Le chapitre 12 d'Osée concernant Jacob date au plus tôt du VIIe siècle avant notre ère dans les derniers moments du royaume d’Israël...
Nous avons la chance de trouver dans le corpus prophétique un texte qui, de toute évidence, connaît les traditions sur Jacob mais les relit dans une perspective particulière. Il s’agit d’Os 12, chapitre qui ouvre la troisième et dernière collection d’oracles du livre (Os 12–14). Il date au plus tôt du VIIe siècle avant notre ère dans les derniers moments du royaume d’Israël.
La première écriture de la tradition connue du prophète Osée est probablement issue des cercles lévitiques du royaume du Nord, dépendants ou précurseurs de la théologie deutéronomiste. Or, ces milieux portent un jugement très critique sur tous les éléments d’une tradition qu’ils semblent bien connaître, dans plusieurs de ses détails.
Jacob le tricheur
On peut diviser Os 12 en trois strophes poétiques (le rythme ternaire est très typique de la poésie du Nord) qui scandent le temps en trois moments : le présent (vv. 1-7), avec des verbes exprimant des actions inachevées, pas encore accomplies, ouvertes ; puis le passé (vv. 8-11), avec des verbes exprimant des actions totalement accomplies, sur lesquelles on ne peut revenir ; et enfin le futur (vv. 12-15), avec à nouveau des verbes d’actions inaccomplies.
Dans ce chapitre, Yhwh est en procès (rîb) avec Israël et il dresse une sorte de réquisitoire contre son peuple qui se conclura au verset 15 par une sentence, un jugement.
L’introduction des deux premiers versets donne le ton : Éphraïm* (une autre façon de nommer le royaume du Nord, peut-être pour désigner plus particulièrement le territoire déjà amputé par les Assyriens de sa partie transjordanienne et côtière après la première incursion de Tiglat-Piléser en 737) est un « berger de vent » (v. 2). On notera ici l’expression particulière de « maison d’Israël » (v. 1) : l’expression « maison de » est utilisée habituellement avec le nom d’un roi pour désigner une dynastie (comme la « maison d’Omri » par exemple).
On retrouve l’importance, comme dans le cycle de Jacob, du mot et du thème de la tromperie (mirmah, qui exprime le mensonge volontaire, parfois la violence, le fait de donner exprès du faux à son interlocuteur) ; il apparaît au début, au milieu et à la fin du chapitre (vv. 1, 8 et 15) : « Éphraïm m’entoure de mensonge et la maison d’Israël d’imposture » (v. 1) ; « Canaan a dans la main une balance trompeuse, il aime à frauder » (v. 8) ; « Éphraïm a fait à Dieu une peine amère [ou trompeuse] » (v. 15). La crise politique du présent est exprimée avec ces mots très forts. Éphraïm pervertit la réalité, il l’enveloppe, la ficelle de mensonge. La tension arrive à son paroxysme au verset 8 : la « balance trompeuse » est l’expression maximum de l’injustice, signe de l’horreur sociale au Proche-Orient ancien. Et la juxtaposition, à la fin de ce verset, des deux verbes « frauder » et « aimer » montre à quels extrêmes en est arrivée cette société.
Dans le cycle de Jacob, nous l’avons évoqué plus haut, ce mot-clé de « tromper-tromperie » apparaît à trois reprises (Gn 27,35 ; 29,26 et 34,13), il représente un axe fort de la première structuration du cycle de Jacob autour de l’ancêtre comme trickster, personnage rusé, truqueur, transgresseur de lois et de frontières, que l’on trouve dans beaucoup de récits mythologiques (il procède par farces, tricheries et magie pour changer le cours des évènements, arriver à ses fins et changer de statut ; cf. Ulysse dans l’Odyssée, Renart le goupil ou, en Afrique noire, l’Enfant malin).
La crise politique, mise en évidence par le prophète dans la première partie de son discours, lui permet de poser à nouveau la question des origines et de tenter de se débarrasser de ce personnage encombrant en en faisant une critique en règle et en lui substituant un autre modèle.
Au verset 7, l’affirmation : « Toi donc tu reviendras chez ton Dieu : garde la fidélité et la droiture » s’oppose aux dénonciations du verset 1 : la fidélité et la droiture sont le contraire de l’imposture et du mensonge et, pour donner tout son poids à l’imposture, le discours du prophète va accumuler les exemples tirés des aventures de l’ancêtre Israël ; ce dernier n’est pas présenté comme un modèle, bien au contraire.
Au verset 10, au cœur de la strophe centrale, une formule d’auto-présentation divine introduit une relecture du passé (v. 9), sur lequel il est impossible de revenir. Mais Yhwh propose un autre passé, une autre légende d’origine pour le peuple du Nord, située en Égypte et soulignant l’intervention des prophètes. Alors qu’Éphraïm* « multipliait » les mensonges et les violences (v. 3), Yhwh « multipliait » les visions et les prophètes (v. 11). Cette autre origine ne doit plus être cherchée dans la généalogie, comme l’a fait Jacob qui a accepté d’être esclave pour avoir une descendance et a travaillé comme serviteur pour s’assurer une lignée par des femmes. Il s’agit donc d’abandonner l’ancêtre et de regarder devant, avec les prophètes.
© Corinne Lanoir, Cahier Évangile n° 171, Jacob, l'autre ancêtre, p. 37-40.