L’espace d’interprétation rend-il relative la vérité de la Bible ?

L’espace d’interprétation, large comme on vient de le voir, rend-il relative la vérité de la Bible ? L’autorité de la Bible ne s’impose pas, mais demande à être reconnue, tout comme Jésus de Nazareth est à reconnaître comme Fils de Dieu, Révélation non spectaculaire, voire ambivalente, qui nécessite interprétation. Ainsi, que la Bible continue à faire autorité comme source et norme de foi, comme lieu de révélation fiable de Dieu, et ce dans une dynamique permanente de « tradition », est finalement incroyable !

En Église, cette dynamique est clairement organisée : le discernement de l’autorité pour les croyants s’opère dans l’interaction entre la Bible, la confession de foi, la liturgie, et la conscience individuelle des fidèles. En théologie, on recherche une interprétation qui prenne au sérieux que la Bible dit la « vérité », mais qu’elle ne met pas toutes les affirmations bibliques au même niveau et qu’elle déploie aussi de nombreuses figures symboliques.

La Bible dit vrai comme des lettres d’amour disent « vrai » sur l’amour, mais cette vérité n’est pas à confondre avec un compte rendu historique, si bien que les héritiers n’ont pas à essayer d’imiter ce qui a été vécu à l’époque ou à l’appliquer à leur situation, mais que l’esprit de cet amour continue à être vivant pour eux et à animer leurs propres relations.

La vérité est une conception plus relationnelle que cartésienne. Si nous posons la question : « Qui suis-je ? », c’est-à-dire : « Quelle est la vérité sur ma personne ? », la réponse ne se limitera pas à des concepts, mais doit être racontée avec des histoires qui présentent la personne dans ses réactions et ses relations. C’est par la comparaison et les liens entre ces diverses approches que la vérité apparaît, comme dans les quatre éclairages littéraires et théologiques sur la vérité de Jésus Christ.

La question de la vérité nous ramène à l’enjeu de la foi : « croire en Dieu » à partir de la Révélation biblique ne s’épuise pas dans le fait de croire si les affirmations sont vraies au sens de la véracité historique, mais si elles disent la vérité de la personne et de l’espérance de la relation avec Dieu. C’est ainsi qu’il faut comprendre les deux modes de foi : depuis saint Augustin, la théologie différencie la « fides quae creditur » (« la foi à partir de laquelle on croit »), c’est-à-dire dans ses contenus objectifs, dans ce qui est affirmé et qui nous précède, et la manière dont l’Esprit nous saisit, la « fides qua creditur », (« la foi par laquelle on croit »), c’est-à-dire comment le croyant vit dans la confiance et la relation avec Dieu. Ces deux modes de la foi existent d’ailleurs aussi dans toute relation humaine importante : je crois ce que la personne me dit, mais je le crois aussi à cause de ce qu’est la personne, en elle-même et dans la relation avec moi.

L’accent de la théologie chrétienne ne porte pas sur les preuves de la vérité de la Bible mais sur l’affirmation que c’est elle qui dit la vérité sur l’humain en relation avec Dieu. C’était là l’insistance de la Réformation du XVIe siècle, lorsqu’elle insistait sur l’affirmation du « Sola scriptura », que « l’Écriture seule » donne accès fiable à la Parole de Dieu. Or ce « sola » (à comprendre en lien avec le solus Christus) n’exclut pas l’Église, mais la Réforme voulait affirmer la prééminence de l’Écriture sur l’Église. L’accent original est que l’Église est jugée par l’Écriture (par l’Évangile dans l’Écriture), et ce n’est pas au croyant de la juger, mais de reconnaître sa souveraineté

©  Mme Élisabeth Parmentier, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 175 (Mars 2016), « Interpréter les Écritures. Actes du colloque pastoral Dei Verbum. Collège des Bernardins (Paris), 9-10 octobre 2015 », p. 28-29.