Les rapports entre texte et événement sont parfaitement modulables en fonction du genre littéraire...

Nous prendrons comme point de départ le texte de la constituion conciliaire Dei Verbum n°12. Ce texte de1965 reprend l’enseignement donné par Pie XII dans son encyclique '' Divino Afflante Spiritu '' en 1943 sur l'importance des genres littéraires pour la lecture de la Bible.

L’événement et le texte

Dei Verbum n°12 prolonge l’encyclique de 1943 en laissant entendre que les rapports entre texte et événement, qui constituent proprement l'histoire, sont parfaitement modulables en fonction du genre littéraire et que la vérité peut être portée et exprimée par tout texte, quel que soit son genre, indépendamment, donc, du rapport entre texte et événement. Une lecture attentive montre que le passage cité pose explicitement une différence entre des textes '' diversement historiques '', d’une part, des textes, '' ou prophétiques, ou poétiques ou même d'autres genres d'expression '', d’autre part. La désignation des premiers comme textes '' diversement historiques '', indique que la Constitution dogmatique conciliaire a en vue l'approche diversifiée de la réalité historique par des écrits qui ne relèvent ni de la prophétie (entendue ici en sens restreint, semble-t-il) ni de la poésie. Quels sont donc ces textes, sinon ceux qui configurent le passé d'Israël ?

En clair, ce paragraphe contient deux affirmations :
- n'importe quel genre de texte peut être vecteur de la Parole de Dieu ;
- la vérité de la Parole de Dieu est indépendante de la vérité historique du texte

L'appréciation du juste rapport d'un récit à l'événement qu'il relate est une opération très complexe qui demande rigueur et nuance. Elle exige en tout cas que l'on se déprenne d'une conception étroite de la vérité, selon laquelle ne serait vrai que ce qui est scientifiquement vérifiable, et qui caractérise l'historicisme. Elle exige également que l’on se déprenne d’une conception non moins étroite de la vérité selon laquelle '' ça s’est passé comme c’est écrit ''. La ligne directrice proposée par l'enseignement de l'Eglise consiste à prendre au sérieux les genres littéraires. Or, si tous les textes bibliques attestent la vérité révélée, ils ne le font pas tous sous le mode de l'histoire. L'ancrage de la vérité du salut dans l'histoire déborde largement la question de la vérité historique des textes. C'est le cas, notamment, pour certains mythes et légendes dont l'historicité ne peut qu’être nulle au premier degré de lecture. Ils permettent cependant d'accéder à l'histoire moyennant quelques détours méthodologiques. On parvient ainsi à préciser le statut et la fonction du mythe ou de la légende en rapport avec les circonstances historiques de leur production ou de leur utilisation. En général, on aboutit à des questions de légitimité d'une coutume, d'un sanctuaire, d'un régime politique, d'un type d'organisation sociale, etc.

La prise en compte des genres littéraires permet de considérer positivement les différentes représentations qu'un peuple peut se donner de ses origines, et de remonter aux contextes possibles pour leur élaboration. L'épopée, le récit des ancêtres, notamment, sont des genres littéraires communs à toutes les nations. Leur rapport à la vérité historique est un problème critique intrinsèque au genre employé. Le discours utilisé par les nations pour établir les origines et présenter les événements est toujours tenu pour vrai par les auteurs. La Bible ne fait pas exception à cette règle.

Avant d'évaluer l'historicité d'un texte, il importe donc d'identifier son genre littéraire. Les propriétés du récit montrent en effet qu'un auteur instaure toujours une distance entre son texte et la réalité des faits. Tout récit est plus ou moins tributaire d'artifices ou de sortilèges que l'on désigne globalement par le terme de fiction. Les discours, les scènes sans témoins, en particulier, sont des lieux privilégiés de l'expression libre des compositeurs.

À la lumière de quelques exemples tirés de la Bible, nous voudrions montrer comment certains procédés constitutifs d’une écriture de l’histoire et reconnus comme tels, tant par des historiens qui '' pensent '' leur métier que par des épistémologues de la démarche historienne, sont effectivement présents dans le corpus biblique et permettent éventuellement d’en dédramatiser l’approche et la réception comme écrit '' à prétention historique ''.


© Damien Noël, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 131 (mars 2005) "Archéologie, Bible, Histoirei",  p. 42-43.