Lecture de Jn 18,1 – 19,42[Vendredi Saint, Célébration de la Passion, Jn 18,1 – 19,42]Tandis que le lavement des pieds, le discours d’adieu et la prière sacerdotale sont propres au Quatrième évangile, le récit de la Passion qui commence en 18,1 a beaucoup d’éléments communs avec la tradition synoptique dans le déroulement général des événements. On doit reconnaître cependant de nombreuses particularités johanniques.
La liturgie nous fait écouter tout le récit de la Passion selon Jean chaque Vendredi saint, ce qui nous permet d’avoir une vision d’ensemble du récit johannique, au contraire des liturgies dominicales qui ne nous offrent que des " tranches " d’évangile. Cependant cette longue lecture nous empêche peut-être de nous arrêter sur l’un ou l’autre point. Deux courts passages peuvent être entendus de façon plus attentive durant l’année B, où ils sont lus lors de la fête du Sacré Cœur (19,31-37) et celle du Christ Roi (Jn 18,33b-37).
Le Quatrième évangile met l’accent sur la liberté de son personnage, de telle façon que Jésus donne parfois l’impression de survoler les événements, comme s’ils ne le touchaient pas, ce qui peut expliquer l’importance de cet évangile chez des groupes gnostiques. Cependant, il ne faut pas oublier l’insistance sur l’humanité de Jésus et donc être attentifs aux caractéristiques de Jésus comme " homme " (anthrôpos) dans le récit de la Passion. Le Quatrième évangile est le seul à rapporter : " Voici l’homme ! " (19,5) quand Jésus flagellé, couronné d’épines et humilié est présenté à la foule. Si Jésus est libre, c’est en tant qu’homme et non en tant qu’ange ou dieu.
Si nous nous basons sur l’unité de lieu, le récit de la Passion apparaît formé de cinq scènes constituant une structure concentrique :
– A 18,1-12 : Arrestation de Jésus (lieu : jardin)
– B 18,13-27 : Jésus face au grand prêtre (lieu : dans la cour du grand prêtre) + négations de Pierre
– C 18,28 – 19,16a : Jugement du " roi des Juifs " devant Pilate (lieu : Prétoire).
– B’ 19,16b-37 : Crucifiement (lieu : Golgotha) + disciple que Jésus aimait
– A’ 19,38-42 : Sépulture de Jésus (lieu : jardin)
Une telle structure met en évidence la place centrale du procès chez Pilate, pendant lequel Jésus, présenté comme " l’homme " par excellence, sera condamné comme " roi des Juifs ", dévoilant les caractéristiques de la royauté selon le vouloir divin.
Les scènes A et A’ se correspondent. Pour la scène de l’arrestation, tandis que Marc et Matthieu la situent à Gethsémani, sur le Mont des Oliviers, Jean nous dit seulement qu’elle se déroule dans un jardin au-delà du Cédron. La première scène A, celle de l’arrestation de Jésus qui est " ligoté " (18,12) par des gardes du Temple et des soldats romains, ainsi que celle de l’ensevelissement (A’) où Jésus est " ligoté " (19,40, même verbe au même temps) dans les bandelettes, ont lieu dans un jardin dont le nom n’est pas précisé. Pour l’ensevelissement, les Synoptiques indiquent que le corps de Jésus est mis dans un tombeau creusé dans le roc ; il n’est pas question de jardin. Par contre, Jean précise que le tombeau est neuf et qu’il se trouve dans un jardin.
Les scènes B et B’ ne se déroulent pas dans le même lieu. Il existe cependant un point commun entre elles : ce sont les deux seuls passages de la Passion où un disciple joue un rôle concret face à Jésus, et les deux seuls du Livre de l’Heure (à part le moment de l’arrestation) dans lesquels Pierre et le Disciple aimé sont présents indépendamment l’un de l’autre. Ces deux disciples sont présentés en contraste : dans la scène B, Pierre nie être disciple de Jésus ; dans la scène B’, le Disciple aimé entend les dernières paroles de Jésus, reçoit la mère de celui-ci comme mère et assiste aux événements pour en être le témoin.
L’arrestation (18,1-11)Lecture d’ensembleDeux groupes s’affrontent dans le jardin : Judas, la cohorte et les gardes d’un côté, Jésus et ses disciples de l’autre. Judas n’est plus dans le groupe de Jésus, et il disparaît tout de suite dans l’anonymat (après le v. 3, il n’est plus nommé). La cohorte et les gardes sont venus avec " des lanternes et des torches " (v. 3), moyens d’éclairage qui ne leur permettent pas de voir celui qui s’est présenté comme la " lumière du monde ".
Pierre et Jésus dans la cour du grand prêtre (18,12-27)Lecture d’ensembleContrairement aux Synoptiques, Jésus et Pierre, d’après Jean, se trouvent au même endroit " dans la cour ". L’interrogatoire de Jésus chez le grand prêtre est construit en parallèle et contraste avec l’" interrogatoire " de Pierre par la servante et les gardes. Si l’un est mené par Jésus face à un grand prêtre passif, dans l’autre, Pierre perd son identité, avec un " Je ne suis pas " qui rappelle en creux les affirmations de Jésus. Tandis que Jésus ligoté est libre, Pierre, non attaché, se dévoile prisonnier.
Au fil du texte 1) Dans ce passage, Jésus est le personnage qui parle le plus longtemps en style direct. L’emploi du verbe laleô (" parler " quatre fois, v. 20, 21 et 23) est réservé à Jésus. Sa parole n’est donc pas un simple " dire " (verbe legô). Les temps de ce verbe montrent que Jésus a parlé non seulement dans le passé (temps aoriste, mode indicatif en grec), mais que sa parole demeure (temps parfait en grec). Notons les mentions de l’activité au grand jour : il a parlé publiquement au monde, il a toujours enseigné en synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent. Cela, ajouté au fait qu’il n’ait rien dit en secret (v. 20), donne à la parole de Jésus une dimension universelle et permanente. Elle demeure dans le temps, s’étend dans l’espace et s’adresse à tous les membres du peuple d’Israël et même au monde.
2) Jésus est le seul personnage qui ait vraiment la parole et la garde. Il exprime deux " Pourquoi ? " en s’adressant à des personnes (" tu " ; il s’agit du grand prêtre et d’un garde), mais n’obtient aucune réponse de leur part. Il remet en question le grand prêtre qui n’a plus rien à dire, Caïphe ayant tout dit, de manière prophétique – et sans le savoir – après la résurrection de Lazare (11,50). Pierre devient muet. Seul Jésus garde la parole et a le dernier mot. L’épisode se termine sur une double question sans réponse : " Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? " (v. 23). Cette fin en point d’interrogation ouvre le sens de la mort de Jésus : aucune accusation n’est formulée pour justifier la violence infligée. Il n’a donc pas " mal parlé " et c’est un innocent qui sera condamné.
(…)
© Bernadette Escaffre, SBEV / Éd. du Cerf
,Cahier Évangile n° 146 (décembre 2008) "Évangile de J.-C. selon St Jean. 2 – Le Livre de l’Heure (Jn 13–21)", pages 27-29..