce à quoi il est tenu (4,3-10, mots clés : « racheter », ga'al, et « acquérir »).
Des deux côtés, il s'agit pour le personnage central de témoigner d'une fidélité en excès en faveur de Noémi et de ses morts. Ruth en est l'actrice dans la première partie et la bénéficiaire à la fin du récit, comme si Boaz répondait à sa fidélité par la sienne. Quant aux personnages auxiliaires, Orpa et le go'el, ils mettent en valeur par contraste l'attitude de Ruth et de Boaz. De plus, chaque scène est encadrée par une brève mise en scène (1,6-7 et 4,1-2) et un commentaire final où un chœur s'exprime. Le ton en est radicalement différent: en 1,19-22, devant les femmes de Bethléem, Noémi se plaint amèrement de son passé familial. En 4,11-12, un souhait plein d'espérance pour l'avenir de la famille est formulé par le peuple et les anciens.
Les parties centrales (ch. 2 et 3)
Deux parties parallèles
Les ch. 2 et 3 décrivent deux rencontres entre les personnages qui font preuve de fidélité dans les première et quatrième parties. Ruth et Boaz se retrouvent sur le lieu de travail de ce dernier, dans les champs en 2,8-14, et sur l'aire en 3,7-15. La première rencontre est due au hasard (2,3), la seconde est voulue par Ruth et surtout par Noémi (3,3-6). Les deux fois, Boaz se montre généreux avec Ruth: il l'invite à glaner d'abord, puis promet de la racheter.
L'encadrement de ces sections centrales est identique chacune commence et finit par une entrevue entre Ruth et Noémi à la maison. L'objet en est le même. En début de partie, il s'agit de ce que Ruth va faire, et cela amorce la rencontre avec Boaz dont on dit qu'il est de la famille (2,1-3 et 3,1-5). En finale, Ruth rapporte à Noémi ce qui s'est passé avec Boaz, et ses paroles sont accompagnées d'un don de nourriture (2,18-23 et3,16-18). Entre ces entrevues et la rencontre Ruth-Boaz, de brèves sections assurent la transition et fournissent des repères temporels (2,7.14. [17]; 3,78.14): au ch.2, elles impliquent des serviteurs de Boaz qui leur parle de Ruth (2,4-7.15-17). Par contraste, au ch.3, ces transitions insistent sur le secret de la rencontre (3,6-7 et 14-15).
Dans ces deux parties, le narrateur recourt à un même procédé narratif: il joue sur la différence des niveaux de savoir entre les personnages sur un point essentiel de l'intrigue. Au ch. 2, Boaz connaît Ruth dont le contremaître lui a parlé (2,4-7) tandis que la femme ignore qui il est jusqu'à ce qu'elle l'apprenne de sa belle-mère (2,20 : « il est parmi notre go'el »). Inversement, au ch.3, Ruth sait ce qu'elle a à faire (3,1-5) et le réalise à l'insu de Boaz qui n'apprend ce qu'elle veut que plus tard (v.9: « tu es go'el »).
Deux parties en série
En fait, ces deux parties, séparées dans le temps par la durée des moissons (2,23 et 3,2), sont très liées. Le recours à des mots-crochets entre 2,22-23 et 3,1-2 l'indique : Ruth y est appelée « ma fille » par Noémi « sa belle-mère », qui dit vouloir le « bien »; les « jeunes filles » de Boaz sont mentionnées ici et là, tandis que le changement de lieu et de temps (champ-moisson; aire-battage) est également noté.
Mais la continuité touche aussi au contenu : la scène finale de la 2e partie (2,18-23) et la section initiale de la 3e (3,1-5) forment un diptyque où Noémi est seule en scène avec Ruth, et où pour l'essentiel il s'agit de Boaz. Mise en éveil par la générosité de Boaz, Noémi imagine de le pousser plus loin en raison de son statut de go'el. Elle le fait d'abord de manière indirecte (2,22). Ensuite, vu son échec (2,23), elle agit de façon beaucoup plus directe (3,1-5), comme pour contraindre Boaz à se déclarer. Il y a là certainement un des tournants de l'action.
Si ces tableaux réunissant Noémi et Ruth sont ainsi reliés on peut encore comparer les deux entrevues encadrant le tout (2,1-3 et 3,16-18). Chacune contient un ordre bref adressé à Ruth, mais en sens inverse: « Va, ma fille » (il faut faire quelque chose, 2,2) et « Reste, ma fille » (cela va s'arranger sans toi, 3,18).
Dernière remarque : ce premier coup d'œil permet de constater que jamais Noémi et Boaz ne sont en présence l'un de l'autre. Entre eux, tout passe par Ruth qui est présente dans chaque scène, mais jamais comme protagoniste principale. Il faudra s'interroger sur cette distance que garde Noémi.
Note : parties et épisodes
Les parties isolées par ce bref examen de la structure correspondent à autant d'unités narratives, à quatre « épisodes » où se développe une mini intrigue. Après l'exposition des versets introductifs (1,1-5), le retour de Ruth en compagnie de Noémi (I) et la rencontre avec Boaz (Il) forment une unité de temps située au début de la moisson des orges (1,22); la visite de Ruth à l'aire (III) et la scène du rachat (IV) constituent une autre unité: une nuit et le matin suivant. Mais, on l'a vu les épisodes centraux sont bien chevillés l'un à l autre, quoique séparés dans le temps raconté par la durée des moissons (2,23). La continuité du récit est donc sans faille.
© André Wénin, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 104 (Juin 1998), « Le livre de Ruth. Une approche narrative », p. 7-8.