Trois thèmes sont essentiels dans la première épître de Pierre : la figure de Jésus Christ, la vie en Église et la nécessité de rendre compte de l'espérance qui est en nous...

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La figure de Jésus Christ dans la première épître de Pierre

Ce qui frappe à première lecture, c'est l'importance donnée à la passion du Christ, liée aux ordres répétés de soumission et d'acceptation de la volonté de Dieu, en cas de persécution. La théologie de la première épître de Pierre serait-elle « »doloriste », ou commandée par la nécessité de la résignation ? Une telle lecture fausserait l'enseignement global de la première épître de Pierre.

À la différence de Paul qui centre toute sa théologie sur le mystère pascal, la première épître de Pierre fait une première synthèse entre la tradition synoptique, qui nous a conservé les enseignements de Jésus, et la tradition kérygmatique axée sur la passion et la résurrection. Certes on ne trouve pas dans la première épître de Pierre de formules de citation pour annoncer les paroles du Maitre. Pourtant nous avons relevé trop d'allusions, notamment au Sermon sur la Montagne, pour douter d'une référence aux paroles de Jésus.

La béatitude des persécutés, telle qu'on la trouve en Mt 5,10-12, revient avec une particulière insistance : 2,20; 3,14.17; 4,14. On relève la souplesse dans l'utilisation d'une même formule de base. En prédicateur, Pierre est plus soucieux du sens global et de l'application que de la littéralité. La parole de Jésus est une parole vivante, toujours active dans la communauté. Ces remarques sont importantes pour comprendre la rédaction de nos Evangiles.

Pour parler de la passion du Christ, la première épître de Pierre utilise soit des formules kérygmatiques, soit le texte d'Isaïe 53. Il développe aussi la typologie de l'agneau pascal et présente la mort du Christ comme un sacrifice offert pour les péchés. Mais jamais on ne peut séparer la passion de la résurrection. Une formule nous semble particulièrement significative: nous croyons en Dieu qui a ressuscité le Christ d'entre les morts (1,21). Pour Pierre, la résurrection a une valeur proprement salvifique : elle est le signe de la nouvelle création (1,3) et constitue le fondement du Temple habité par l'Esprit (2,4s). La résurrection du Christ n'ouvre pas seulement une espérance pour l'avenir, elle déclenche déjà dans le monde un dynamisme de rénovation. L'épreuve ne sera donc pas acceptée avec une résignation passive, mais comme le chemin sur lequel il faut avancer pour rejoindre le Christ. Par sa prédication aux esprits en prison, lui-même a manifesté la surabondance de la miséricorde divine qui offre à tous les hommes, même classés comme irrémédiablement perdus, une chance ultime de conversion. Par le rayonnement de leur conduite et leur obéissance responsable, les fidèles doivent eux aussi offrir â ceux qui les calomnient ou les persécutent une possibilité de conversion (2, 12).

En un mot, la première épître de Pierre n’apporte pas de développements nouveaux dans le domaine christologique comme le font par exemple les épitres de la Captivité de Paul (Colossiens ou Éphésiens) ou comme l’épître aux Hébreux, mais sur la base de la foi commune elle manifeste les conséquences pratiques de la foi en Jésus Christ, serviteur souffrant et Messie royal siégeant à la droite de Dieu (3,22).

La vie en Église

Le terme église ne figure pas dans la première épître de Pierre. On aurait tort d'en tirer des conséquences doctrinales, car la pensée de l'église est bien constante dans cette lettre circulaire qui établit le lien entre les membres de la « confraternité » (5,9) répandue dans le monde. Dans le prolongement de l'expérience juive de la Diaspora, cette église est vue comme la communauté des fidèles dispersés, menant une vie analogue à celle des Patriarches en marche vers la patrie véritable. La dispersion des communautés ne peut faire perdre de vue l'unité et la sainteté constitutives de toute l'Eglise, érigée sur le fondement du Christ ressuscité. Les titres d'honneur réservés à l'ancien Israël sont attribués â la communauté chrétienne, véritable « peuple de Dieu » formé en majorité de ceux qui viennent du paganisme ( = « pas son peuple » 2,10). C'est en corps, collégialement, que les fidèles sont invités â remplir l'office sacerdotal de la louange et du témoignage. Toute l'existence chrétienne en acquiert valeur sacrificielle.

Dans cette communauté, les fonctions sont diverses, car la grâce de Dieu est variée en ses effets. Tous, comme de bons intendants, doivent contribuer â la vitalité de leur communauté. Disciple de Pierre, I'auteur continue la fonction d'exhortation de l'apôtre; il s'adresse particulièrement aux presbytres chargés d'assurer la cohésion du troupeau et de montrer l'exemple en payant de leur personne. Malgré sa brièveté, cette exhortation nous a semblé lourde d'une spiritualité évangélique et nous y avons perçu le souvenir du martyre de Pierre On sent qu'avec le recul son ministère propre prend encore plus de relief. N'est-ce pas sous son autorité qu'est envoyée cette lettre circulaire à des communautés qu'il n'avait pas lui-même fondées ?

Rendre compte de l'espérance qui est en nous

Pour une époque troublée comme la nôtre, la première épître de Pierre prend une résonance toute spéciale, en raison de la place que cet écrit fait à l'espérance. S'adressant à des destinataires inquiets et humiliés Pierre les invite à relever la tête : « Honneur â vous les croyants ! » (2,7), non sans doute à cause de leurs mérites personnels, mais en raison de la grande espérance que Dieu leur a ouverte par la résurrection de son Fils (1,3s). La première exhortation invite donc à diriger toute son espérance vers la grâce de Dieu (1, 13 et 21). Cette espérance doit transfigurer toute l'existence au point d'étonner les gens du dehors. De façon typique, Pierre invite à rendre compte non de la foi, comme on s'y attendrait, mais de l'espérance qui est en nous (3,15). C'est donc cette espérance, faite de dignité et de courage, qui attire l'attention et provoque le questionnement. Tout chrétien doit être prêt à répondre au défi, par sa conduite de chaque jour plus encore que par ses paroles (ainsi 3,1s).

L'espoir d'un retour prochain du Christ soutient certes, l'espérance des communautés, mais ne la conditionne pas. Le centre de gravité, c'est la résurrection glorieuse (1,3), si bien que même si les délais se prolongent (voir la seconde épître de Pierre), l'espérance chrétienne ne perd rien de sa joyeuse certitude. L'héritage promis ne craint pas les atteintes du temps (1,4). Surtout l'intensité de l'amour permet de rejoindre déjà Celui à qui nous appartenons en raison de notre baptême. Il n'y a donc pas à décrire à l'avance le bonheur de l'au-delà. Sur ce point, la première épître de Pierre est d'une grande discrétion. Il suffit d'entrevoir que pourra être l'épanouissement de notre attachement actuel au Christ, « Lui que nous aimons sans l'avoir vu; en qui nous croyons sans le voir encore (1,8).

 

© Édouard Cothenet, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 47 (février 1984) « Les épîtres de Pierre », p. 46-48.