Les "dix commandements" constituent le fondement de l'éthique chrétienne...

Les "dix commandements" constituent le fondement de l'éthique chrétienne. Avant saint Augustin, le décalogue n'occupe pas une place centrale dans l'enseignement de l'Église, bien que l'on ne doive pas sous-estimer son rôle. En effet, parmi les écrits qui utilisent le décalogue, on trouve non seulement les œuvres des Pères, mais aussi quelques œuvres catéchétiques importantes comme la Didakhè, la Didescalie des Douze Apôtres, etc.

Saint Augustin a donné un élan déterminant au décalogue et a contribué à son enseignement et à sa diffusion généralisée dans l'Église. Ce qui est intéressant et nouveau dans l'orientation d'Augustin, c'est le lien qu'il établit entre le décalogue et la vie dans la grâce inaugurée par le Christ. À partir de Rm 13,9-10, il présente le décalogue comme la synthèse des devoirs inspirés par la charité divine (P.L. 44,230). La loi du décalogue, de soi extérieure, devient intérieure. C'est la loi de l'Esprit, qui répand la charité dans nos cœurs. Augustin n'était pas tant intéressé par les commandements moraux que par ceux qui ont trait au culte divin. D'où sa division des deux tables du décalogue selon le double commandement de l'amour: "Tu aimeras /e Seigneur ton Dieu... Tu aimeras ton prochain... ".

La pensée d'Augustin a exercé une grande influence sur la scolastique médiévale. Pierre Lombard (12è s.) présente le décalogue comme une expression de la charité : ''toute la morale se rapporte à la charité" (Sentences III, 36,3). Puisque ce Livre des Sentences a servi de manuel pour l'enseignement, son influence au Moyen Âge a été certainement considérable. Pour Thomas d'Aquin, le décalogue est le résumé de la loi naturelle. A son tour, le décalogue se résume dans le double précepte d'amour de Dieu et du prochain : "Toute la loi et les prophètes sont contenus dans ces deux préceptes" (Mt 22,40) (S. Th. Ia IIae, 100, 3-12).

Luther (16e s.), en tant qu'ancien religieux augustin, n'a pas échappé non plus à l'influence de St. Augustin sur ce point. De tout l'Ancien Testament, Luther ne garde, dans son Petit Catéchisme, que les dix commandements; il en réaffirme ainsi la valeur pour la vie chrétienne.

Dans le Catéchisme romain du concile de Trente (1570), il est dit que "tout ce qui concerne la morale et les devoirs, dont la charité est /e but, est exprimé et contenu dans le décalogue" (Cat. 22). L'influence de ce catéchisme sur l'Église catholique a été sûrement très grande.

Aujourd'hui

Les répercussions et la réception du décalogue dans les traditions juive et chrétienne ont été dues en grande partie à la conviction, de part et d'autre, que les dix commandements venaient directement de Dieu. Les études critiques récentes, cependant, ont mis en relief une image bien différente de l'origine du décalogue. Bien que ce texte, dans sa rédaction définitive, soit tardif (postexilique), plusieurs de ses éléments plongent leurs racines dans un passé lointain, sûrement antérieur à l'époque de Moïse, et dans une culture plus ancienne que celle d'Israël. Le décalogue se fonde, au moins en partie, sur une `sorte de loi naturelle, qui se trouve répandue dans toutes les cultures du Proche Orient ancien. Mais son mode d'expression et son contexte sont du domaine de la révélation, qui marque les dix commandements du sceau d'une autorité nouvelle.

Cette perspective historico-critique nous permet de nous situer dans un horizon plus vaste que celui de la Bible et de faire une lecture du décalogue qui dépasse le cadre de la révélation du Sinaï. Et ceci, non seulement d'un regard rétrospectif, capable de remonter aux sources mêmes `du décalogue, mais aussi d'un regard prospectif, capable de rapprocher le décalogue de l'homme d'aujourd'hui. En un mot, il s'agit d'étudier plus profondément le texte, de redécouvrir ses valeurs et de les actualiser pour les femmes et les hommes d'aujourd'hui.

Même s'il est certain que la théologie catholique a changé considérablement à partir du concile Vatican II et que la morale et la catéchèse ont reçu une nouvelle orientation, il faut admettre que le contenu et la dynamique du décalogue sont toujours d'actualité et ne peuvent pas être dévalorisés. C'est ce qu'a récemment reconnu B. Héring, un des meilleurs théologiens moralistes catholiques du 20e siècle, dans un essai sur La théologie morale, chemin du 3e millénaire (Brescia, 1990), où il écrit : "En catéchèse morale, dans beaucoup de nations, on note un retour au décalogue comme point de départ et disposition des matières (...) Le théologien moraliste doit s'intéresser directement à la relation entre le message moral de l'Ancien Testament et celui du Nouveau Testament On ne peut pas comprendre le Nouveau Testament sans une juste appréciation de l’Ancien, et particulièrement du décalogue" (p. 110).

Actuellement, il faut maintenir l'idée dans la perspective de la théologie classique, que le décalogue est orienté vers le commandement de l'amour. D'après Pierre Lombard et Thomas d'Aquin, les Dix Paroles se résument en deux paroles : l'amour de Dieu (Dt 6,4) et l'amour du prochain (Lv 19,18). Dans la dynamique de l'amour, qui est la règle d'or, « la loi royale » (Jc 2,8), on cherche à découvrir la dimension christologique du décalogue. Tous les commandements du décalogue dépendent du premier qui, à son tour, s'appuie sur le préambule. Or, c'est dans le préambule que se décide l'orientation soit évangélique, soit légaliste du décalogue. Le premier commandement s'oriente dès lors vers le Christ. Le binôme classique « loi et Évangile » subit un changement radical avec le Christ et doit s'exprimer en « Évangile et loi ». Dans la perspective chrétienne, le Christ est la loi nouvelle. Par cette voie, les dix paroles nous guident vers leur source et vers leur plénitude, vers le Verbe incarné, vers « La Parole ».

 

© Félix Garcia Lopez, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 81 (Septembre 1992), « Le Décalogue », p. 60-62.