Le discours se montre maintenant franchement exhortatif...
Le discours se montre maintenant franchement exhortatif, ce qu’il avait déjà commencé à faire un peu auparavant. En effet, il emploie dans cette péricope des impératifs à la seconde personne du pluriel, sous forme positive ou négative, et des subjonctifs : ce sont donc des conseils, des invitations. À partir de cette forme, on peut compter dix conseils, la plupart motivés par un « car » qui introduit diverses raisons, dont à l’occasion une citation de l’Écriture. « Dix » conseils, ce qui n’est pas sans faire penser aux « Dix Paroles » dont il a été question dans la péricope précédente, comme si la lettre voulait ici poser quelque régulation de la communauté à laquelle elle s’adresse. Mais la péricope 13,1-19 ne contient pas que des « conseils » : entre le sixième et le septième vient s’intercaler une sorte de profession de foi (v. 8), et le septième est suivi de tout un paragraphe (v. 10-15) qui parle tant de la question des doctrines (étrangères vs. vraies) que de celle des nourritures : il s’agit d’être fortifié (v. 9).
Voici les conseils : l’amitié / l’hospitalité / les prisonniers / le mariage / l’amour de l’argent / les dirigeants / les doctrines / l’entraide / les dirigeants / la prière
On a quelque mal à distinguer un ordre ou une progression dans cette liste de recommandations. On a vu que, depuis 10,19, le discours de la lettre qui cherche à consoler est attentif à marquer les points cruciaux de la vie chrétienne à la suite du Christ, le Fils grand-prêtre ; ce qui nous permet, à nous lecteurs modernes, de comprendre quelques-uns des enjeux de la communauté destinataire ; ici, au chap. 13, on a le sentiment que les conseils donnés sont tout à fait circonstanciels, si l’on peut dire, en ce sens que ce sont des recommandations qui conviennent pour la communauté que connaît l’auteur et à laquelle il s’adresse. On notera juste la double mention des dirigeants : d’une part, au v. 7, ils sont présentés comme modèles de la vie de foi (sans doute dans la ligne du chap. 11) ; d’autre part, au v. 17, ils sont ceux qui veillent sur la communauté.
Est-ce que le v. 8, Jésus-Christ est le même, possède une fonction particulière, là où il est placé ? Difficile à dire. La séquence qui l’entoure est celle-ci : des dirigeants modèles de foi / Jésus-Christ le même / pas de doctrines étrangères. La qualité de vie des dirigeants, et la manière dont leur vie s’est achevée, témoignent combien le mystère du Christ grand-prêtre s’est incarné dans leur propre histoire ; est-ce qu’en ce sens, Jésus-Christ est le même ? Peut-être faut-il suppléer un peu, en spécifiant par exemple « le même initiateur et accomplisseur de la foi » (12,2), ou bien encore « le même selon la puissance d’une vie indestructible » (7,16).
Les v. 10-15 semblent constituer un ultime argument pour ne pas « revenir en arrière », pour montrer combien le système ancien est appelé à disparaître devant la nouveauté du Christ. En effet, une référence est à nouveau faite au système sacerdotal : le fait que les corps des animaux sacrifiés étaient portés hors du camp. Ce trait du rituel ancien, auquel il n’avait pas encore été fait allusion, « s’ajuste » si l’on peut dire, à ce fait que Jésus a été crucifié en-dehors de la ville (c’est là une tradition solide). Non seulement, un trait du système ancien est ainsi « accompli » par le Christ, mais de plus il sert de point d’appui pour une manière de vivre des chrétiens : sortir du camp, porter son humiliation, être à la recherche d’une cité à venir. Plusieurs études ont montré en quoi ce trait caractérise la position sociale des chrétiens dans la cité et dans l’empire romain. Ceci étant, on pourrait aussi se demander : en citant pour finir ce trait du rituel ancien, ce « hors du camp », la lettre aux Hébreux a-t-elle ainsi « relu » complètement le système sacerdotal ancien, montrant alors qu’il est en son entièreté dépassé par le culte de la nouvelle alliance en Christ ?
Ce qui est remarquable dans cette péricope, c’est le fait que les « conseils » sont articulés à un élément de l’intelligence du mystère du Christ – comme la lettre l’a fait constamment –, mais aussi que ces « conseils » sont pratiques et concrets : la visée est de soutenir la vie chrétienne.
© Jean-Marie Carrière, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 151 (mars 2010), "Tenez bon ! Relire la Lettre aux Hébreux", pages 61-62.