La lettre aux Hébreux est un écrit original dans le Nouveau Testament...

La lettre aux Hébreux est un écrit original dans le Nouveau Testament, car elle est le seul écrit qui se sert des catégories sacerdotales et de la législation rituelle pour confesser le mystère du Christ. À lire cette lettre d’un trait, en son entier – ce qu’on recommande vivement de faire avant de travailler ce Cahier – beaucoup d’impressions viennent, et aussi beaucoup d’interrogations…

Première lecture

Globalement, on retire l’impression que l’auteur engage une discussion poussée avec la religion ancienne, celle du Temple, et on note qu’en celle-ci la catégorie de sacrifice est importante : que devient ce geste majeur des rites religieux dans la liturgie nouvelle inaugurée par le Christ ? Pourquoi, d’ailleurs, la lettre semble ne pas parler du tout de l’Eucharistie, centrale dans la vie religieuse des communautés chrétiennes du Ier siècle ? On perçoit aussi un lien fort entre filiation et sacerdoce. Définir et expliciter le sacerdoce de Jésus est important dans la lettre aux Hébreux : mais pourquoi parler de Jésus comme grand-prêtre ? Est-ce que cela permet de mieux comprendre la nouveauté qu’il a introduite dans notre histoire et dans notre expérience ? Précisément, on notera aussi la place qui est accordée dans la lettre aux Hébreux aux idées de « nouveau » et de « définitif » ; sont-elles importantes pour la vie chrétienne, dont la lettre parle beaucoup, aussi ? La lettre expose le mystère du Christ avec les catégories sacerdotales : cela donne-t-il une dimension éthique d’un autre style à la vie chrétienne ? Mais qui dit « nouveau » dit aussi « ancien ». Le lien à l’Ancien Testament semble constitutif, tant pour la confession de foi que pour les pratiques, bien que, justement, il soit « ancien » ; que deviennent les Écritures, dans le régime chrétien, « nouveau » ? La lettre aux Hébreux semble inviter à quitter ce qui est vieux, ce qui est proche de disparaître : de quoi s’agit-il en fait ? Et puis, quels sont les repères que la lettre propose pour la vie chrétienne ? On sent bien le poids accordé à la foi, surtout comme persévérance, et aussi l’attention mise sur l’espérance. Et puis… il y aurait encore bien des questions, nous n’en avons pointé que quelques-unes, celles qui nous paraissent majeures.

Points de repère
Avant d’expliquer comment travailler ce Cahier, voici quelques convictions qui encadrent la lecture ici proposée.

Tout d’abord, nous tenons pour acquis que la lettre aux Hébreux est un écrit postérieur à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 apr. J.-C., et que la prise en compte de ce événement majeur pour le judaïsme du Ier siècle (dont les communautés chrétiennes commencent à se distinguer) a provoqué une réflexion le mystère du Christ. Les circonstances ont conduit à un approfondissement de la confession de foi. L’évangile de Jean est de la même époque – on le sentira parfois à la lecture – et il participe du même mouvement ; l’évangile de Jean et la lettre aux Hébreux constituent des points de vue christologiques fort différents, quoique… Ajoutons que si la lettre aux Hébreux a longtemps été attribuée à Paul, ce n’est plus le cas aujourd’hui ; on perçoit bien cependant son influence, exactement comme dans les lettres deutéropauliniennes, celles qui poursuivent la tradition paulinienne.

Ensuite, nous prenons en compte le fait que le mouvement d’ensemble et la disposition de la lettre font l’objet d’un accord assez large dans la recherche ; les travaux de référence sont ceux du P. Vanhoye dont l’ouvrage de 1976 – repris dans le C.E. n° 19 (1977) – a été souvent suivi. Cependant, nous serons, dans ce Cahier, davantage attentif au rapport entre la « doctrine » et l’« exhortation ». En effet, la question qui nous intéresse est la suivante : en quoi l’expression finale de 13,22 (« une parole de consolation »), permet-elle d’articuler ces deux aspects du discours ? Pour une vue d’ensemble de la disposition de la lettre, une sorte de carte où apparaît bien cette articulation exposition/exhortation, nous donnons ci-après la structure proposée par un auteur, G. H. Guthrie.

Enfin, face à la difficulté que représente le style de la lettre aux Hébreux, nous tenons que la rhétorique du discours est très élaborée et la disposition des choses capitale pour bien lire et comprendre la lettre. De plus, il y a un rapport essentiel avec les Écritures (principalement dans leur version grecque, la Septante). Il faut donc être attentif à la construction du discours et vérifier la manière dont les Écritures y sont introduites. Pour autant nous ne perdrons pas de vue que la lettre est avant tout une parole « adressée », à travers des mots, des phrases… Une parole-logos qui se veut à hauteur du mystère du Christ-Logos.

Petit mode d’emploi
Nous vous invitons à une sorte de lecture commentée de l’ensemble de la lettre, au fil de ses chapitres, selon la construction retenue ici.

Le texte même de la lettre aux Hébreux est disposé sur une colonne, et les colonnes suivantes offrent une lecture argumentée. Argumentée, parce qu’elle s’appuie avant tout sur la disposition du passage considéré. C’est le premier effort demandé pour bien lire. À certains moments de la lettre, nous ferons le point des acquis par un encadré spécifique.

Il ne s’agit pas d’un « commentaire » : ni dans le sens où toutes les questions trouveraient réponse, ni dans le sens où une interprétation est défendue, même si, bien évidemment, lire implique d’interpréter. Il s’agit d’une lecture qui essaye de comprendre, au point où elle en est (et donc sans savoir ce qui viendra après), ce qu’on a lu en parcourant la péricope.

La traduction choisie est celle de la TOB, modifiée en de rares passages quand cela s’est avéré nécessaire. Dans le texte de la lettre, les italiques signalent des citations-allusions aux Écritures ; dans la lecture commentée, les italiques citent le texte de la lettre.

Notre conclusion s’efforcera de ramasser, de manière sélective, ce que la lecture de la lettre nous aura appris, d’indiquer où elle a voulu nous conduire.

© Jean-Marie Carrière, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 151 (mars 2010), "Tenez bon ! Relire la Lettre aux Hébreux", pages 4-6.