Deux chapitres sont consacrés au dernier grand roi de Juda, Josias...
Deux chapitres sont consacrés au dernier grand roi de Juda, Josias (640-609). Il est un des trois rois qui reçoivent la mention Très bien : « Il fit ce que le Seigneur juge correct et suivit en tout la conduite dé son ancêtre David; il ne s'en écarta ni à droite ni à gauche » (22,2). La notice donne un bon nombre d'informations sur son règne, mais elles proviennent de sources diverses et sont difficiles à coordonner. Aussi écrire l'histoire de Josias n'est pas une tâche facile !
Historie politique
On ne dit pas grand-chose de sa politique extérieure, mais on peut s'en faire une idée à partir de quelques informations données dans le ch. 23 et des sources historiques étrangères. Il est dit en 23,15-20 que Josias a profané et détruit le sanctuaire de Béthel. Or, au 7e siècle Béthel faisait partie de la province assyrienne de Samarie. Josias ne pouvait agir à Béthel que s'il avait établi son autorité sur cette province. La décadence de l'empire assyrien à cette époque (Ninive est détruite en 612) lui permettait de le faire. On peut supposer que Josias avait réussi à étendre son pouvoir sur une partie de l'ancien royaume d'Israël, rétablissant l'unité perdue depuis la mort de Salomon; mais le créneau dont il put profiter était très étroit. Les visées impérialistes des rois chaldéens de Babylone, qui avaient abattu l'empire assyrien, n'allaient pas tarder à se manifester. Et, de l'autre côté, l’Égypte se réveillait : le pharaon Neko entendait bien profiter de l'effacement de l'Assyrie pour rétablir la domination égyptienne sur la Palestine et la Syrie.
En 609, Josias crut pouvoir s'opposer, à Megiddo, au passage d'une armée égyptienne qui voulait intervenir sur l'Euphrate (23,29-35). On ne sait pas si Neko voulait prendre les restes de l'empire assyrien (ce que suggère plutôt 23,29) ou au contraire aider les Assyriens pour faire échec aux Babyloniens (selon la chronique babylonienne). En tout cas Josias y perdit la vie et l'indépendance de son royaume. Trois mois plus tard, Juda devenait vassal de l'Égypte.
Le « livre de la Loi » (2 R 22,8 – 23,3)
À l'issue de travaux dans le temple, le grand prêtre Hilqiya fait porter à Josias un livre qu'il présente ainsi : « J'ai trouvé dans le temple le livre de la Loi » (22,8). On peut déjà se demander ce que veut dire « J'ai trouvé ». Hilqiya a-t-il vraiment retrouvé un livre ancien déjà connu ou présente-t-il un ouvrage nouveau ? Si c'était un ouvrage nouveau, on devrait l'identifier à un projet de réforme religieuse élaboré par les prêtres de Jérusalem, celui que Josias mettra en œuvre. Mais pour le rédacteur deutéronorniste, il est clair qu'il s'agit du Deutéronome qu'il prend soin de citer plusieurs fois dans la suite du chapitre.
La majorité des exégètes partagent cette opinion, mais en posant une autre question: de quelles parties du Deutéronome s'agit-il 7 La suite du récit suppose que le livre de Hilqiya contenait des prescriptions rituelles et morales comme celles qu'on lit en Dt 12-26 et des malédictions pour les transgresseurs, dans le genre de celles de Dt 28. C'est seulement l'analyse précise du Deutéronome qui permettrait de définir le contenu du livre présenté à Josias; jusqu'à maintenant aucune des hypothèses proposées par les exégètes n'a fait l'unanimité. Le plus intéressant, c'est que ce livre va être publié, lu en public et imposé comme loi fondamentale du royaume. Il semble qu'on n'ait pas eu chez les Israélites d'autre texte de référence avant la publication par Esdras du « Livre de la Loi de Moise » (Ne 8,2), qui doit être le Pentateuque complet (autour de 400). Ces deux lectures publiques d'un livre de la Loi, à deux siècles d'intervalle, ont pas mal de ressemblances; par exemple le fait que la lecture fait pleurer les auditeurs (2R 22, 19; Ne 8,9). Mais c'est seulement sous Josias que la lecture de la Loi est conclue pat une alliance, un engagement du peuple.
L'exposé des exigences de l'alliance et les malédictions qui menacent les transgresseurs impressionnent vivement Josias qui déchire ses vêtements dans un geste de désespoir. Il prend conscience que l'alliance est violée et que les sanctions sont imminentes. Pour en avoir le cœur net, il envoie ses ministres consulter un prophète. Ce ne sera pas un des prophètes que nous connaissons, mais une certaine Houida qui avait l'avantage d'habiter à Jérusalem (22,14) et qui était bien connue de la tour. C'est l'une des rares femmes de la Bible à recevoir le nom de « prophétesse », avec Miryam, sœur d'Aaron (Ex 15,20), Débora la juge (Jg 4,4), l'épouse d'Isaïe (Is 8,3) et une certaine Noadia, au temps de Néhémie (Né 6,14), sans oublier Anne, au temps de Jésus (Lc 2,36).
Le message de Houida est double. D'une part la condamnation du royaume de Juda est confirmée : « Je vais amener le malheur sur ce lieu et ses habitants, tout ce que dit le livre qu'a lu le roi de Juda... Ma colère qui s'est allumée contre ce lieu ne s'éteindra pas » (22,16-17). D'autre part cette condamnation ne sera pas exécutée du vivant de Josias : « Parce que ton cœur s'est humilié et que tu t'es courbé devant le Seigneur... que tu as déchiré tes vêtements et pleuré devant moi... je te réunirai à tes ancêtres, tu seras enterré en paix et tes yeux ne verront rien du malheur que je vais amener sur ce lieu » (22,19.20). En fait le sursis accordé au royaume ne sera que de 25 ans et la mort brutale de Josias à Megiddo, treize ans plus tard (23,29) viendra contredire la prédiction de Houida.
C'est sans doute cette promesse qui a donné à Josias l'idée qu'il pouvait réparer l'alliance rompue et écarter la menace qul pesait sur son peuple. « Il convoqua tous les anciens de Juda et de Jérusalem... leur fit lire toutes les paroles du livre de l'alliance... Il s'engagea devant le Seigneur à le suivre, à garder ses commandements, ses exigences et ses décrets de tout son cœur et de toute son âme; à mettre en application toutes les clauses de l'alliance écrites dans ce livre. Et tout le peuple adhéra à l'alliance » (23,1-3).
Mesures réformatrices (2 R 23,4-24)
Les autres mesures prises par Josias peuvent s'expliquer en partie comme l'application des prescriptions du Deutéronome; mais la plupart peuvent s'expliquer sans cette référence, surtout quand Josias dépasse les exigences deutéronomiques. La suppression des sanctuaires yahvistes n'y était pas commandée explicitement; et le déplacement à Jérusalem de leurs desservants, à qui il sera interdit de monter à l'autel (23,8-9), contredi même le texte du Deutéronome (Dt 1 8,6-8).
Ce qui vient certainement du Deutéronome c'est la Pâque à Jérusalem; on la présente comme une nouveauté, mais aussi tomme le retour à une pratique oubliée depuis longtemps (23,21-23). On avait bien célébré la Pâque et les Azymes depuis Josué, mais sous la forme de fêtes familiales ou locales. Le Deutéronome en fait une fête nationale à célébrer au sanctuaire unique où le Seigneur fait résider son nom (Dt 16,5-6). La portée politique d'une telle célébration est évidente et Josias y trouvait un moyen d’appuyer son effort de reconstruction nationale. Elle servait aussi, bien sûr, à enraciner le peuple dans l'alliance où Josias l'avait engagé.
Bilan du règne de Josias (2 R 23,25-27)
« Avant Josias il n'y eut pas de roi pareil à lui qui se soit tourné vers le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, en suivant exactement la Loi de Moise. Après lui il n'en parut pas d'autre. Pourtant le Seigneur ne revint pas de la colère brûlante qui l'animait contre Juda, à cause de tous les méfaits par lesquels Manassé l'avait irrité. Et le Seigneur dit : Juda aussi, je le supprimerai, comme j'ai supprimé Israël » (23,25-27). Il n'y a pas de contradiction entre ces deux jugements qui concluent la notice de Josias. On peut bien faire l'éloge d'une personne et constater que son œuvre a été un échec. On serait même tenté de dire : ce roi si fidèle à son Dieu aurait mérité de réussir. C'est une conclusion que le livre des Rois veut justement nous empêcher de tirer.
Malgré ses bonnes intentions, Josias ne pouvait réussir On ne convertit pas un peuple à coup de mesures policières; le retour rapide du peuple à ses pratiques anciennes en est la preuve. Nous avons là-dessus les témoignages accablants de Jérémie et d'Ézéchiel. D'une manière plus discrète, les derniers chapitres des Rois montrent la même réalité. Et même si les gens de Juda avaient adhéré sincèrement à l'alliance dans laquelle le roi les avait fait entrer, le Seigneur ne pouvait maintenir l'existence d'un royaume qui s'était montré incapable de réaliser la vocation du peuple de Dieu. Josias arrivait trop tard et le mécanisme de destruction du royaume de Juda était déjà en marche: Josias en est une des premières victimes.
Alors, à quoi a servi son règne ? Une chose est restée de l'œuvre de Josias et elle est d'une grande importance, c'est le mouvement deutéronomiste. La publication du livre de la Loi a mis en route ce mouvement qui ralliait tous ceux qui soutenaient la politique de rénovation nationale entreprise par Josias. Spécialement par ses écrits, le mouvement deutéronomiste est un de ceux qui ont le plus aidé Israël à traverser l'épreuve de l'exil sans perdre son identité ni sa foi au Dieu de l'alliance. La grandeur de Josias est d'avoir rendu cela possible.
© Pierre Buis, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 86 (Mars 1994), « Le livre des Rois » p. 41-44.