C'est une prière de supplication qui est composée de quatre moments...

C'est une prière de supplication. Après l'introduction narrative de 9, 1, elle est composée de quatre moments : demande d'aide au Dieu de '' mon père Siméon '' (v. 2-4), au Dieu maître de l'histoire (v. 5-6), demande d’intervention contre les Assyriens (v. 7-10), reconnaissance de Dieu comme protecteur d’Israël (v. 11-14). Elle est comparable à celle d'Esther (Est C, 12 – 30), à la prière de Daniel (Dn 9, 4-19), à la supplication de Sara (Tb 3, 11-15).

Une attitude de deuil (9, 1).
Judith se dévêt pour la prière : les gestes et signes de deuil apparaissent, notamment ce '' sac '', vêtement de pénitence, en poil de chèvre ou de chameau, qui laissait à découvert le buste et les jambes. Comme en Dn 9, 21, sa prière correspond à l'heure de l'oblation du soir. Elle exprime ainsi sa communion dans la foi et la prière avec le culte du Temple de Jérusalem.

Le Dieu de Siméon (9, 2-4).
L'invocation initiale au Dieu '' de mon père Siméon '' évoque à mots couverts le viol de Dina, fille de Jacob et Léa, et le châtiment frauduleux des coupables par Siméon et Lévi (Gn 34). Si Jacob en Gn 34, 30 reproche à ses fils leur vengeance criminelle, d'autres textes comme le Testament de Lévi 6-7 ou le livre des Jubilés 30 excusent leur tromperie et le massacre des Sichémites affaiblis par leur toute récente circoncision. Judith fait de même, attribuant à Dieu lui-même un propos du narrateur de la Genèse : '' Il n’en sera pas ainsi '' (Gn 34, 7 repris en Jdt 9, 2), propos qui justifie ruse, tuerie, pillage et partage des dépouilles '' entre tes fils bien-aimés, jalousement zélés pour toi, qui avaient eu horreur de la souillure de leur sang et t'avaient appelé à l'aide. '' La tromperie projetée par Judith pour vaincre Holopherne est déjà annoncée. '' O Dieu, mon Dieu, exauce-moi, moi qui suis veuve '' : veuve, certes, comme Avigaïl (1 S 25, 39-42), Bethsabée (2 S 11, 26-27) ou Ruth (Rt 1, 6), mais non pas nécessiteuse (voir Ex 22, 21-23 et //). Le viol de Dina est vécu par Judith comme une infamie nationale.

Le Maître de l'histoire (9, 5-6).
Dieu est le Dieu du passé, du présent et de l'avenir. Tous les événements lui sont contemporains : '' Toutes tes voies sont prêtes et ton jugement est porté avec prévoyance ''.

Supplication pour le présent (9, 7-10).
Judith présente en détails les Assyriens, leur arsenal militaire et leurs projets de '' profaner tes lieux saints, de souiller la tente ou repose ton nom glorieux et de renverser par le fer la corne de ton autel '' (9, 8). Judith ne peut répondre par le même arsenal : '' Aux uns les chars, aux autres les chevaux / à nous d'invoquer le nom du Seigneur notre Dieu / Eux, ils plient, ils s'effondrent /nous debout, nous résistons '' (Ps 20 [19], 8-9).

Une première demande concerne le Seigneur : '' Regarde leur orgueil, envoie ta colère sur leurs têtes '' (v. 9a). Elle reprend le langage des oracles contre Assur (Is 10, 12).

Une seconde s'applique à Judith : ses armes, ce sont sa main et ses lèvres ! Judith a donné l'assurance aux chefs de Béthulie que le Seigneur visiterait Israël '' par sa main '' (8, 33). Dans la supplication, son plan se dévoile : '' Donne à ma main de veuve la force que j'ai méditée / Frappe par les lèvres de ma tromperie l'esclave à côté du chef et le chef à côté de son serviteur / Broie leur haute taille par un main de femme '' (v. 9b-10).

'' Comment une femme pourrait-elle accomplir cette uvre divine ? Elle est faible ; elle est le symbole d'une race démunie devant la force d'un empire mondial païen. Elle utilisera la ruse. Sa collaboration provisoire avec le général qui représente l'hellénisme sera la feinte de la Sagesse divine. La rouerie du serpent de la Genèse, au paradis terrestre va se retourner contre les ennemis de Dieu… C'était un des attributs de la sagesse traditionnelle que cette souplesse diplomatique toute orientale, destinée à blouser les barbares. Judith usera de l'entregent dont Dieu a doué ses meilleurs serviteurs. Elle mettre au service de Dieu l'habileté cauteleuse dont Jacob, son ancêtre vénéré, avait fait preuve en ''Syrie de Mésopotamie'' '' (J. Steinmann, p. 81-82).

Le protecteur d’Israël (9, 11-14).
La titulature développée dans les v. 11-12 est un véritable credo qui énumère dix des attributs du Seigneur qu'elle invoque. Dieu des humbles et roi de toute la création, il est '' Dieu de mon père, Dieu de l’héritage d’Israël ''. Les v. 13-14 appliquent cette titulature à la situation présente : '' Exauce ma prière, fais que ma parole et ma tromperie blesse […] et que l'on reconnaisse que nul autre que toi ne veille sur la race d'Israël ''.

La prière de Judith est celle d'une femme qui projette la libération de son peuple. Les ennemis de son peuple sont les ennemis de Dieu. Consciente de sa propre faiblesse et du désespoir de son peuple, elle en appelle au Dieu des pauvres, des petits (v. 11), au Dieu de sa famille. Elle n'en appelle pas au Dieu des armées, YHWH Sabaot, ni au Dieu du Temple ou de la Loi. Son Dieu s'est manifesté jadis en faveur de son peuple, au temps ancien de son père Siméon.

Alors qu'à la période hellénistique, la réputation de la personne prend de l'importance, Judith ne se préoccupe que de la réputation du Seigneur. C'est dans sa foi, dans sa méditation des événements du salut de sa propre famille que Judith tire son audace et sa force.


Encadré : La femme avisée
'' La figure de Judith domine tout le récit : belle (10, 4.7.14.19.23 ; 11, 21.23 ; 12, 13 ; 16, 6.9), avisée, pleine de décision au milieu d'une cité désemparée, ferme, courageuse, et poussant l'audace jusqu'à la témérité, très à son aise dans l'art de séduire et de mettre en uvre les artifices de la ruse et du mensonge (9, 10 ; 10, 13-14 ; 11, 5-6.16-17 ; 12, 4.14-15), par ailleurs très '' observante '' et soucieuse de pureté alimentaire (10,5 ; 11,3 ; 12,2) et corporelle (12, 7.9), un peu hautaine, fière à l'avance de '' l'exploit qu'elle va accomplir et qui se transmettra de génération en génération '' (8, 32) mais comptant sur Dieu qu'au moment décisif elle invoque d'une manière pathétique : '' Fortifie-moi, Seigneur, Dieu d'Israël en ce jour ! '' (13, 7). En fin de récit, l'auteur nous apprend que '' beaucoup la désirèrent, mais aucun homme ne la connut de tous les jours de sa vie '' (16, 22) ! Comme cela se comprend : quand on a tué Holopherne, on ne prend plus de mari. ''
(E. Osty, '' Introduction au livre de Judith '', Bible Osty-Trinquet, Le Seuil, Paris, 1973, p. 949-950.)


© Daniel Doré, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 132 (juin 2005) "Le livre de Judith ou la guerre et la foi",  p. 28-29.