L’alliance scellée avec les animaux après le déluge crée, au moins pour certains d’entre eux, des « droits » et des « devoirs ». Ils deviennent, en quelque sorte et de façon analogique, des « sujets » de droit, même si, à travers eux, ce sont surtout les droits et la responsabilité du propriétaire que la loi cherche la plupart du temps à préciser et à garantir. Parmi les lois qui visent à protéger les animaux, on peut citer :

• l’obligation de couvrir les citernes pour éviter que le bœuf ou l’âne d’un voisin n’y tombe (Ex 21,33-34 ; voir Lc 14,5 ; Mt 12,11) ;

• l’obligation de venir en aide au bœuf et à l’âne du frère et d’en prendre soin (Dt 22,1-4), mais aussi de ceux de l’ennemi (Ex 23,4-5) ;

• le repos du shabbat qui concerne aussi les animaux domestiques (Ex 20,10), même en période d’intense activité agricole (Ex 34,21) ;

• l’interdiction de sacrifier des animaux nouveau-nés (Lv 22,26-28) ;

• l’interdiction de frapper un animal à mort (Lv 24,18.21) ;

• l’interdiction de prendre une mère oiseau qui couve ses petits, même si on peut prendre les petits (Dt 22,6-7).

• l’interdiction de museler le bœuf quand il foule le grain (Dt 25,4).

Parmi les lois qui engagent la « responsabilité » de l’animal (et celle de son propriétaire)[1], on trouve :

• la loi sur le bœuf qui encorne (Ex 21,28-32.35-36) ;

• les dégâts causés par des animaux qui broutent le champ d’un voisin (Ex 22,4).

Ces lois bibliques reprises, interprétées et amplifiées par la tradition orale juive témoignent, à tout le moins, de la valeur de la vie animale. Dans le judaïsme, elles fondent le principe bien connu de Tsaar ba’alei hayyîm (litt. : « souffrance des possesseurs de vie ») qui implique, de la part de l’homme, à la fois l’interdiction de toute cruauté envers l’animal, l’exigence de le traiter avec autant de douceur que l’usage le permet et l’obligation de porter secours à celui qui peine, même s’il ne nous appartient pas. Comme le dit aussi le livre des Proverbes, « Le juste connaît l’âme [nèfèsh] de sa bête, mais les entrailles du méchant sont cruelles » (Pr 12,10 ; voir encadré, p. 00). Cette attention due aux animaux découle de la bienveillance divine elle-même (Ps 147,9 : « il dispense au bétail sa pâture, aux petits du corbeau qui crient » ; voir Ps 104,9 ; 145,16 ; etc.) et est une façon d’imiter la compassion du Créateur pour toutes ses créatures (Ps 145,9 : « Il est bon Yhwh envers tous, et ses tendresses pour toutes ses œuvres »). Elle affleure également dans le Nouveau Testament : « Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? / Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » (Mt 6,25-26 // Lc 12,22-24 ; voir aussi Mt 12,11-12).

D’autres passages des premiers écrits chrétiens – chez Paul, par exemple – semblent toutefois nier l’existence d’une telle bienveillance : « En effet, il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain. Dieu s’inquiète-t-il des bœufs ? / N’est-ce pas pour nous seuls qu’il parle ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit ; car il faut de l’espoir chez celui qui laboure, et celui qui foule le grain doit avoir l’espoir d’en recevoir sa part » (1 Co 9,9-10).

Mais ici, il est facile de comprendre que le propos de l’Apôtre est différent : en face de ses accusateurs, Paul cherche à justifier sa position par une lecture allégorique de l’Écriture. De ces propos, il ne faut donc sans doute pas trop tirer de conclusions sur le plan de l’éthique animale et de la théologie de la création, même si l’on doit reconnaître que la tradition chrétienne subséquente, se fondant sur de tels versets, a été largement oublieuse de la place des animaux dans l’économie du salut.



[1] Au Moyen Âge, des procès pouvaient être intentés contre des animaux : à ce sujet, voir Jean Vartier, Les Procès d’animaux du Moyen Âge à nos jours, Paris, Hachette, 1970 ou David Chauvet, La Personnalité juridique des animaux jugés au Moyen Âge, xiiie-xvie siècle, Paris, L’Harmattan, 2012.