Les liens qui unissent le Seigneur à Israël sont des liens d'amour, créateurs de vie...

Les liens qui unissent le Seigneur à Israël sont des liens d'amour, créateurs de vie. Ceux d'un père pour son fils premier-né (Os 11,1-4; Jr 3,19; 31,20). Dans de telles conditions, la justice du Seigneur ne peut plus s'exercer sur le mode du châtiment destructeur. Il ne peut en aucun cas vouloir la mort ou l'anéantissement de celui qui ne répond pas à son attente. Parce qu'il s'agit d'une alliance fondée sur l'amour, le salut et la justice de Dieu se révèlent dans le pardon.

La relation renouée

Le prophète Osée a personnellement expérimenté cette marque de l'agir du Seigneur. Il est appelé à aimer une prostituée : « Va ! Aime une femme aimée par un autre et se livrant à l'adultère : car tel est l'amour du Seigneur pour les fils d’Israël » (Os 3,1). Dieu ne ramène pas son peuple au respect de l'alliance en le châtiant ou en le privant de sa présence. C'est en l'aimant qu'il appelle à l'amour, qu'il éveille à l'amour. Ce comportement, Osée le met en valeur en imaginant son contraire, comme si Dieu ressemblait aux hommes. Il imagine d'abord que le mari aurait pu enfermer sa femme afin qu'elle ne puisse plus retrouver ses amants (Os 2,8-10), mais cette solution est insatisfaisante, car l'alliance n'est pas une contrainte qui emprisonne; elle est une inclination du cœur. Même une loi qui s'imposerait de l'extérieur ne peut servir l'alliance. Et Dieu n'est pas le créateur de la vie pour la contraindre. Comme le dit un poème qui chante le retour des Judéens à la vie: Est-ce que moi j'ouvrirais passage à la vie pour ne pas faire enfanter ? - dit le Seigneur. Est-ce que moi, qui fais enfanter, j'imposerais à la vie une contrainte ? - dit ton Dieu (1s 66,9).

Osée imagine encore que le mari pourrait répudier l'épouse infidèle (Os 2,4.11-15); mais alors, c'est Dieu lui-même qui se trouverait privé de l'alliance. Son amour, sa loyauté et sa justice perdent leur sens et leur réalité s'ils ne s'exercent pas dans le renouvellement de l'alliance et le pardon. Plutôt que de rompre les liens, le Seigneur les renoue: Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur (Os 2,16.21-22). Ezéchiel redit cela plus tard pour Jérusalem, l'enfant trouvée, la jeune femme avec laquelle le Seigneur avait fait alliance, mais qui l'avait trompé avec une multitude d'amants : « Moi je me souviendrai de mon alliance avec toi, aux jours de ta jeunesse: j'établirai avec toi une alliance perpétuelle... lorsque je t'absoudrai de tout ce que tu as fait » (Ez 16,60-63). Ce pardon est l'ultime décision de justice de Dieu.

Et pourtant, cette pratique du pardon est inconnue du système judiciaire des hommes. Pour eux, il ne peut y avoir de pardon, mais seulement un non-lieu ou une sanction. Si le pardon intervient, c'est après l'application de la sentence, Par exemple, celui qui sort de prison, qui a acquitté sa peine, est censé ne plus être accusé de la faute qu'il a commise; une attitude de pardon, plus que d'oubli, est alors possible.

Pour la justice de Dieu, le pardon est non seulement le but à atteindre, mais il conduit toute la démarche. Il ne s'agit pas là d'une faille ou d'une faiblesse de la justice, d'une concession à la miséricorde ou à la pitié. Le pardon est impliqué dans la relation même de l'alliance qui est justice, relation juste entre Dieu et l'homme.

Le pardon n'est donc pas l'oubli de la rupture ou de l'échec de l'alliance. Bien plus, il accuse: il est à l'origine de la virulente accusation d’Israël par les prophètes. Celle-ci dévoile qu’Israël est capable de s'aliéner au mal et de refuser la vie et l'amour de Dieu. Mais elle est aussi ferme confiance en sa liberté, en sa possibilité de changer pour choisir la vie. Cette accusation qui libère ne peut être proférée que par le Seigneur. Le texte biblique confirme ce point théologique en ce que Dieu est l'unique sujet du verbe hébreu « pardonner » (salah : 46 emplois). Lui seul peut juger l'homme en vue du pardon, afin d'ouvrir un avenir à la vie. Car lui seul mesure la portée de l'alliance.

Finalement, selon la vraie justice qui relie Dieu à son peuple, le pardon est le don libre et gratuit de l'alliance. Dieu sauve son peuple de tout mal et de toute aliénation en le rachetant. Il le maintient dans le dynamisme de l'alliance en lui pardonnant ses errances. Il ne peut vouloir, ni se satisfaire, même à titre d'expiation de la mort d'Israël. Ézéchiel l'affirme, alors que Juda et Jérusalem sont dévastés : « Pourquoi devriez-vous mourir, maison d'Israël ? Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt - oracle du Seigneur Dieu; revenez donc et vivez ! » (Ez 18,31-32). Il renouvelle cette conviction face à la désespérance des Judéens lorsqu'ils prennent conscience de leur révolte. Suivant une rigueur judiciaire humaine, ils sont condamnés. Mais le Seigneur est Dieu et non pas homme. Il est le Saint au milieu d'eux et les appelle à vivre (Ez 33,10-11).

Qu'Israël soit sauvé, racheté et pardonné par le Seigneur, c'est le fondement du constant appel à rechercher sa présence et à revenir vers lui. Le pardon rétablit la reconnaissance de l'un et de l'autre, il renouvelle le désir de l'un pour l'autre. Et lorsque Dieu exhorte son peuple à le chercher, il est déjà conduit par le pardon de sa rébellion

Recherchez le Seigneur puisqu'il se laisse trouver, appelez-le, puisqu'il est proche. Que l'impie abandonne son chemin, et l'homme malfaisant, ses pensées. Qu'il retourne vers le Seigneur qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui se surpasse pour pardonner (Is 55,6-7). Cet appel est signe du pardon. Il atteste que pour Dieu, la vie de son peuple tient dans leur alliance et la justice qui en découle. Cette quête n'est pas une démarche qui dépasse l'homme. Elle est réponse à l'attachement de Dieu et à son amour pour son peuple. D'ailleurs, Israël ne pourrait se mettre à sa recherche si celui-ci ne s'offrait pas d'abord à sa rencontre. Il attire à lui son peuple et se laisse trouver par lui: Vous me rechercherez et vous me trouverez: vous me rechercherez du fond de vous-mêmes, et je me laisserai trouver par vous (Jr 29,13-14; cf. 31,3; Ez 36,37).

L’Alliance nouvelle

Le pardon qui ravive au cœur d'Israël le désir de Dieu et permet le retour près de lui, est toujours renouvellement de l'alliance. Elle peut être rompue par Israël, mais, pour le Seigneur, elle est perpétuelle : « Je conclurai avec la communauté d'Israël une nouvelle alliance... je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi... Ils me connaitront tous, petits et grands... car je pardonne leur crime; leur faute, je n'en parle plus » (Jr 31,31-34; cf. 33,8). Le pardon actualise la loyauté de Dieu envers son alliance. Il la renouvelle, non pas en déclarant caduque celle qui a précédé, mais en reformulant la promesse et l'engagement. Sa Torah est désormais inscrite sur le cœur de l'homme. Déjà, dans l'expérience d'Osée, Dieu parlait au cœur de son peuple (Os 2,16). Le cœur, dans la symbolique biblique, est le lieu de l'intelligence et de la décision personnelle, libre et responsable. Déposée au fond de l'être, inscrite sur le cœur, la Torah, plus qu'une loi, est l'histoire d'un amour, d'une alliance qui s'édifie dans la vie. Le peuple est renouvelé de se savoir pardonné gratuitement. Il connaît son Dieu en l'intime de son être, par une relation toute personnelle. Il n'est plus enfermé dans la dureté des conflits et la violence des uns envers les autres. Une humanité selon le cœur est promise.

Le pardon est justice de Dieu inscrite au plus intime de l'homme : « Écoutez-moi, vous qui connaissez la justice, peuple de ceux qui ont ma Loi dans leur cœur... Ma justice sera là pour toujours et mon salut de génération en génération » (Is 51,7-8). Celui ou celle qui fait une telle expérience ne peut qu'exulter de joie : « Je suis enthousiaste, oui, enthousiasmée à cause du Seigneur, ma vie exulte à cause de mon Dieu, car il m'a revêtue de l'habit du salut, il m'a drapée dans le manteau de la justice, tel un fiancé, qui, comme un prêtre, porte diadème, telle une promise qui se pare de ses atours. Oui, comme la terre fait sortir ses germes et un jardin germer ses semences, ainsi le Seigneur fera germer la justice et la louange face à toutes les nations » (Is 61,101 1; cf. 54,1.6-8.14).

© Gérard Verkindère, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 105 (Septembre 1998), « La justice dans l’Ancien Testament », p. 57-59.