Jésus n'est pas venu pour mourir, mais pour prêcher la Bonne Nouvelle...

Le bruit fait autour de l'apocryphe Évangile de Judas montre que les fausses conceptions sur la mort de Jésus tournent encore dans la tête de beaucoup. Ils ont quelques excuses :
- dans une culture saturée de sacrifices d'animaux (dans le Temple juif et chez les gréco-romains), le N.T. a interprété cette mort dans les catégories d'offrande à Dieu, de sacrifice sanglant, d'expiation pour les péchés (en particulier l’épître aux Hébreux),
- dans les évangiles, Jésus lui-même emploie souvent les expressions " il faut ", " je dois ", ou bien " le Fils de l'homme va être livré ", tournure passive qui peut être une manière de ne pas nommer Dieu,
- au moment de l'agonie, la prière de Jésus marque un écart douloureux avec la volonté du Père, comme si celle-ci exigeait directement la mort de son Fils,
- la théologie de la substitution, jusqu'au 19e siècle au moins, prétendait que les péchés de l'humanité étaient de qualité " infinie " à cause de la Personne offensée (Dieu lui-même) et donc ne pouvaient être expiés que par une souffrance de qualité " infinie ", celle du Fils de Dieu, venu pour se substituer dans le châtiment à l'humanité pécheresse,
- le Credo lui-même passe directement de la naissance de Jésus à sa mort sous Ponce Pilate, comme s'il n'était venu que pour cela.

Il importe de réagir. Jésus n'est pas venu pour mourir, mais pour prêcher la Bonne Nouvelle, en rassemblant des disciples décidés à vivre cette Bonne Nouvelle avec lui. Il espérait que son peuple accepterait cette Bonne Nouvelle et la porterait aux nations (ce qui s'est d'ailleurs produit, mais avec un " petit reste " de son peuple).

Refusant les tentations, Jésus, en accord avec le Père, a choisi la voie de la prédication et du messianisme humble. Aux pécheurs, Jésus ne parlait pas d'expiation mais de l'amour miséricordieux du Père. Mais prêcher la Bonne Nouvelle implique de dénoncer ce qui s'y oppose, ce qui s'oppose au Règne et à la volonté de Dieu de sauver tous les humains, en particulier les pauvres et les humbles, donc dénoncer l'oppression religieuse exercée par les autorités et les guides sur le peuple de Dieu.

Très vite, Jésus s'est rendu compte de la haine de certains et du danger qu'il représentait pour les autorités par son succès auprès des foules. Dès lors, deux chemins s'offraient à lui : ou bien revenir en deçà des tentations et choisir la voie du pouvoir, du messianisme guerrier ; ou bien continuer son engagement pour la Bonne Nouvelle et le Règne, en acceptant la perspective de la mort des prophètes (d'où les " il faut "). Cette perspective ouvrait un sens plus profond pour sa vie trop brève : montrer que l'amour de Dieu désarmé, livré à l'humanité, est plus fort que la violence, les péchés d'orgueil et d'injustice, les idolâtries de l'argent et du pouvoir ; que le don de sa vie, don du Fils de l'homme, don Fils de Dieu, ferait une brèche décisive dans les murs de haine entre Juifs et non juifs, entre Juifs et Samaritains ; que le don de sa vie, parce que don de l'Esprit de Dieu, produirait du fruit et susciterait beaucoup de disciples.

Cette volonté de poursuivre son engagement, même si on le tue, Jésus sait que c'est aussi la volonté du Père : ainsi le don de sa vie aux hommes sera aussi don de sa vie au Père, dans la foi que le " Dieu des vivants " lui redonnera au centuple la vie qu'il va perdre. Accepter de mourir pour son engagement et pour transformer une situation est tout autre chose qu'un suicide. D'où, au mont des Oliviers, cet écart entre la volonté du Père de le voir poursuivre son engagement jusqu'au bout (volonté qu'il partage au plus profond) et le désir très humain (" ma volonté ") d'échapper aux souffrances et à une mort cruelle.

Les motifs de Judas nous échappent mais, selon les quatre évangiles, il n'y a pas eu d'accord entre lui et Jésus, encore moins une demande de la part de Jésus de l'aider à accomplir à un décret arbitraire de Dieu. La mort de personnes admirables de notre temps (d’ailleurs souvent inspirées par la mort de Jésus), qui poursuivent leur engagement malgré les menaces, et dont la mort produit des changements profonds et fortifie leurs disciples, fournit des catégories nouvelles à la théologie, pour penser et exprimer la mort de Jésus de manière plus compréhensible pour nos contemporains, même si elle restera toujours un Mystère qui nous dépasse.


© Yves Saoût, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 137(septembre 2006) "Évangile de Jésus Christ selon saint Luc",  p. 96 (encadré).