Le vocabulaire de la "diaconie" – diakonia, diakonos, ou diakoneô – est très présent dans les écrits pauliniens...

Les auteurs sont nombreux à avoir noté que le vocabulaire de la « diaconie » – diakonia, diakonos, ou diakoneô – est très présent dans les écrits pauliniens, au point d’y voir une notion spécifiquement paulinienne. Il ne s’agit pas d’une fonction ou d’une institution, pas même dans les écrits de la mouvance paulinienne – écrits deutéropauliniens ou épîtres pastorales. Il s’agit bien plutôt d’une notion plus large que le simple service, qui instaure et oriente vers un nouveau mode de relations avec les autres, fondé sur la vie en Christ et dans l’Esprit. Le vocabulaire de la diaconie décrit peu à peu les contours de la vocation et de la mission du croyant, l’invitant à une transformation profonde. Ce que P.-M. Beaude qualifie de « métamorphose » a pour conséquences un autre rapport au Seigneur, à soi, aux autres[1]. Elle est rendue possible par la mission et le témoignage de l’Apôtre, véritable modèle pour le croyant, son propre modèle étant le Christ. Cette métamorphose concerne toutes les dimensions de la vie chrétienne, qui devient le lieu d’un culte de type nouveau, un culte vivant. Le vocabulaire cultuel est alors appelé en renfort, tant pour la mission de l’Apôtre que pour la vie du croyant (Rm 12,1-2).

Ce qui relève de la diaconie ne peut se limiter à la seule dimension « caritative » ou « solidaire », pour le dire avec des mots actuels, de la vie chrétienne. Comprendre la diaconie ainsi présenterait le risque de réserver cette tâche à des « spécialistes », aussi zélés et emplis de bonne volonté soient-ils, avec comme premier corollaire d’exempter les autres croyants de la tâche de type diaconale et comme second corollaire de rester une action extérieure à la vie du croyant, comme un devoir à remplir.

Transformer la vie du croyant

En fait, la diaconie est beaucoup plus profonde que cela, puisqu’il en va de la transformation de la vie et de l’être même du croyant. Elle se situe au cœur de la foi chrétienne. Nous serons donc amenés à préciser que la diaconie ne peut être séparée de la dimension de prière et de liturgie (leitourgia), comme de la dimension de témoignage et d’annonce de l’Évangile (marturia). Nous repérerons alors les connections entre ces trois champs de la vie chrétienne, même si le lien n’est pas formellement établi en système chez Paul. Ajoutons que le ciment et trait d’union de la diakonia, de la leitourgia et de la marturia est la notion d’agapè, si présente et si novatrice chez Paul.

Dans cette contribution, nous aborderons le thème en deux temps. Nous commencerons par voir comment la diaconie façonne la figure et la mission de l’Apôtre. Nous verrons ensuite comment elle façonne le croyant et la communauté des croyants. Pour chacun des deux moments, après avoir repéré comment la diaconie est présentée et précisée chez Paul, nous verrons ensuite comment elle inscrit l’Apôtre puis le croyant dans une relation toute particulière au Christ dans la force de l’Esprit. Ensuite, nous repérerons comment elle inscrit l’Apôtre puis le croyant dans un nouveau type de relations avec les autres, tant dans la communauté qu’avec les gens du dehors. Cela nous amènera à voir en quoi la diaconie ouvre et oriente la vie mais aussi la mission chrétienne.

La diaconie chez Paul

Mais auparavant, une mise au point : quel sens la diaconie prend-elle chez Paul ? Service de la table ou service de la parole ? R. Dupont-Roc l’a bien montré (p. XX), l’étymologie, peu claire, situe néanmoins la diaconie dans une action et une attitude d’« intermédiation » au sens large. Le vocabulaire évoque le service d’un intermédiaire, en mettant l’accent sur le don de soi aux autres. Chez Paul, « le radical diakonos appelle d’abord l’idée d’un lien, d’une transmission ou d’une médiation opérée par l’entremise de la parole. L’accent n’est donc plus mis sur le service de la table[2] » en tant que tel. Les occurrences du vocabulaire en grec profane montrent que le mot désigne le service de la table dans un quart des cas seulement. Et, chez Paul, le motif du service de la table n’apparaît guère, à la différence de l’œuvre de Luc, évangile et Actes. Ainsi, par exemple, en Rm 15,8, Christ s’est fait le diakonos des circoncis pour accomplir les promesses faites aux pères, sans pour autant négliger d’accueillir les païens. En Ga 2,17 aussi, le raisonnement de Paul montre qu’il ne s’agit pas du service de la table : « Si, en cherchant à être justifiés en Christ, nous avons été trouvés pécheurs nous aussi, Christ serait-il ministre [diakonos] du péché ? » De même, Phoebé étant diakonon de l’Église de Cenchrées, et qualifiée de « protectrice de beaucoup », on aurait du mal à voir sa mission limitée au service des tables (Rm 16,1-2). « Chez Paul, le lien entre la parole et le service est premier » (C. Perrot, p. 233).


© Christophe Raimbault, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 159 (mars 2012), "Diakonia. Le service dans la Bible" (collectif), p. 19-20)
 

 
[1] Pierre-Marie Beaude, Saint Paul, l’œuvre de métamorphose, Paris, Éd. du Cerf, 2011.
[2] Charles Perrot, Après Jésus. Le ministère chez les premiers chrétiens, Paris, Éd. de l’Atelier, 2000, p. 230.