"Comme la Pâque des Juifs approchait"...

Lecture de Jn 2,13-25
[3e dimanche de Carême – Année B (Jn 2,13-25) ;
Dédicace du Latran (Jn 2,13-22)]


Nous étions jusque là dans le cadre d’une semaine : quatre jours, puis la mention d’un " troisième jour ". Nous passons maintenant à une autre indication chronologique : " Comme la Pâque des Juifs approchait " (2,13). L’indication ne donne pas une date extrêmement précise. Mais elle nous situe dans une période qui précède une fête religieuse de pèlerinage capitale pour les Juifs, puisqu’elle est un mémorial de la sortie d’Égypte.

Jésus monte à Jérusalem. On ne saura pas comment il a célébré concrètement les sept jours que dure la fête. L’évangéliste nous informe seulement d’un événement qui se déroule dans le Temple et qui a dû sérieusement perturber les préparatifs de la solennité. Cependant, tel qu’il est raconté, il ne semble pas avoir suscité de révolution à Jérusalem. En tout cas, il n’a pas provoqué l’intervention de l’armée romaine, ni celle des gardes du grand prêtre, mais seulement une question sur l’autorité de Jésus. De ce point de vue, la signification de l’épisode est très différente de celle donnée par les évangiles synoptiques.

Lecture d’ensemble

L’expulsion des marchands du Temple est racontée vers le début de la vie publique de Jésus, alors que, selon les évangiles synoptiques, elle a eu lieu après l’entrée messianique à Jérusalem et avant la Passion (Mt 21,1-9 et // ; version considérée comme vraisemblablement plus historique). Cet événement est mis en relation avec la première des trois fêtes de Pâque célébrées par Jésus dans l’évangile de Jean, les deux autres étant signalées en 6,4 (multiplication des pains et discours du pain de vie) et 11,55 (onction de Béthanie, dernier repas et événements de la Passion).

C’est la première fois que Jésus se trouve dans la Ville sainte et dans le Temple. Jusqu’à présent, dans l’évangile, Jérusalem n’a été mentionnée que par rapport à la délégation de prêtres et de lévites envoyée vers Jean le Baptiste pour l’interroger sur son identité. Le témoignage du Baptiste portait alors à reconnaître en Jésus l’" Agneau de Dieu ". Or, celui-ci va expulser tous les animaux prêts pour le sacrifice, provoquant un déplacement de sens : en l’absence d’animaux, il ne reste que lui, qui va se présenter comme le sanctuaire démoli et reconstruit.

Plusieurs éléments mettent ce passage en relation avec la Pâque de la mort et résurrection de Jésus : le Temple détruit et reconstruit en trois jours, faisant allusion à son propre corps (2,21) ; la " mémoire " des disciples qui les aide à comprendre, après la résurrection, le sens du geste de leur maître (2,22). Dans les évangiles synoptiques, la parole de Jésus sur la destruction du Temple est dite par des témoins lors du procès devant le Sanhédrin (cf. Mc 14,58). D’après Jean, Jésus ne comparaîtra pas devant le Sanhédrin pendant sa Passion. C’est à sa première venue à Jérusalem que Jésus annonce, avec l’image de la destruction du sanctuaire, sa mort et résurrection.

Au fil du texte

1) Après l’indication chronologique et locale, le texte donne une description détaillée des marchands et du geste de Jésus : un fouet avec des cordes ; les brebis et les bœufs (mentionnés deux fois) sont expulsés du Temple ; la monnaie des changeurs est jetée par terre et leurs comptoirs renversés ; les vendeurs de colombes reçoivent un ordre et une exhortation. Plus de sacrifices d’animaux, plus d’achat, de vente ni d’échange : " la maison du Père " ne doit pas être une maison de trafic.

2) Devant ce geste subversif, les " Juifs " n’accusent pas Jésus, mais lui demandent un signe qui justifie son acte. Jésus répond : " Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai " (2,19). La Lectionnaire traduit par " Temple " deux termes différents : celui utilisé par le narrateur, en grec " hieron " (Jn 2,14.15), désignant toute l’enceinte du Temple avec les différents parvis et c’est de là que Jésus chasse marchands et animaux ; celui utilisé par les Juifs, en grec " naos " (Jn 2,19.20 et 21), signifiant la partie la plus intérieure, marquant la " demeure " de Dieu. Or, en parlant du " Temple " comme édifice, Jésus n’emploie ni l’un ni l’autre terme mais " la maison de mon Père " et quand il emploie le mot " naos ", il fait référence à son corps. Le signe demandé lors de la première Pâque sera donné à la troisième Pâque pendant laquelle Jésus va mourir comme l’agneau pascal dont les os n’étaient pas brisés (Jn 19,36).

3) Un malentendu s’instaure entre Jésus et ses interlocuteurs. Ceux-ci pensent à l’édifice de pierre qui a nécessité quarante-six ans pour sa construction, tandis que Jésus parle de son corps. C’est ce qu’explicite le narrateur en ajoutant un commentaire à l’adresse des lecteurs (2,21). Les disciples, eux, accèderont à la compréhension après l’ultime Pâque, celle de la résurrection.

4) La " mémoire " est signalée deux fois dans ce passage. Devant les gestes de Jésus, les disciples se souviennent de l’Écriture : " L’amour de ta maison fera mon tourment " (Jn 2,17, emprunté à Ps 69,10). Dans un deuxième temps de mémoire, ce sont les paroles de Jésus, qui seront relues et interprétées à la lumière de l’événement pascal : " Quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite " (2,22).


© Bernadette Escaffre, SBEV / Éd. du Cerf,Cahier Évangile n° 145 (septembre 2008) "Évangile de J.-C. selon St Jean. 1 – Le Livre des signes (Jn 1-12)", pages 22-24.