Josué 24 est un midrash tardif, de style post-deutéronomiste.

Sans qu’un lien soit formellement établi avec le discours qui précède, Jos 24,1 (''Josué réunit toutes les tribus d’Israël à Sichem'') ouvre l’ultime développement du livre, l’alliance contractée avec Israël (v.1-28), suivie de la mort de Josué (v.29-31) et d’un bref retour sur les ossements de Joseph (v.32) qui pose un point d’orgue à une action commencée depuis longtemps (cf. Gn 50,24-25 ; Ex 13,19). Cette sépulture '' à Sichem, dans la portion de champ que Jacob avait achetée pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem '' (cf. Gn 33,19) achève le temps de l’exode et de la conquête, tandis que s’effacent les dernières traces de la génération du désert (la mort d’Eléazar, le fils de Josué, au v.33). Par ce biais, après avoir ouvert une issue vers l’avenir (l’alliance), le livre manifeste aussi l’ancrage dans le passé.

Un midrash anthologique. Jadis, nombre d’auteurs accordaient un arrière-fond historique à l’alliance contractée à Sichem (R. de Vaux). Notre lecture du livre invite plutôt à n’y voir qu’un midrash tardif, de style post-deutéronomiste, dont le plus proche parallèle serait Ne 9,6-32. En voici la structure :

v.1 : convocation de l’assemblée à Sichem

v.2-15 : discours de Josué
- v.2a : titulature divine
- v.2b-13 : préambule historique (en sept étapes : 2b ; 3-4 ; 5 ; 6-7 ; 8 ; 9-10 ; 11-13)
- v.14-15 : exhortation à choisir entre le SEIGNEUR et les idoles

v.16-24 : réponse du peuple - v.16-18 : engagement du peuple à suivre le SEIGNEUR
- v.19-21 : réaffirmation par Josué de l’exclusivisme yahviste
- v.22 : mentions des témoins
- v.22-24 : reprise de l’engagement du peuple

v.25-28 : scellement du pacte sur une pierre-témoin

v.28 : dislocation de l’assemblée


Comme en Jos 23, on peut deviner, en filigrane, le modèle littéraire détourné des traités de vassalité : titulature, rappel historique, engagement à la fidélité, disposition spécifique – l’exclusivisme yahviste –, appel aux témoins, cf. ''vous êtes témoins contre vous-mêmes'' (v. 22) et même la mention d’un document (la pierre). Mais il y a plus.

Récit ''anthologique'', Jos 24 développe nombre de thèmes contenus dans l’ensemble de la Torah. À titre d’exemple, considérons ce qui est dit de Jacob (v. 2) : l’évocation de l’habitat des Pères ''au-delà du fleuve'' est directement repris à Gn 31, 21, tandis que de Gn 31, 19-21.34-35 provient le thème du polythéisme des Pères. L’exhortation finale à ''enlever les dieux de l’étranger qui sont chez vous'' (v. 23) est un nouvel écho à cette figure, qu’il suffise de lire l’exhortation de Jacob à ses épouses en Gn 35, 2.4. Et la pierre érigée par Josué en témoignage d’alliance (v. 26-27) renvoie à l’alliance contractée entre Jacob et Laban selon Gn 31,45.48.

On trouverait ce même type d’écrire en ce qui concerne l’évocation de l’Exode aux v. 5-7, au travers de nombreux emprunts à Ex 14 : ''Je frappai l’Égypte […] Les Égyptiens poursuivirent vos pères avec des chars et avec des cavaliers […] Ils crièrent vers YHWH qui mit une nuée entre vous et les Égyptiens ; il fit venir sur eux la mer qui les recouvrit. Vos yeux ont vu ce que j’ai fait en Égypte.''

Quant à l’exhortation elle-même, elle reprend les termes clés de Dt 6 :
- ''des vignes et des oliviers que vous n’aviez pas plantés et dont vous mangez'' : Jos 24, 13 et Dt 6, 10-11;
- ''craignez YHWH et servez-le'' : Jos 24, 14 et Dt 6, 13-14 ;
- ''il est un Dieu jaloux […] Si vous abandonnez YHWH pour servir des dieux étrangers, il se retournera : il vous fera du mal et vous exterminera'' : Jos 24, 19-20 et Dt 6, 14-15.

Autant de traits qui manifestent le caractère tardif d’une écriture qui emprunte à toutes les traditions de la Torah. D’autant que seuls cinq textes font débuter leur rétrospective historique par l’époque patriarcale (Dt 4, 37-38 ; Dt 26, 5b-10 ; Ps 105 ; Ne 9, 6-32 ; et Jos 24), ce qui est un nouvel indice d’écriture tardive.

Josué et Moïse. Au terme du livre, Jos 24 propose donc une synthèse achevée de l’histoire au travers de la figure de Josué qui apparaît comme ''un nouveau Moïse''. Le fait est d’autant plus fort que la mention de Moïse en tête du v. 5 (''j’envoyai Moïse et Aaron'') est absente du grec et pourrait constituer – selon M. Anbar – une addition du texte hébreu, qui rompt l’équilibre du verset. Si tel est le cas, ''Moïse'' ne serait pas explicitement nommé dans la rétrospective historique. M. Anbar en tire des conséquences théologiques importantes : ''Après que l’école Dtr eut attribué à Josué la conquête de Canaan – conquête ‘idéologique’ sans fondation historique – un scribe postérieur a fait encore un pas en avant en lui attribuant les caractéristiques de Moïse.''

Sa manière de parler au v. 2 (''Ainsi parle YHWH, le Dieu d’Israël'') et le choix qu’il impose à Israël au v. 15 (savoir trancher entre YHWH et les idoles) l’apparentent aux prophètes (voir 1 R 18, 21), dont Moïse est la figure la plus achevée selon Dt 34, 10. Et c’est comme ''nouveau Moïse'' qu’il conclut ''une alliance pour le peuple'' et lui fixe ''un statut et un droit'' (v. 25) consignés dans les paroles d’un livre (v. 26a) et garantis par l’érection d’une pierre-témoin (v. 26b).

Un tel travail d’écriture à partir d’écritures antérieures jusqu’à produire, par imitation littéraire et développement midrashique, une nouvelle interprétation se retrouve ailleurs dans la Bible. Qu’il suffise de penser à l’uvre du Chroniste, vers le IVe s. av. J.-C., travaillant à nouveaux frais l’histoire déjà consignée dans les livres de Samuel et des Rois.


© Philippe Abadie, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 134 (décembre 2005) "Le livre de Josué, critique historique",  p. 46-47..