Le récit de Matthieu arrive à un tournant, marqué par cette formule : « À partir de ce moment… »

Lecture de Mt 16, 21 – 17, 27

Le récit de Matthieu arrive à un tournant, marqué par cette formule : « À partir de ce moment, Jésus le Christ commença… » (v. 21 ; comparer 4, 17). Il s’agit ici, pour la première fois, d’annoncer la nécessité de la Passion (« il faut », v. 21) dans le plan de Dieu et la vie de l’Église.


L’ombre de la croix (16, 21-27)[22e dimanche ordinaire A]

Lecture d’ensemble
La vie chrétienne ne se limite pas à l’heureuse découverte du Christ ; elle est une marche à la suite du Crucifié, dans le renoncement. Le passage comprend trois scènes successives.

- À ceux qui viennent de le reconnaître comme « Christ », Jésus Christ annonce sa Passion, but du départ vers Jérusalem (v. 21). Il identifie les responsables de sa mort et prédit sa résurrection « le troisième jour ».

- Un aparté (v. 22-24) présente la protestation de Pierre, devant cette éventualité, et la sévère réprimande de Jésus.

- Jésus revient vers ses disciples (v. 24-27) pour une brève leçon sur l’Église. Le discours s’articule ainsi : a) prétendre suivre Jésus, c’est accepter la croix, le renoncement (v. 24) ; b) en effet, se prendre soi-même comme le centre de tout, c’est perdre sa vie (25-26). c) Au terme, le Fils de l’homme jugera, lui qui révèle le chemin de la croix, le suit lui-même et reçoit du Père la charge d’évaluer la “ praxis ” (tel est le mot grec) de chacun.

Au fil du texte
1. L’expression ressusciter le troisième jour » est un motif « hors champ », destiné au lecteur chrétien et que Pierre, comme personnage du récit, semble n’avoir pas entendu.

2. Enhardi par son investiture (16, 17), Pierre détourne Jésus de la perspective de la Passion. Il s’entend dire : « Repars derrière moi », reprends ta place de disciple. Il est un « satan », un tentateur qui prétend savoir comment le Christ doit accomplir sa mission. Or il y a toujours un abîme entre les pensées de Dieu et la myopie humaine.

3. Être disciple, « marcher derrière » Jésus (v. 24), implique la « croix » ainsi interprétée : vouloir se sauver soi-même, assurer soi-même ses sécurités et se confier dans son avoir (gagner le monde entier), c’est se perdre. Viendront les jours d’échec où le croyant dira, comme le psalmiste : « Nul ne peut payer à Dieu sa rançon » (Ps 49, 8).

La Transfiguration (17, 1-9)[2e dimanche A de Carême et fête de la Transfiguration]

L’épisode de la Transfiguration échappe au fil de la lecture continue. La tradition liturgique le réserve au 2e dimanche de Carême, pour anticiper la victoire de Pâques, ainsi qu’à à la fête du 6 août.

Après l’annonce de la loi de la croix dans la vie de l’Église (16, 24), la scène apporte aux croyants la certitude d’un dénouement lumineux. Plus directement, le récit s’enchaîne avec une parole énigmatique : « Il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant dans sa royauté » (16, 28). Ainsi placé, le verset éclaire la Transfiguration comme une révélation de la gloire du « Fils de l’homme ».

Lecture d’ensemble

L’introduction (v. 1) campe les personnages, les trois disciples qui accompagneront Jésus dans l’épreuve de Gethsémani (26, 37), et le lieu : « la haute montagne » où Dieu va glorifier son Fils s’oppose à la « très haute montagne » où le diable offrait à Jésus « tous les royaumes du monde » (4, 8). L’épisode se répartit alors en deux temps.

- C’est d’abord l’aspect visuel, la transfiguration proprement dite, l’apparition de Moïse et Élie et la réaction de Pierre (v. 2-4).

- C’est ensuite l’émission de la voix céleste et les réactions des trois témoins (v. 5-6).

En conclusion, Jésus touche les disciples, comme pour les ramener ici-bas (v. 7-8). La liturgie ajoute la consigne de silence (v. 9) qui introduit le débat sur le discours d’Élie (17, 9-13). On saisit que les disciples ont eu une « vision », typique des apocalypses, leur révélant le Fils de l’homme.

Au fil du texte
1. La convention symbolique fondamentale du récit évoque Moïse au Sinaï, avec l’apparition de la gloire divine « après six jours » (Ex 24, 16), lui qui bé¬néficia aussi d’une transfiguration (Ex 24, 29). La nuée même (Mt 17, 5) rappelle la présence de Dieu au Sinaï (Ex 19, 9 ; 34, 5). Ajoutons le motif des « tentes » (v. 4), demeures éternelles des justes (Ps 118, 15 ; Ap 7, 15).

2. La transfiguration fait de Jésus un personnage céleste : « Son visage brilla comme le soleil » (v. 3). Il est l’avant-garde des justes qui « resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père » (13, 43).

3. La tradition juive ornait de multiples traits les personnages de Moïse et Élie. Matthieu voit sans doute en eux la Loi et les Prophètes, et leur apparition atteste que Jésus accomplit leur mission (voir 5, 17).

4. La voix céleste fait écho à la proclamation du baptême de Jésus (3, 17). Elle ajoute : « Écoutez-le », c’est-à-dire l’ordre donné par Dieu lorsqu’il promettait de « susciter » un nouveau Moïse (Dt 18, 15).


Vers la Passion (17, 10-27)
Le dialogue au sujet d’Élie (17, 9-13) revient aux souffrances du Fils de l’homme et de quiconque le suit. Avec la guérison de l’enfant épileptique (17, 14-21) et toujours dans la perspective de la Passion, Jésus n’invite pas l’Église à produire de brillants miracles, mais à surmonter d’abord la faiblesse de sa foi. Après la deuxième annonce de la Passion, qui attriste les disciples (17, 22 s.), l’épisode pittoresque de l’impôt du Temple (17, 24-27) apporte un double message de confiance : il situe les disciples dans une relation tout filiale avec Dieu et il manifeste la solidarité de Jésus avec Pierre, représentant de l’Église. (La liturgie de l’année A n’a pas retenu ces passages).


© Claude Tassin,
SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 129 (septembre 2004), "Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu", (p. 48-51).