L'histoire d’Israël montre que la naissance du prophétisme est contemporaine de celle de la royauté... mais les rapports entre les rois et les prophètes furent le plus souvent conflictuels.

Le prince et le prêtre chez Ézéchiel

Ézéchiel fait partie de la première vague des déportés de 597. Prêtre de Jérusalem, c'est à Babylone qu'il reçoit l'appel au ministère prophétique. Il est donc prophète parmi des exilés privés de terre, de roi et de temple. La monarchie judéenne n'exerce plus le pouvoir. Ézéchiel parle des rois mais il n'utilise pratiquement aucun des titres exprimant la dignité royale : aucune mention de l’ « oint du Seigneur », ni du don de la sagesse ou de l'Esprit. Bien plus, Ézéchiel, et en tous cas ses disciples, semblent même éviter le nom de "roi" (melek) pour lui substituer celui de « prince » (nasi). Ce terme renvoie à la tradition ancienne du peuple et, tout en contenant un jugement implicite permet d'éviter l'évocation des mauvais souvenirs des rois d'Israël.

Ézéchiel accable de sarcasmes le « prince » Sédécias qui abandonne honteusement Jérusalem lors de la prise de la ville (12,12-14). Il attribue aux « pasteurs », dirigeants politiques du pays, la responsabilité de l'exil à Babylone (34,1-10), si bien qu'en définitive, le Seigneur lui-même se chargera du troupeau (34,11-16). Mais, dans la deuxième partie de son ministère, après la chute de 587, Ézéchiel annonce au peuple découragé par le désastre que la vie est encore possible pour Israël. Si, dans sa vision de l'avenir, Ézéchiel ne renonce pas à toute structure royale, il lui accorde cependant un rôle beaucoup moins important. Le roi ne joue plus aucun rôle dans l'alliance conclue avec le peuple (34,25).

Les derniers chapitres du livre d'Ézéchiel (40-48) sont consacrés à la vision d'un nouveau temple sur une nouvelle terre. C'est du sanctuaire de Jérusalem que jaillit la source qui apporte au peuple et à la terre la fertilité et la vie (37). Le temple ancien était l'œuvre du roi Salomon, réalisateur des projets de son père David. Le temple nouveau, œuvre de Dieu est réceptionné par le prophète qui en organisé le fonctionnement. Mais c'est le prêtre qui y joue un rôle essentiel: il est au centre d'une activité cultuelle renouvelée qui permet au peuple purifié de célébrer le culte du Seigneur. Son prestige supplante progressivement celui du roi Durant certaines célébrations, seuls les prêtres sont admis à « s'approcher du Seigneur « et à « se tenir devant lui ».

Il n'est plus question de roi

Dans l'ensemble de ces chapitres, il n'est d'ailleurs plus question du roi. L'autorité politique est exercée par un prince. Au retour d'exil ce sont les prêtres qui exercent réellement l'autorité. Le texte du livre d'Ézéchiel est le reflet d'une nouvelle réalité politique. Le peuple d’Israël a perdu son indépendance, son territoire, son roi. Pour les exilés, et d'abord pour Ézéchiel, « la médiation sacerdotale, manifestée dans l'activité liturgique devait se substituer progressivement à la médiation royale, définitivement frappée de caducité par le cours impitoyable du temps » (L. Monloubou, "Ézéchiel et le renouveau législatif en Israël" dans L'année canonique, 21, 1977, p.l83.

Rois et prophètes, une histoire conflictuelle

L'histoire d’Israël montre que la naissance du prophétisme est contemporaine de celle de la royauté. Les deux institutions, comme en témoignent les livres bibliques, furent liées: les prophètes eurent souvent une fonction officielle à la cour. Mais les rapports entre les rois et les prophètes furent le plus souvent conflictuels. Exerçant dans la liberté une fonction critique par rapport à la monarchie, les prophètes préparèrent en fait progressivement les Israélites à pouvoir continuer à vivre comme « peuple de Dieu » sans les médiations institutionnelles qui firent leur force et leur identité. Sans roi ni terre, le peuple trouva dans une intériorisation de la parole prophétique et de la Loi les chemins renouvelés d'une véritable fidélité à son Dieu.

 

© Joëlle Ferry, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 83 (Mars 1993), « Bible et Royauté », p. 40-41.