– L'époque des Juges

Les dérivés de la racine « juger » apparaissent tous dans le cadre rédactionnel du livre des Juges. Leur introduction dans l’ouvrage est donc systématique et tardive. La période dite des Juges est une pure création biblique comme l’indiquent les expressions déjà signalées de Rt 1,1 ; 2 R 23,22 et 2 S 7,11.

Dans l’histoire d’Israël, une place est faite, entre la Conquête et la période pré-royale fort trouble de Jg 17–21, à une période intermédiaire où le salut du peuple est cycliquement retrouvé par l’envoi d’un « sauveur » qualifié plus tard de juge. Le cycle s’interrompt à la mort de Samson et Israël plonge dans un marasme d’où il ne sortira qu’avec les premiers rois, en particulier David. Nous tenons peut-être ici l’une des raisons pour lesquelles le temps des Juges commence avec un Judéen, Otniel, figure qui anticipe David, et s’achève avec la mort de Samson. Héros d’une tribu rapidement disparue de la carte, les exploits de ce dernier n’empêcheront pas les Philistins de menacer Israël pendant quelques siècles. Samson illustre ainsi l’épuisement et l’inefficacité de cette modalité de salut que constituait l’envoi épisodique d’un libérateur.

– Débat historique

Les résultats que l’exégèse obtient depuis plus d’un siècle recommandent que l’on ne parle plus d’une période des Juges, ainsi désignée en référence à une institution dont nous ne savons rien avant l’époque royale.

Seul le cadre tardif du livre connaît l’usage des termes dérivés de la racine « juger », équivalents à « gouverner », systématiquement appliqués aux figures ayant tenu Israël entre la Conquête et les Rois. Aucun indice ne permet d’établir que des juges aient gouverné Israël antérieurement à l’établissement de royaumes en territoire israélite ou judéen. Rien ne s’oppose, en revanche, à l’existence de leaders régionaux dont la mémoire sera localement transmise. En effet : « les rétrospectives tardives vers le passé revêtent généralement d’une idéologie moderne un matériau ancien […] il n’en reste pas moins, pour l’historien, la tâche d’enquêter pour savoir si elles ont conservé, et dans quelle mesure, des informations anciennes, et par quelles voies, avec quelles déformations, ces informations ont été transmises et réélaborées » (M. Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire, p 504-505).

En ce qui concerne la « période des Juges », reconnaître sa réélaboration ainsi que le caractère idéologique de son appellation n’autorise aucun refus de principe concernant d’éventuelles « informations anciennes transmises et réélaborées ».


© Damien Noël, Cahier Évangile n° 168, Samson, récit et histoire. Lecture de Juges 13-16, p. 54-56.