L'histoire de Joseph est composée d'actes unifiés par le thème du voyage (libre ou imposé)

Ces groupements d’épisodes forment quatre actes racontant chacun des faits assez ramassés dans le temps et comprenant au moins un « voyage » entre Canaan et l’Égypte.

Dans l’acte I (37, 1-36), la vente de Joseph entraîne sa descente en Égypte.

L’acte II (38, 1–41,53) se situe dans un entre-deux, et c’est le lecteur qui, pour ainsi dire, voyage de Canaan où vit Juda, à l’Égypte où il retrouve Joseph.

L’acte III (41, 54–47,27) raconte les années de famine, plus exactement trois voyages dont le dernier constitue la migration du clan.

Enfin, l’acte IV (47, 28–50,26) tourne autour de la mort de Jacob, avec le voyage aller-retour des frères en Canaan pour sa sépulture. Reprenons ces différents ensembles pour en vérifier la cohérence.

Acte I (37, 1-36)
« Voici l’histoire (toledôt) de Jacob ». Cette phrase de 37, 2 indique au lecteur qu’une nouvelle histoire commence, inscrite néanmoins dans le fil des « générations » (tol e dôt) précédentes. Les personnages que le narrateur introduit sont d’ailleurs connus du lecteur : c’est la famille de Jacob, qui se constitue aux chapitres 29–30. À la fin de l’acte, après la vente de Joseph et le refus de Jacob de faire son deuil du disparu, l’histoire semble s’enrayer : on ne parle plus du père et de ses fils, mais seulement de deux de ceux-ci vivant loin des leurs. Le fil de l’histoire amorcée au chapitre 37 ne reprend que plus tard, au début du chapitre 42. Le premier épisode forme donc bien une unité close.

Acte II (38, 1 – 41, 53)
Même si un lien thématique profond lie l’histoire de Juda et Tamar à l’épisode du chapitre précédent, la continuité narrative entre les deux est plus que problématique. Des liens du même genre existent d’ailleurs avec ce que Joseph vit avec la femme de son maître au début de l’épisode suivant. Narrativement, ils sont même plus forts. En effet, les deux épisodes mettent en scène chacun un frère isolé, « descendu » à l’étranger et lié à quelqu’un du lieu, Hira le Cananéen et Putiphar l’Égyptien (38, 1 et 39, 1). Là, l’un et l’autre frère forment une nouvelle famille dans un contexte où deux femmes interviennent : l’épouse, dont on parle peu (38, 2-5 et 41, 45.50), et une autre qui se montre capable de ruse dans un contexte où sexuellement connoté : Juda se laisse tenter par Tamar qu’il prend pour une prostituée (38, 12-26), et Joseph résiste au harcèlement de la femme de son maître (39, 7-20). Les deux histoires se terminent par la naissance de fils, Pèrèç et Zèrah chez Juda, Éphraïm et Manassé chez Joseph, fils qui seront nommés dans la lignée de Jacob (38, 27-30 et 41, 50-52). De part et d’autre, ces naissances sont signe de la réhabilitation de leur père. On notera encore que, dans toute l’histoire de Joseph, c’est seulement ici qu’Adonaï apparaît sous ce nom et qu’il prend part à l’action (38, 7-10 et 39, 2-5.21.23).

Certes, dans cet acte, l’histoire de Joseph en Égypte est comme dilatée par la double scène d’interprétation des rêves aux chapitres 40 et 41. Il n’en reste pas moins que l’encadrement de ces scènes en 39 et en 41, 41–53 a bien des points communs avec l’aventure de Juda en 38. Ils justifient à mes yeux le groupement de ces deux histoires individuelles en un même acte.

Acte III (41, 54 – 47, 27)
Ici reprend l’histoire familiale dont le récit a débuté dans l’acte I. Elle redémarre dans un contexte de famine où Joseph joue un rôle déterminant puisqu’il vend les denrées permettant de survivre. Ce contexte est sans cesse à l’horizon du récit, la famine étant un facteur essentiel à l’avancée de l’intrigue. Il fait cependant l’objet de développements spécifiques qui se répondent du début à la fin de l’acte (41, 53-57 et 47, 13-26). Ces sommaires situent le récit proprement dit au cours des deux premières années de famine (voir aussi 45, 6.11). L’acte tout entier tourne autour de la problématique familiale.

Les trois épisodes formant cet acte (41, 54 – 42, 38 ; 43 – 45 ; 46, 1 – 47, 27) racontent chacun un voyage de Canaan vers l’Égypte, qui fait suite à une initiative de Jacob ; le récit commence par préciser qui fait partie de la caravane. Mis à part le dernier, ce sont des aller-retour des frères entre les deux êtres qu’ils ont séparés au début de l’histoire, le père Jacob et son fils aimé Joseph. Leur déroulement est également parallèle. Non seulement ils commencent et se terminent en Canaan chez Jacob, mais encore la rencontre avec Joseph en Égypte se passe en deux journées distinctes. Toutefois, le second épisode est nettement plus long, les scènes y étant dédoublées : dialogue en deux temps avec Jacob (43, 1-7 et 8-14), rencontres avec Joseph précédées d’une entrevue avec son majordome (43, 16-25 et 44, 1-13), tandis que le narrateur laisse souvent la parole aux personnages pour des discours parfois très conséquents. Quant au retour chez Jacob, il est lui-même précédé d’une scène de préparatifs assez longue (45, 16-24). À noter que, suite au troisième voyage, le narrateur distingue aussi deux moments où Joseph et sa famille sont réunis (46, 28-34 et 47, 2-12), le second se passant en présence du pharaon.

Acte IV (47, 28–50, 26)
Cet acte final est scandé par les moments de la fin de Jacob. Elle est annoncée d’emblée (47, 28-29), avant que les choses se précisent : Jacob est malade (48, 1) et annonce sa mort à Joseph (48, 21). Après avoir livré son testament à ses fils, il leur donne ses instructions concernant sa sépulture en Canaan (49, 29-32), précisant ainsi ce qu’il avait dit à Joseph (voir 48, 30). Puis il meurt (49, 33). Suivent alors les rites de deuil et les funérailles à Makpéla (50,1-14). L’ultime scène entre les frères se situe dans le prolongement de cette mort (50, 15-21), de sorte que seules les dernières lignes (v. 22-26) échappent à cette unité de temps. Là, le récit se précipite jusqu’à la mort de Joseph, 55 ans plus tard.

À côté de la mort, le thème de l’avenir et en particulier du retour en Canaan unifie cet acte. Il en est question à propos de Jacob et de son enterrement dans la tombe des ancêtres (47, 29-30 ; 49, 29-32 et 50, 7-13), mais aussi à propos du retour du peuple issu de lui (indirectement en 48, 4, puis clairement en 48, 21-22 et 50, 24), retour à la faveur duquel les ossements de Joseph devront être rapatriés en Canaan (50, 25). Plus largement, c’est bien d’avenir qu’il est question dans la bénédiction des fils de Joseph (ch. 48) et dans le dernier discours où le père annonce à ses fils « ce qui vous arrivera dans la suite des jours » (ch. 49).

© André Wénin, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 130 (décembre 2004), "L'histoire de Joseph (Gn 37-50)", (p. 7-8).