Lecture de Jn 6,1-15[17e dimanche ordinaire – Année B (Jn 6,1-15)]Le Lectionnaire s’attarde sur le chapitre 6, la multiplication des pains et le discours sur le pain de vie, qu’elle va présenter au cours de plusieurs dimanches de l’année B. Toutefois certains versets de ce chapitre sont exclus de la lecture dominicale : la marche de Jésus sur les eaux et la recherche de Jésus par la foule (6,16-23), quelques versets du discours (6,36-40), l’information sur le lieu de l’enseignement (la synagogue de Capharnaüm ; 6,59) et l’annonce de la présence d’un traître parmi les Douze (6,70-71).
Lecture d’ensembleLe long chapitre 6 peut être divisé en cinq unités qui forment une structure concentrique auquel le découpage du Lectionnaire ne rend pas justice :
A – 6,1-15 : La multiplication des pains ;
B – 6,16-21 : La traversée nocturne de la mer ;
C – 6,22-59 : Le discours de la synagogue de Capharnaüm ;
B’ – 6,60-65 : Des disciples lâchent Jésus ;
A’ – 6,66-71 : La confession de Pierre et l’annonce de la trahison de Judas.
Sans mentionner ici tous les détails qui permettent un tel découpage et les relations entre les parties correspondantes de la structure, nous pouvons attirer l’attention sur le changement des personnages et/ou des lieux :
o Jésus reste protagoniste dans tous les passages, même quand il s’absente, car il est l’objet de la quête de la foule qui le retrouve bientôt.
o Dans la scène A, Jésus se déplace de l’autre côté du lac de Galilée et monte " sur la montagne " d’où, assis avec ses disciples, il voit arriver une foule nombreuse. Deux disciples sont nommés : Philippe et André.
o La scène B voit un déplacement vers le lac. Les disciples montent sur une barque et Jésus les rejoindra à pied sur les eaux. Cette scène se termine par l’arrivée sur la terre ferme. La foule est absente de ce passage.
o Dans la partie centrale C, la plus longue, la foule se déplace vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. Une fois trouvé, une discussion s’instaure et Jésus leur parle du pain de vie. Un personnage-groupe intervient dans cette section : les " Juifs ". La section se termine en nous informant de l’endroit où s’est déroulé l’enseignement : la synagogue de Capharnaüm. Les personnages sont donc bien restés dans un même lieu.
o La scène B’ est centrée sur les disciples, dont un grand nombre trouve dures les paroles de Jésus. Les sections B et B’ mettent en scène Jésus et les disciples.
o La section A’ commence par constater de l’abandon de bon nombre de disciples. Il ne reste que les Douze auxquels Jésus demande s’ils veulent partir eux aussi. Pierre prend alors la parole pour affirmer sa/leur fidélité à Jésus. Jésus détache un autre disciple du lot : Judas. Comme dans la section A, deux disciples sont donc mentionnés. On peut ajouter le chiffre douze présent en A (les douze paniers remplis du pain qui reste) et en A’ (les Douze [disciples] rarement cités dans le Quatrième évangile).
Au fil du texte 1) Quand Jésus voit venir la foule, il ne s’adresse pas aux gens qui s’approchent mais se tourne vers Philippe et lui pose une question surprenante : " Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? " (6,5). Le verbe " acheter " étonne en effet sur les lèvres de quelqu’un qui n’a pas l’habitude de se préoccuper des questions financières. L’étonnement est d’autant plus grand que le narrateur précise l’intention de Jésus : il savait ce qu’il allait faire, mais pose la question pour " tenter " (" mettre à l’épreuve " dit la Traduction liturgique qui adoucit le verbe grec " peirazô ") Philippe.
2) Philippe se laisse prendre au piège de la question et répond en termes économiques et arithmétiques : " Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain " (6,7). Calculs justifiés : la foule ne peut pas être rassasiée par un achat – onéreux – de pains. Quant Jésus demande " Où " (littéralement " d’où ? "), une réponse est d’ailleurs à exclure, celle de chercher des ressources parmi les disciples : aucun d’entre eux ne peut avoir sur lui une telle somme. L’intervention d’André, qui signale la présence d’un jeune garçon porteur de cinq pains d’orge et de deux poissons, n’apporte pas plus de solution que les calculs de Philippe : " Qu’est-ce que cela pour tant de monde ? " (6,9).
3) La réponse de Philippe débouchant sur une impasse, c’est un autre chemin qu’il faudra prendre. Si on prend celui de l’Écriture, on voit que le terme utilisé par Jésus rappelle un passage biblique du prophète Isaïe : " Bien que vous n’ayez pas d’argent, venez achetez [Jn 6,5 utilise le même verbe que la traduction grecque de la LXX] du blé et mangez gratuitement ! " (Is 55,1). Dans ce passage, le prophète indique au peuple la nourriture – pain et parole – offerte par Dieu. Celle-ci n’a pas de prix, car elle est le don de l’amitié et de l’amour, et ne peut donc " s’acheter " que gratuitement.
4. L’adverbe interrogatif " d’où ? " (important dans l’évangile de Jean ), renvoie par ailleurs à un autre passage biblique. " D’où prendrai-je de la viande pour donner à tout ce peuple ? " (Nb 11,13) dit Moïse au Seigneur quand les Hébreux réclament de la viande dans le désert. Bien sûr, l’adverbe seul ne permettrait pas de mettre en relation ces deux versets (Nb 11,13 et Jn 6,5) si le contexte ne nous nous autorisait à le faire :
• les personnages : un dialogue à deux (le Seigneur et Moïse d’une part, Jésus et Philippe d’autre part) ;
• l’objectif : nourrir une foule nombreuse ;
• le lieu : la montagne que gravit Jésus est une réminiscence du Sinaï d’autant plus que l’attitude assise de Jésus est typique de l’enseignant dont Moïse est le modèle par excellence.
Le parallélisme des deux passages n’est pas strict, mais le récit de Jean joue sur des échos qui vont de l’Exode au livre des Nombres, en particulier à propos du don de la manne, pain du ciel – même si, en Nb 11, le peuple exprime son écœurement de celle-ci. Dans son discours, Jésus va d’ailleurs en reprendre le thème en se présentant lui-même comme pain du ciel.
5. Jésus demande aux disciples d’inviter tout le monde à un repas, non pas hâtif mais quelque peu solennel. Il prend les quelques pains et les deux poissons, ne fait ni les calculs de Philippe, ni ceux d’André, et rend grâces. Il accomplit le geste du père de famille au début du repas auquel il a convié la foule présente. Après la distribution, tout le monde est rassasié et il y a des restes. Nous sommes passés du calcul qui divise et ne permet pas de nourrir les personnes au geste qui déclenche la surabondance. L’ouverture à la Parole de Dieu et au don du Père par le Fils comble les besoins de chacun à partir du peu donné par un jeune anonyme (cinq pains, deux poissons). Est même envisagé un avenir où d’autres pourront se rassasier : " Ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restaient " (6,13).
© Bernadette Escaffre, SBEV / Éd. du Cerf
,Cahier Évangile n° 145 (septembre 2008) "Évangile de J.-C. selon St Jean. 1 – Le Livre des signes (Jn 1-12)", pages 32-35.