L'étude narrative de Marc met en valeur la cohérence d'ensemble du récit...

L'étude narrative de Marc met en valeur la cohérence d'ensemble du récit. De la Galilée à Jérusalem, l'intrigue progresse rapidement. Des conflits apparaissent très tôt dans la narration et connaissent un point culminant dans le récit de la Passion. Différents personnages, bons et mauvais, participent au déroulement de l'intrigue. Et, de main de maître, un narrateur omniscient conduit le lecteur dans ce dédale de scènes, se permettant même d'intervenir quand le besoin s'en fait sentir. Il souhaite ainsi que le lecteur en vienne à se ranger au point de vue de Dieu (cf. 8,33), point de vue avec lequel il est en harmonie.

L’efficacité dramatique

L'évangile de Marc est un récit d'action. Du Jourdain à la croix, le mouvement est continu. Jésus agit plus qu'il n'enseigne. Un discours étoffé sur le bord du lac de Tibériade (Mc 4), un second au Mont des Oliviers (Mc 13). Le reste du temps, paroles et gestes s'entrelacent. La plupart de ceux qui voient Jésus agir et qui entendent ses paroles sont surpris de l'autorité et de la puissance qui l'animent. Il guérit les malades. Les foules viennent à lui. Il choisit des disciples « pour être avec lui » (3,14). Or, dans certains cercles, par jalousie ou par insécurité, on questionne son autorité. Si les personnages sont l'âme du récit, la trame en est le corps. À mesure que le récit se déroule, les conflits s'intensifient. L'incompréhension se fait de plus en plus sentir, même au sein du groupe des disciples. La montée à Jérusalem est riche de leçons adressées à ce groupe privilégié. Et c'est l'apogée. L'ordre religieux établi rejette le prophète galiléen. À mort! Et pourtant, c'était bien lui le Messie, le Fils de Dieu... Le tombeau est vide. Le lecteur est invité à attendre sa venue en gloire.

Le narrateur

Un peu comme un peintre qui, connaissant à la perfection le moindre détail de sa toile, serait par magie projeté en elle, le narrateur est présent dans l'évangile, tout en étant supérieur aux autres personnages. Il guide le lecteur dans le récit qu'il relate. Et, de surcroît, comme il possède une vision panoramique - son point de vue est post-pascal -, rien ne lui échappe. Par exemple, dès l'ouverture du récit, sachant parfaitement bien qui est Jésus, il met le lecteur au fait, alors que les personnages, disciples compris, auront peine à saisir son identité. Il faudra même attendre la crucifixion pour entendre un premier personnage humain proclamer que Jésus est Fils de Dieu. Omniscient, le narrateur se permet de nombreuses intrusions dans le récit, parfois implicites et subtiles, parfois davantage explicites et claires. Il ira jusqu'à interpeller directement son lecteur (13,14)! L'omniscience implique l'omniprésence. Le narrateur est à fois sur la montagne avec Jésus et dans la barque avec les disciples (cf. 6,45-52). Il est même dans les pensées de chacun des personnages. Sur toutes choses, il sait leurs points de vue.

Les personnages et leurs points de vue

Les personnages de la narration de Marc possèdent divers points de vue. Tous ne sont pas d'égale valeur. Le lecteur est invité à s'identifier à l'un d'entre eux. Des autres, il doit s'écarter. Ainsi, selon le personnage qui le véhicule, un point de vue peut être bon, c'est-à-dire refléter le point de vue de Dieu sur les choses, ou carrément aller à l'encontre de ce dernier, comme c'est le cas du point de vue des adversaires de Jésus qui n'accueillent pas son message. Or, les propres disciples de Jésus ne font guère mieux. Ils ont peine à concevoir une opinion juste sur Jésus, ses paroles, ses actions et sa mission. Pierre va même jusqu'à émettre un point de vue satanique concernant la destinée de Jésus (8,3233). En fait, dans l'évangile, il n'y a que trois personnages dont le point de vue est au-dessus de toute critique: Dieu, Jésus, qui possède un point de vue identique à celui de Dieu, et le narrateur qui connaît parfaitement le point de vue de Jésus et, par le fait même, celui de Dieu.

Le narrateur sait aussi les pensées de tous les personnages du récit. Il est donc pour le lecteur un guide fiable, qui lui fera connaître le point de vue divin sur toutes choses. Le narrateur marcien ne transmet pas un portrait désintéressé des personnages, laissant en quelque sorte le lecteur décider seul à quel personnage ou à quel point de vue s'identifier, il conduit plutôt la pensée du lecteur à travers une brochette de points de vue, lui indiquant, à travers mauvais et bons, lequel choisir. Il y parvient par le moyen de commentaires brefs, de descriptions des attitudes intérieures des personnages, ou encore de discours directs touchant le déroulement de la narration et l'interaction entre les personnages.

 

© Guy Bonneau, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 117 (Septembre 2001), « Saint Marc. Nouvelles lectures » p. 6-7.