L'importance de Pierre dans l'évangile de Jean...

La deuxième intervention de Pierre (6,68-69) advient à l’issue du long discours sur le pain de vie, prononcé à la synagogue de Capharnaüm (6,22-66) et censé exprimer la portée symbolique du signe des pains multipliés, accompli un peu plus haut dans le récit (6,1-15).

Le contexte narratif
Adressés d’abord à la foule au sens large (6,22) puis, plus spécifiquement aux autorités juives (litt. : « les Juifs » – 6,41.52), les propos de Jésus ont fini par braquer les auditeurs, surtout à partir du moment où le discours a commencé de désigner précisément la communion eucharistique au corps et au sang de Jésus, sources de la vie divine communiquée aux hommes, moyennant de leur part une démarche explicite de foi en la personne du Fils envoyé. Au terme du discours, les disciples eux-mêmes expriment leur désaccord (6,60-61) et finissent par rejoindre la position des adversaires de Jésus (au v. 61 même verbe « murmurer » qu’au sujet des Juifs au v. 41), fidèles en cela à l’incrédulité manifestée par Israël au désert, du temps de Moïse). Leur départ, consommé en 6,66, atteste leur manque de foi (6,64-65), et fait que Jésus se trouve désormais en présence des seuls Douze (6,67).

Face à la question de confiance : « Voulez-vous partir vous aussi ? », Simon Pierre répond avec assurance, au nom même des Douze : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (6,68). Et de confirmer son rôle de leader ainsi déclaré, par une confession de foi aussi forte que solennelle : « Nous, nous croyons et nous savons que toi, tu es le Saint de Dieu » (6,69).

Le premier des Douze
Simon Pierre est donc bien reconnu comme le premier des Douze, en tout cas leur porte-parole. La ressemblance est frappante avec la scène synoptique de la confession à Césarée de Philippe. Toutefois, la figure des Douze n’est pas identique dans les deux textes. Chez Jean, les Douze ne procèdent pas d’un appel ayant donné lieu à un rassemblement, mais constituent plutôt le dernier reste qui ait survécu à la grande épreuve de la foi que constitue le discours de Capharnaüm, sur le double versant christologique et eucharistique aujourd’hui reconnu par tous les auteurs. Si remarquable qu’elle soit, la position de Pierre n’en est pas moins affaiblie, tant par le statut des Douze (l’Église comme « petit reste » !) que par la fragilité d’un tel collectif, toujours menacé de succomber au démon de la division. Il se trouve en effet – Jésus le souligne avec insistance (6,70) et le narrateur apporte toute précision utile (6,71) – que parmi les Douze se trouve Judas le traître, en position de « diable », autrement dit de diviseur, selon l’étymologie du terme grec (diabolos, issu du verbe dia-ballô).



© Yves-Marie Blanchard, Cahier Évangile n° 165, Pierre, le premier des Apôtres, p. 31-32.