Le prophète Osée eut beaucoup de succès après sa mort...
Le prophète Osée eut beaucoup de succès après sa mort. Cela n'est guère surprenant, l’époque qui fut la sienne s'achevant par un désastre particulièrement lourd de conséquences pour Israël. La lutte du prophète contre Ba'al et contre la politique d'alliances des responsables de Samarie avait été vaine, on ne l'avait pas écouté et le désastre était arrivé comme il l'avait annoncé. Le cœur de son message, dans les perspectives théologiques de l'époque, s'avéra exact : ni Ba'al ni l'Égypte n'avaient été en mesure de sauver Israël. La parole d'Osée prit alors, pour l'ensemble du peuple, des dimensions théologiques qu'elle n'avait pas eues auparavant, particulièrement pour les quelques rescapés qui trouvèrent refuge en Juda, dernier bastion et ultime référence théologique du peuple de Yhwh.
On ne connaît pas grand-chose de la personne d'Osée, hormis l'histoire de son mariage, dont les textes ne nous permettent pas d'ailleurs de nous faire une idée bien précise; mais ce qui a été dit quant à ses prises de position théologiques et politiques permet de penser qu'il devait être proche des milieux d'opposition hostiles à la cour et aux sanctuaires baalisés, que l'on retrouvera aux origines du Deutéronome et de son école.
On peut établir de nombreux parallèles entre le Deutéronome et les textes d'Osée; les rapports entre Israël et Yhwh également présentés dans le registre de l'affectivité: il faut aimer Yhwh et non pas les Ba'als (Dt 6, 5; 11,1; 13,4; 23,6); Israël est aimé par Yhwh (Dt 4,37; 7,13); l'image père-fils, pour représenter les relations de Yhwh avec Israël, comme il a déjà été dit lors de l'étude d'Os 11; ou encore l'un des termes clés de la théologie d'Osée, le verbe « connaître » (yada '): Yhwh a connu Israël (9, 24), sa marche dans le désert (2, 7), il veut connaître ce qu'il y a dans son cœur (8, 2), il va éprouver Israël pour savoir s'il l'aime (13 4), il connaît le projet d'Israël (31, 21), Israël doit « connaître » (= reconnaître) son Dieu: « Que c'est Lui le seul » (4,35.39; 7,9), que c'est lui qui l'éduque (8, 5), qui passe le Jourdain avec lui (9, 3) et qu'il le fait par grâce (9, 6), enfin que sa force est grande (11,2). Le Deutéronome précise également qu'il n'est pas facile de reconnaître la parole du Seigneur (18,21), mais le Seigneur a donné à Israël un cœur pour reconnaître... (29, 3.5) et il doit connaître son histoire (29, 15). Ceux qui ne le savent pas l'apprendront (31, 13).
L'influence d'Osée est tout aussi perceptible dans les livres prophétiques, particulièrement chez Jérémie et Ezéchiel. L'image « père-fils » est souvent employée par Jérémie Jr 3,4; 31,9; et également l'image «mari-femme», surtout au chapitre3. Le prophète Ezéchiel utilise aussi cette représentation dans deux chapitres célèbres: 16 et 23. A noter que dans tous les cas ces images comportent des variantes importantes. Enfin, Ezéchiel et Osée se situent dans une même tradition théologique fixant en Égypte le début des relations entre Israël et Yhwh (cf. Ez 20 et 23), alors que d'autres traditions commencent avant. L'image « mari-femme » figure également en Is 54, où elle exprime ie pardon et la tendresse du Seigneur pour son peuple.
Cela dit, la postérité d'Osée déborde les livres prophétiques. Ainsi, même s'il n'en fait pas un usage systématique, le Nouveau Testament utilise des textes du prophète à des moments clés : Mt 2 15 cite Os 11,1 dans le texte midrashique de la fuité en Égypte : Jésus devient le fils que le Seigneur appelle d'Egypte; le peuple, Israël, se concentre en Jésus, s'identifie à lui. Par ailleurs, en utilisant l'image du « fils », Mt veut sans doute révéler l'un des aspects fondamentaux de la personnalité de Jésus.
Le problème des rapports « culte-justice » est l'un de ceux que tous les prophètes traitent, et l'un des axes spécifiques aux prophètes d'Israël. Cette vision théologique qui met le culte en retrait par rapport à la justice constitue l'un des points de contact les plus forts entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans cette perspective, Os 6, 6 est cité deux fois par Mt: en 9, 13 pour justifier l'accueil des pécheurs face au rigorisme des pharisiens, et en 12, 7, dans un contexte également de controverse, pour expliquer à quel point l'homme est plus important que le culte. Os 2, 25 est cité deux fois: en Rm 9, 25 et en 1 P 2, 10: pour démontrer que Dieu accueille les païens, le texte de Paul citant également, et dans le même but, Os 2,1.
D'autres références de textes néotestamentaires sont plus problématiques. 1 Co 15, 55 cite Os 13, 14 dans le contexte « mort-résurrection », mais l'utilisation qui en est faite transforme complètement le sens du texte dans son contexte propre. Paul recourt en effet à la phrase d'Osée: « Mort où sont tes calamités ? Séjour des morts, où est ton fléau ? » pour signifier que la mort, en Christ, a été vaincue, alors que le texte prophétique, prononcé par Dieu, servait plutôt à appeler ces « instruments de Dieu » pour châtier Israël; les sens sont donc vraiment opposes.
© Jésus Asurmendi, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 64 (Juin 1988), « Amos et Osée », p. 51-52.