Le héros de IV Esdras interpelle Adam sans ménagements

Dans son constat pessimiste de l’état du monde et des hommes, et à plusieurs reprises, le héros de IV Esdras interpelle Adam sans ménagements : très dur avec lui, il le traite comme une sorte de bouc émissaire (Voir "Apocalypse d’Esdras / IV Esdras" [_REF:1075]).

Est-on en présence d’une première formulation de ce que la doctrine chrétienne appellera plus tard « péché originel », avec la transmission génétique d’une avarie morale responsable de tous les maux, et plus que tout de la mort ? Nous n’en sommes pas là. Comme en II Baruch, on en reste à l’idée d’un péché reconductible et non transmissible. Certes, Adam est le premier « pécheur » de la lignée humaine, et s’il est de quelque façon la cause du mal, ce ne saurait être qu’une cause « historique ». Car la grande particularité de son péché, c’est qu’il est le tout premier de l’histoire. Admettons toutefois que l’on est sur la voie de la définition ultérieure du péché « originel ».

IV Esdras a su trouver un moyen terme entre l’impact irréversible et généralisé de la faute d’Adam et la part de responsabilité pécheresse de chacun des hommes dans les avatars malheureux de son destin. Avec adresse et conviction, il utilise à plusieurs reprises la notion hébraïque de yeser (« penchant », « disposition d’âme », ou « cœur) : connue déjà par le Siracide (ou Ecclésiastique), on la retrouve dans certains textes de Qumrân (particulièrement dans les Hymnes ou 1QH). Le terme est volontiers qualifié, accompagné de ra‘, « mauvais », ce qui (dans IV Esdras) donne en latin : cor malignum, « cœur mauvais ». Le mal et le péché dérivent des effets négatifs de ce « penchant » déposé par Dieu dans le « cœur » de tout homme, à commencer par Adam. IV Esdras est net sur ce point. Ce qui ne l’empêche pas de souligner que la responsabilité du premier homme n’est pas simplement un « premier péché » à mettre sur le même plan que ceux des descendants (III, 20-22). Si le péché initié par Adam est reconductible, son caractère primordial lui donne chez ce dernier une surqualification propre. Mais l’on ne peut parler pour autant de péché originel, pas plus que dans l’Épître aux Romains de Paul de Tarse.

Dans l’intention divine, le yeser ne semble pas se présenter comme une chose mauvaise en soi, la littérature rabbinique postérieure le précisera. Son effet devrait se limiter à l’activation de passions sans lesquelles l’espèce humaine ne se reproduirait pas, l’art et les civilisations et toutes formes d’entreprises n’existeraient pas (Midrash Bereshit Rabbah IX, 7). Chaque homme est responsable de son investissement négatif, ce que l’on ne peut éviter qu’avec l’aide divine de la Loi.


© André Paul, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 153 (septembre 2010), "De l'Ancien Testament au Nouveau - 2. Autour des Prophètes et des autres Écrits", pages 39-40.