Cet apocryphe concerne principalement un apôtre, Addaï, autre forme de Thaddée...
Doctrine de l'apôtre Addaï
Bien qu’il concerne principalement un apôtre, Addaï (autre forme de Thaddée), cet apocryphe n’est pas dépourvu de rapport avec la famille de textes précédente, en ce qui concerne les relations de Pilate et de Tibère : la « Doctrine de l’apôtre Addaï » contient notamment une correspondance. Il s’agit d’un écrit dont on peut situer la rédaction finale en syriaque à Édesse (actuellement Urfa en Turquie), capitale de l’Osroène au Ve s. (EAC I, p. 1473-1525).
Il se présente aussi comme un document officiel, rédigé par un certain Laboubna et placé dans les archives du monarque de ce royaume. La volonté de rattacher les faits à l’histoire est très affirmée ; les événements sont datés avec précision, situés sous Tibère et sous le roi Abgar (Abgar V), même si on peut relever nombre d’invraisemblances, mêlées à des faits avérés.
Une délégation de plusieurs personnes, dont l’archiviste Hannan, se rend auprès du gouverneur romain de Syrie-Palestine, puis à Jérusalem où elle est témoin de ce que fait Jésus et des manigances des juifs contre lui. Informé de cela à son retour, Abgar rédige une lettre à Jésus, lettre que Hannan porte à son destinataire et qui invite celui-ci à le visiter à Édesse. Jésus répond oralement qu’il ne peut honorer cette invitation car il remonte vers son Père, mais qu’il enverra un de ses disciples qui guérira le roi de la maladie dont il est affecté et convertira ses proches. De plus, sa ville sera bénie et aucun ennemi ne pourra jamais s’en saisir. Hannan réalise aussi un portrait de Jésus.
Après l’ascension du Christ, Thomas envoie Addaï, l’un des soixante-dix, à Abgar. Le roi se convertit et guérit de sa maladie. Addaï raconte tout ce qui concerne le Christ, puis comment la femme du futur empereur Claude, convertie par Pierre à Rome, est venue à Jérusalem afin de découvrir les lieux. Là, elle fit rendre à Jacques la croix du Christ, que les juifs avaient accaparée, non sans que celle-ci ait été identifiée miraculeusement. Elle fit construire un édifice sur le lieu du Golgotha et du tombeau, afin qu’on y célèbre des assemblées liturgiques. C’est après et à cause de leur attitude que Claude a fait chasser les juifs de Rome. Sur l’ordre d’Abgar, Addaï prêche longuement à l’ensemble des habitants d’Édesse qui se convertissent. L’Évangile se répand en Mésopotamie, Addaï devient conseiller du roi. Abgar écrit à Tibère pour lui rendre compte des faits et lui demander d’intervenir contre les juifs, ce que lui-même n’est pas en mesure de faire. Tibère lui répond qu’il est déjà informé par Pilate qu’il a démis de sa charge, après quoi il envoie tuer les princes juifs, ce qu’apprenant, Abgar se réjouit beaucoup.
Avant sa mort, Addaï organise l’Église et prononce un discours. Il est enseveli parmi les monarques d’Édesse où, selon sa volonté, on lui rend un culte. Mais après la mort d’Abgar, l’un de ses fils, hostile à la foi chrétienne, fait exécuter l’évêque successeur d’Addaï. Comme cet évêque n’a pas pu ordonner de successeur, celui qui reprend la charge va se faire ordonner par Sérapion d’Antioche, s’inscrivant ainsi dans une lignée qui remonte à Pierre lui-même et au Seigneur.
L’Église d’Édesse
La « Doctrine d’Addaï » manifeste une claire volonté de faire remonter l’origine de l’Église d’Édesse à Jésus lui-même, sans toutefois entrer en contradiction avec les données évangéliques et avec la vraisemblance, puisqu’elle ne va pas jusqu’à faire se déplacer le Seigneur dans cette ville. Elle affirme aussi la légitimité de la dynastie royale, tout en assurant la bénédiction et la protection divine de la ville elle-même. Elle fonde le culte d’Addaï. En même temps, en dépit des erreurs évoquées, elle a le souci d’insérer les faits dans leur contexte historique. C’est ainsi que ce royaume, où la présence du christianisme est effectivement bien attestée dans la seconde moitié du IIe s., devient chrétien dès le temps du Christ. Par ailleurs, l’origine de la garde et de la vénération de la croix à Jérusalem est liée à cette histoire.
Correspondance d’Abgar et de Jésus
La « Doctrine d’Addaï » intègre dans son récit des documents et des traditions qui, sans remonter effectivement aux origines comme elle le prétend, existaient avant sa rédaction. C’est ce qu’atteste Eusèbe de Césarée qui reproduit dans son « Histoire ecclésiastique » (I, 13) la correspondance d’Abgar et de Jésus, ainsi que le récit de la conversion d’Abgar, dont il affirme qu’ils figurent dans les archives d’Édesse et qu’ils ont été traduits du syriaque en grec. Ici Addaï est nommé Thaddée. La correspondance présente quelques variantes et la lettre de Jésus ne contient pas la promesse de bénédiction et de protection de la ville.
Plus tard, quand elle effectue son pèlerinage jusqu’à Édesse en 384, Égérie, non seulement se recueille au martyrium de saint Thomas, mais se fait montrer le palais d’Abgar et raconter par l’évêque comment la lettre du Seigneur servit à repousser une attaque des Perses, conformément à la promesse du Christ dont elle était porteuse (« Journal de voyage » 19,2-19). Elle reçoit aussi une copie de la correspondance d’Abgar et de Jésus, plus longue, précise-t-elle, que celles dont elle disposait déjà dans sa patrie. Cette copie devait contenir la promesse relative à la ville, absente de celle reproduite par Eusèbe.
L’écrit apocryphe « Correspondance d’Abgar et de Jésus », de même que le récit de la conversion d’Abgar, existaient donc avant d’être repris dans l’apocryphe « Doctrine d’Addaï ». La correspondance elle-même a circulé sous au moins deux formes, la réponse orale de Jésus devenant une réponse écrite. Cette correspondance fut traduite en grec et dans de nombreuses autres langues.
Actes de Thaddée
La légende d’Abgar et Addaï va connaître des développements et des prolongements. Ainsi ceux qu’attestent les « Actes de Thaddée », texte grec du VIIe ou du début du VIIIe s. (EAC II, p. 645-660). Ici, Thaddée, un des Douze selon le texte, est originaire d’Édesse même. Annanias, courrier d’Abgar, est envoyé porter la lettre à Jésus. Mais celui-ci répond en adressant au roi son image qu’il a lui-même réalisée en se lavant la face et en s’essuyant d’un linge où elle reste empreinte. C’est cette image qui guérit Abgar – qui l’adore –, avant même que Thaddée n’arrive à Édesse. Après avoir fondé l’Église d’Édesse, l’apôtre se rend à Beyrouth où il convertit aussi beaucoup de monde et où il est enseveli par ses disciples. Ce document introduit dans la légende d’Abgar le motif de l’image miraculeuse de Jésus, non faite de main d’homme, dont la première attestation littéraire remonte à la fin du VIe s. L’image elle-même sera transférée d’Édesse à Constantinople en 944.
Martyre de Thaddée arménien
Quant au « Martyre de Thaddée arménien », il rapporte que Thaddée reçut en lot l’Arménie comme région de son activité (EAC II, p. 663-696). Il se rend à Édesse où il guérit Abgar et convertit la ville (il n’est question ni de correspondance avec Jésus, ni d’image du Seigneur). Tout de suite après, il va en Arménie, sous le roi Sanatrouk. Il convertit nombre de personnes, y compris Sandoukht, la fille du roi. Apprenant cela, le roi persécute les convertis, faisant de nombreux martyrs. Le Seigneur apparaît à Thaddée ; il lui annonce son martyre et fait que ses os seront bénis, et que les prières qui seront prononcées à cet endroit seront exaucées. Après bien des conversions et des martyres, Sandoukht, puis Thaddée, sont martyrisés à leur tour, leurs morts respectives étant entourées de différents prodiges.
Le « Martyre de Thaddée » se présente comme l’œuvre de l’évêque Samuel, rédigée pour être lue à l’occasion du mémorial de la mort de Thaddée et de sainte Sandoukht, dont les dates sont indiquées. Ce texte affirme l’origine apostolique de l’Église arménienne et sert à la commémoration liturgique de l’apôtre fondateur, dont le culte est lui-même établi par le Christ. Il présente les Arméniens comme un peuple élu et met en rapport l’origine de cette Église avec la Syrie, fait qui correspond à la réalité historique.
Écrits arméniens et Actes de Mar Mari
Puisque la Tradition attribue aussi à Barthélémy l’évangélisation de l’Arménie, des récits rapportent la venue de cet apôtre, l’un des Douze dans ces contrées. Ils racontent comment celui-ci prit le relais de Thaddée, sous le même roi Sanatrouk, et connut à son tour le martyre, accueilli dans une vision spirituelle par son devancier.
La légende d’Abgar et d’Addaï a connu un autre prolongement dans les « Actes de Mar Mari », un écrit syriaque du VIe-VIIe s. qui attribue à Mari l’évangélisation de la Mésopotamie, jusqu’aux limites de l’activité apostolique de Thomas, en particulier les Églises de Séleucie, de Ctésiphon et de Dorqonie où repose son corps. Mari est présenté comme un disciple d’Addaï, envoyé en Mésopotamie après que celui-ci ait évangélisé Édesse.
© Jean-Marc Prieur, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 148 (juin 2009), "Les écrits apocryphes chrétiens", pages 46-48.