La colère et l'amour sont les deux faces de la jalousie de Dieu...

La jalousie s'inscrit dans le lien que Yhwh entretient avec Israël en vertu de l'élection et de l'alliance car, d'une manière ou d'une autre, elle se réfère au peuple élu. Jamais il n'est dit que Yhwh est jaloux des autres dieux et il n'entre jamais en concurrence ou en rivalité avec les divinités païennes. La jalousie n'a rien à voir avec la défense d'une personne qui se sentirait menacée dans son pouvoir ou ses privilèges. Elle intervient quand le peuple de Yhwh a trahi, notamment quand il a transgressé le premier commandement (Ex 20,3-6).

Par ailleurs, Yhwh n'est jamais jaloux des autres peuples. Si sa jalousie s'exerce à leur encontre sous forme de colère, c'est seulement dans la mesure où Israël est concerné, dans la mesure où celui-ci subit les outrages des nations, bref quand l'alliance est menacée.

Dans l'expérience de l'alliance

On comprend dès lors que la jalousie apparaisse pour la première fois dans le cadre du premier commandement (voir le corpus deutéronomiste), première stipulation de la charte de l'alliance, promulguée au cœur d'une solennelle théophanie de l'alliance (Ex 19-24). L'adoration exclusive de l'unique Dieu d'Israël est la première des paroles, la plus fondamentale aussi, sur lesquelles cette alliance est conclue (Ex 24,8 ; voir aussi 24,3.7). L'observance de ce premier commandement signifie la reconnaissance du lien unique qui unit Yhwh et son peuple. Elle apparaît comme la conséquence de cet attachement passionné, « jaloux », que Yhwh porte à Israël, attachement qui se révèlera peu à peu comme un lien d'amour.

Ce lien exclusif est le fait de la liberté de Dieu que l'interdit des images vise à protéger. Dieu veille farouchement, « jalousement », sur cette liberté, car il n'y a pas d'amour sans liberté. Dans la mesure où l'idole se prête, de la part du fidèle, à une manipulation de la divinité qu'elle représente, Yhwh ne peut absolument pas la tolérer. Non qu'il veuille se retirer dans une sorte de citadelle inaccessible. Bien au contraire, l'interdit des images veut en définitive protéger cette relation libre et privilégiée qu'il veut entretenir avec le peuple qu'il a choisi.

Un dynamisme contrasté

C'est à partir de cette expérience de l'alliance que prend sens cette sorte de dialectique entre colère et amour, intérieure à la jalousie divine. Celle-ci fait l'unité de ce « pathos » divin : l'attachement de Dieu à l'origine de l'alliance n'a rien d'un amour platonique ; il n'est pas non plus un affect aveugle et irréfléchi, mais il naît pour ainsi dire du « cœur » de Dieu, de cet élan qui le porte à choisir Israël. Cet amour jaloux se concrétise en un projet de salut et d'alliance. La jalousie, devenue puissance active, créatrice, met ce projet en œuvre dans le déroulement de l'histoire (Ex 19-24), mais elle ne peut s'exercer de façon positive que si Israël adhère pleinement au projet de Dieu.

Bien vite hélas, le peuple élu trahit ses engagements (Ex 32-34). Cette jalousie se tourne alors en colère contre tout ce qui se met en travers de cette œuvre grandiose, contre tout ce qui s'oppose à cette action créatrice. Quand Israël fait retour à Dieu, cette puissance se fait à nouveau constructive et travaille puissamment à la réalisation de l'œuvre de salut. Elle exprime et met en œuvre la passion de Dieu pour son peuple. Cette passion peut donc se concrétiser dans une démarche négative de violence et de colère ; en réalité, ce n'est là que l'envers d'un amour exigeant mais engagé, à l'origine de l'œuvre divine de salut. On comprend dès lors que cette jalousie puisse s'identifier à l'amour. Mais en définitive, qui donc est Dieu pour mettre en œuvre un tel dynamisme aussi contrasté ?

 
© Bernard Renaud, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 149 (septembre 2009), "Un Dieu jaloux entrre colère et amour", pages 51-52.