L'histoire biblique de l'Exil à Babylone jusqu'à l'avènement du roi grec persécuteur, Antiochos Epiphane (587-175 av. J.-C.)...
En toute rigueur de termes, on ne peut plus parler d'histoire d'Israël pour la période qui suit la prise de Jérusalem (587) et s'étend jusqu'à l'avènement d'Antiochos IV (175). Dans les textes relatifs à la période royale, le nom d'Israël pouvait désigner, en opposition au royaume de Juda, le royaume du Nord qui disparaît en 722. A partir de 587, l'emploi du nom d'Israël persiste mais le terme ne peut plus recouvrir les habitants d'un territoire précis. Il peut alors désigner aussi bien les populations déportées en Babylonie, réfugiées ou installées en Egypte, que celles qui demeurent en Palestine.
Cet éclatement géographique est le facteur le plus important pour l'histoire de la période que nous abordons. il commande en effet pour une large part les tendances et les tensions qui vont apparaître au sein de la judaïté et les politiques que les empires successifs auront à mettre en œuvre vis-à-vis de cette réalité socio-politique quelque peu particulière.
La Palestine demeure apparemment le centre du monde israélite. Cette impression doit être cependant nuancée par l'examen des données bibliques. Durant la période babylonienne, l'élite judéenne vit en dehors de la Palestine. A lire attentivement la Bible, le retour au pays ne constitue pas vraiment un thème mobilisateur. Beaucoup d'israélites restent en Babylonie, sans renoncer pour autant à leur identité, et forment une importante composante de ce qui deviendra par la suite le judaïsme. Le même phénomène se produit en Égypte, d'ailleurs amorcé avant l'Exil avec la colonie d'Éléphantine, et se confirmera plus tard avec la forte présence juive à Alexandrie.
Une première piste s'ouvre à l'historien : pourquoi et comment Jérusalem et la Judée se sont-elles maintenues, voire rétablies, comme centre de la vie juive ? La situation géographique de la Judée, point de passage entre l'Asie et l'Égypte, qui impose aux puissances dominantes de contrôler constamment cette région, en fait une zone à risques. Pour le monde juif, Jérusalem constitue également un enjeu. L'historien devra donc s'intéresser aux différents documents, bibliques ou non, qui portent sur le statut de Jérusalem et de la Judée, tels que le « décret de Cyrus » et la charte d'Antiochos III. Située dans une zone stratégique étroitement contrôlée, l'histoire de la Judée ne peut s'inscrire que dans le cadre d'une dépendance. Vue sous cet angle, l'histoire d'Israël de 587 à 175 consiste à rendre compte de l'interaction entre la politique des puissances internationales et celle des différents courants du monde juif.
Ici s'ouvre une seconde piste : connaître et comprendre les tendances d'une judaïté dispersée, au sein de laquelle s'opposent des intérêts de tous ordres. La première tension repérable oppose Juifs installés hors de Judée et ceux qui envisagent le retour et certains même, une restauration de la monarchie davidique. On constate en effet une lenteur évidente, que ne dissimule pas la Bible, dans le retour d'Exil et la relance judéenne. Cette lenteur pose de nombreux problèmes. Elle ne s'explique pas seulement par la domination étrangère. Même si les données significatives font défaut, il faut envisager d'autres pistes. La raison fondamentale est peut-être d'ordre économique : la Judée suffit-elle à assurer la subsistance d'une population nombreuse? L'identité juive doit-elle être obligatoirement liée au territoire judéen ? Quelle sera, en définitive, l'importance reconnue à Jérusalem par les diasporas ? Toutes les données bibliques sur le retour, celles notamment qui tendent à officialiser la réoccupation de la Judée et à légitimer les entreprises des rapatriés, doivent être soumises à une rigoureuse critique littéraire et historique. L'historien doit en particulier essayer d'identifier et de comprendre les mobiles de la représentation des événements telle qu'elle ressort des livres d'Esdras et de Néhémie. Il apparaît en effet que cette représentation est le résultat d'un laborieux compromis qui, selon toute vraisemblance, doit avoir exigé du temps pour permettre aux différentes composantes du monde juif d'y parvenir.
On divise ordinairement la tranche d'histoire délimitée par l'Exil (587) et la mort d'Antiochos IV (164) en trois périodes qui correspondent à la domination des trois puissances qui se sont succédé en Ancien Orient : Babylone (587-538), les Perses (538-322) et les Grecs (322-164). La carence de la documentation est telle que prétendre faire de l'histoire à propos de cette période peut paraître parfaitement téméraire. Les sources bibliques sont en effet rares et difficilement exploitables. Le demi-siècle de l'Exil reste peu documenté, en dépit du Deutéro-Isaïe (Is 40-55), de Jérémie, des Lamentations et d’Ezéchiel, mais il est proportionnellement bien mieux que les deux siècles de la période perse pour lesquels la minceur du dossier est surprenante malgré Esdras - Néhémie, le Trito- Isaïe (Is 56-66), Malachie, Aggée et Zacharie. Pour le début de la période hellénistique, on peut parier de silence absolu. On ne retrouve une documentation significative que pour la période maccabéenne.
[Pour Babylone et les Perses, l’auteur évalue ensuite les données fournies par l’historien juif Flavius Josèphe, l’historien grec Hérodote, la documentation perse (Cyrus, Darius I), le sol palestinien. Pour la période hellénistique, il présente les historiens classiques (Appien, Curtius Rufus…), la collection des Papyrus de Zénon et l’archéologie.]
S'il faut prendre acte d'une carence évidente de la documentation, on ne doit pourtant point ignorer l'importance de cette période pour le développement du texte biblique. De l'Exil aux Maccabées, Israël procède, en effet, à la refonte et à la fixation d'œuvres anciennes, ainsi qu'à la production d'œuvres nouvelles.
Nous devons mentionner en premier lieu le Pentateuque dont la mise en forme est souvent attribuée à Esdras, selon les termes d'Esd 7,25- 26. Cet événement, dont les contours et les circonstances nous échappent, donne beaucoup à penser à l'historien puisqu'il se situe à la fois au point de contact entre l'administration impériale perse et le monde juif, ainsi qu'au centre des divisions du monde juif.
Vient ensuite tout ce que la recherche sur l'histoire de la rédaction englobe, à défaut de précision supplémentaire, sous les termes d'exilique et post-exilique, dans l'élaboration des corpus historiographiques et prophétiques. Œuvres nouvelles aussi, parmi lesquelles figurent majoritairement les relectures midrashiques (Tb, Jdt, Est, 1 et 2 Ch), à côté de développements didactiques (Jb, Qo), ou de l'historiographie (Esd, Ne).
Parallèlement à cette augmentation du patrimoine scripturaire, on n'oubliera pas les premières traductions du texte biblique en grec, à Alexandrie : la future Septante. Dans ce domaine, notre période est manifestement riche d'événements sur lesquels on aimerait disposer d'éléments complémentaires.
© Damien Noël, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 121 (septembre 2002), "Au temps des Empires. De l'Exil à Autiochos Epiphane" (p. 5-8)