À première vue, la trame du livre de Jonas paraît très simple...

À première vue, la trame du livre de Jonas paraît très simple. Elle n'en cache pas moins quelques subtilités dans son déroulement. Surtout, elle requiert une collaboration particulière de la part du lecteur. Dans ce bref parcours, l'analyse relèvera d'une part les traits les plus saillants de la construction du récit et d'autre part quelques caractéristiques de son style.

Le début de la trame

La formule d'introduction du livre – « La parole du Seigneur fut adressée à Jonas: Lève-toi, va à Ninive, la grande ville... » – met d'emblée le lecteur dans un contexte prophétique. Cette formule est en effet habituelle dans les livres de ce genre. Aux yeux du lecteur, Jonas est donc un prophète et il reçoit une mission. Le personnage est par ailleurs connu. Son nom figure en 2 R 14,25, où un certain Jonas, fils d'Amittaï, aurait prêché sous le règne de Jéroboam II. La mission confiée à Jonas surprend un peu: le Seigneur envoie rarement ses prophètes prêcher à l'étranger et c'est certainement la seule et unique fois dans la Bible qu'un prophète est envoyé à Ninive. Dernier détail à propos de ce premier verset: le mot « grand » apparaît pour la première fois. L'auteur du livre fera un fréquent usage de cet adjectif, chose assez insolite d'ailleurs. En effet, les auteurs bibliques sont plutôt parcimonieux en ce qui concerne l'emploi des adjectifs (rares en hébreu). Le « programme » du récit se résume donc à la mission de Jonas, du moins pour l'instant.

Les surprises augmentent dès le verset suivant : Jonas refuse d'aller à Ninive et part dans la direction opposée. Il se lève, mais « pour fuir loin de la face du Seigneur ». Il est dit « Il se leva pour fuir » et non pas « Il se leva et s'enfuit », parce que dès à présent, le narrateur veut laisser planer un doute sur le succès de l'entreprise. Jonas « descend » vers Jaffa. Du reste, Jonas ne cesse de descendre dans ce chapitre: il descend à Jaffa, puis dans le navire, dans la soute du navire, pour enfin être jeté dans la mer. Pourquoi Jonas part-il au loin ? La question ne reçoit aucune réponse et le lecteur ne peut que tenter des conjectures: Jonas aura eu peur d'aller à Ninive, une ville dont la sinistre réputation n'est plus à faire. Ou il trouve la mission trop difficile. Peut-être craint-il de ne pas être à la hauteur ou hésite-t-il à proclamer un message de jugement ? La suite devra éclaircir ce mystère, mais peu nombreux seront les lecteurs qui n'auront pas en tête l'une ou l'autre hypothèse à ce propos dès cet instant.

Le tempête

Le Seigneur envoie alors un « grand vent » qui provoque une « grande tempête » – cette fois, le lecteur commence à comprendre que le récit emploie le langage de l'hyperbole et la suite le confirmera. Les marins s'affairent pour sauver le navire, mais Jonas dort dans la soute. Le capitaine va le réveiller (il l'appelle, comme le Seigneur), puis les marins jettent les sorts et découvrent qu'il est la raison de tous leurs malheurs. Jonas lui-même, après avoir confessé sa foi, demande à être jeté par-dessus bord. La confession de foi de Jonas est un bel exemple d'ironie verbale et dramatique que relève B. Costacurta. D'une part, Jonas affirme qu'ii croit dans le Seigneur du ciel, de la terre et de la mer (1,9). Alors, pourquoi essaie-t-il d'échapper à ce Dieu dont le règne s'étend aussi sur les océans (ironie dramatique) ? D'autre part, il affirme qu'il « craint » le Seigneur. Certes, Jonas entend dire qu'il « craint » le Seigneur au sens où il le vénère. Mais le lecteur peut se demander s'il n'a pas plutôt peur de ce Dieu qu'il a décidé de fuir (ironie verbale). Le contraste entre les marins et Jonas est fortement souligné. Si le prophète confesse sa foi, il cherche aussi à fuir et préfère être jeté dans la mer plutôt que d'accomplir sa mission. Les marins, en revanche, ne veulent pas périr (1,6.14). Avant de jeter Jonas par-dessus bord ils tentent en vain de rejoindre le rivage, puis prient le Seigneur de ne pas leur tenir rigueur du geste qu'ils sont contraints de poser. Les marins luttent pour vivre et survivre. Jonas, par contre, paraît peu concerné par ces questions vitales.

Le chapitre se termine par la reconnaissance des marins qui offrent des sacrifices, non pas aux dieux qu'ils invoquaient au début (1,5) mais au Seigneur, le Dieu de Jonas (1,11; cf. 1,9). Il s'agit là d'une conversion où s'exprime la « grande » crainte des marins. Dès lors, qui de Jonas ou des marins « craint le Seigneur » ? Le lecteur peut certainement se poser la question. Et si la conversion soudaine des marins peut surprendre, le lecteur n'en est pas à sa première surprise, ni surtout à la dernière.

Dans le ventre du poisson

Jonas, entre-temps, a été avalé par le « grand » poisson et il peut méditer trois jours dans ses entrailles (2,1). Ici, le lecteur ne peut plus hésiter: le récit se meut bien dans le monde de l'imaginaire, non pas du réel. L'adjectif « grand » a sans doute pour fonction, entre autres, d'élargir le « monde du récit » et de le faire sortir des limites du vraisemblable. Dans le ventre du poisson Jonas prie (2,2), alors qu'il a refusé de le faire sur le navire quand le capitaine l'y invitait (1,6).

Le psaume qui suit (2,3-10) ainsi que son introduction (2,2) ont éveillé les soupçons des exégètes. De nombreuses raisons militent en faveur de son caractère secondaire. Dans le cadre du récit actuel, toutefois, il remplit une double fonction. D'une part, il révèle pour la première fois les sentiments intimes de Jonas, comme ce sera le cas de nouveau au chapitre 4. D'autre part, il introduit une nouvelle dimension ironique dans le récit en ménageant un contraste criant entre ce psaume et l'attitude de Jonas au chapitre précédent. Notons seulement quelques détails. « J'ai prié dans ma détresse » - quand exactement ? « Tu m'as jeté au cœur de la mer » - qui a voulu y être jeté ? « Je suis chassé loin de ton regard » - qui fuyait loin de la face du Seigneur ? « Je me suis souvenu du Seigneur » - et pourquoi pas de la mission qu'il lui avait confiée ? Aux v.9-10, Jonas parle avec dérision des païens qui adorent les idoles, alors que lui, il offre des sacrifices et fait des vœux au Seigneur. Or, ce n'est pas exactement ce qu'il a fait au cours de la tempête (1,11). Le psaume peut donc être lu, dans le récit actuel, comme un bel exemple d'ironie verbale.

Ayant ainsi prié, Jonas est « vomi » littéralement par le poisson sur la terre ferme (2,11). Nous sommes revenus à la « case départ ».

(…)

© Collectif SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 107 (Mars 1999), « L’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament », p. 44-45.