Paul revendique souvent son autorité sur les communautés qu'il fonde....
'' Serviteur du Christ, apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu '' (Rm 1,1), Paul revendique souvent son autorité sur les communautés qu'il fonde. Ses visites, ses lettres, ou l'envoi de ses collaborateurs, montrent bien d’ailleurs que, même après son départ, il reste la seule véritable autorité dans ses communautés. Et toute mise en cause de sa personne semble être une atteinte à la vérité de l’Évangile (Ga 1,6-10) !
Mais si, le plus souvent, Paul justifie son autorité par son appartenance au groupe apostolique, et cela en vertu de la vision ou de l’apparition du Ressuscité (1 Co 9,1; 15,8), tout autre est l’argumentation de Ga 1,15-16 où il évoque sa propre vocation sur le modèle des vocations prophétiques, en particulier celles de Jérémie ou du Serviteur d’Isaïe.
Bien qu'il reconnaisse le pouvoir apostolique que le Christ lui a conféré (1 Co 1,1 ; Ga 1,11-12), Paul s'interdit pourtant d'en faire une mainmise sur les communautés qu'il fonde ou accompagne.
Un ministère d'intendant et de serviteur
Loin de vouloir tout contrôler ou régenter (2 Co 1,24), Paul définit son ministère, et celui de tous les prédicateurs de l'Évangile, comme un ministère d'intendant et de serviteur (1 Co 4,1-2). Dans de nombreux passages de ses lettres, il manifeste sa conscience de n'avoir pas d'autre mission que de conduire à l'obéissance de la foi (Rm 1,5 ; 6,16-17 ; 10,16 ; 5,18) et d’édifier le Corps du Christ, car le Christ lui a donné un pouvoir pour l’édification et non pour la destruction (2 Co 10,8). C’est pour cela aussi que dans les cas d’indiscipline (1 Co 11 ; 14), de scandale moral (1 Co 5), de grave offense envers l'un de ses envoyés et surtout d’atteinte à l’Évangile (Ga 1,9), Paul n’hésite pas à user de toute son autorité, au risque de faire preuve d’une grande sévérité (2 Co 10). Il ne se contente pas alors de donner un simple avis, il fait appel au '' commandement du Seigneur '' (1 Co 14,37 ; 1 Th 4,2 ; Phm 8). Il se dit même prêt à châtier (2 Co 10,6).
Une autorité de service
C'est un autre aspect de la manière dont Paul conçoit l'exercice de son autorité : parce qu’elle est exercée au nom de l'Évangile (2 Co 4,5), et finalisée par la construction et la croissance du Corps du Christ (1 Co 10,23-24 ; 12-13 ; Rm 14,19), cette autorité ne peut être vécue que dans le souci de la communion et du service de tous les hommes, surtout des plus faibles et des plus fragiles. Cela apparaît dans de très nombreux passages des lettres de Paul, comme dans cette exhortation bien connue de la lettre aux Romains : '' C’est un devoir pour nous, les forts, de porter les faiblesses de ceux qui n’ont pas cette force et de ne pas rechercher ce qui nous plaît '' (Rm 15,1 cf. Rm 14,1ss ; 1 Co 12,22-26 ; Ga 6,2 etc).
Dans le même sens, il faut également mentionner les nombreuses recommandations adressées aux chefs des communautés pour qu'ils renoncent au gain et à la domination et qu'ils deviennent des modèles pour leur troupeau (1 Tm 3,2 ; Tt 1,7-8). Enfin, comme nous le verrons plus loin, - toujours dans les Pastorales -, c'est leur capacité à savoir gouverner leur maison et leurs enfants qui deviendra, pour les épiscopes et des diacres, le critère de leur aptitude à exercer leur responsabilité (1 Tm 3,4-5).
Dans l'accueil de ses faiblesses
Voilà l'un des grands paradoxes de l'attitude de Paul dans l'exercice de son autorité. D'une part, il exige des communautés qu'il a fondées ou de ses collaborateurs une obéissance absolue, surtout en matière de foi ; d'autre part, il n'hésite pas à avouer sa fragilité et sa faiblesse (1 Co 2,3 ; 2 Co 1,8). Régulièrement, il évoque également son passé d’ancien persécuteur. Pourquoi ? Parce que l'œuvre de la grâce de Dieu en lui est la confirmation de son autorité et de sa vocation apostolique (Ga 1,13ss ; 1 Co 15,8-10).
De même, si elle se traduit parfois par une extrême fermeté, comme dans le conflit qui l'opposa à Pierre (Ga 2,11ss), l'autorité de Paul n'en est pas moins ouverte à toutes les formes d'amour et de tendresse, comme lorsque Paul avoue aux chrétiens de Corinthe qu’il les aime (2 Co 11,11; 12,15), d’un amour jaloux (2 Co 11,2). Ailleurs cette relation s’exprime à travers des métaphores parentales : Paul se compare alors à une mère (1 Th 2,7-8 ; Ga 4,19-20) ou il évoque les relations qui lient un père à ses enfants (1 Th 2,11 ; 1 Co 4,14 ; 2 Co 6,13 ; 11,14-15 ). Quand il ne va pas jusqu’à se reconnaître esclave, à cause de Jésus, de ses propres communautés (1 Co 9,19 ; 2 Co 4,5) !
On pourra toujours se demander si cela n'a pas eu pour revers une '' intransigeance jalouse et une emprise qui a pu entraver la marche des communautés pauliniennes vers l'autonomie '' (Jean-Claude Ingelaere). Quiconque exerce l'autorité sait bien, en effet, qu'il faut se méfier des réflexes paternalistes et d'attitudes affectives qui enferment plus qu'elles ne libèrent. Qu'on nous permette de penser que tel ne fut pas le cas de Paul. Jamais, en effet, il n'exigea d'être obéi pour lui-même, faisant toujours la distinction entre ce qui venait de lui et ce qui venait du Seigneur (1 Co 7,10-12). Jamais il ne profita de son autorité pour assouvir une quelconque soif de domination. Au contraire, sans cesse, il renvoya les communautés qu'il venait de fonder à leurs propres responsabilités et à leur capacité de discernement (Rm 12,2 ; Ep 5,10). Toujours, il sut renvoyer ses auditeurs à celui qui était à l'origine de son autorité : '' Ainsi celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croître '' (1 Co 3,7.10-11). Dans cet esprit, il faut comprendre les invitations de Paul à l'imiter, non pas comme le signe d'un orgueil sans mesure, mais comme un appel à entrer dans sa propre imitation du Christ : '' Imitez-moi comme j'imite le Christ '' (1 Co 4,16 ; 11,1 ; Ph 3,17, etc). Car si Paul s'érige en modèle, c'est pour conduire au Christ et pour qu'à sa suite les communautés qu'il a fondées vivent comme le Christ. C'est cela qui lui importe, et cela seulement.
© Pierre Debergé, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 126 (décembre 2003), "Paul, le pasteur" (p. 23-27)