Le parcours de Jacob s’inscrit dans une histoire de famille...
Le récit commence en Gn 25,19 et s’ouvre par la phrase caractéristique qui apparaît comme un refrain dans la Genèse : « Voici la famille d’Isaac, fils d’Abraham. » Le parcours de Jacob s’inscrit donc dans une histoire de famille. L’emploi à nouveau de cette formule en Gn 36,1 (« Voici la famille d’Ésaü qui est Édom ») permet de délimiter l’histoire de Jacob, entre la famille d’Isaac son père en Gn 24 et 26 et celle d’Ésaü son frère en 36. Mais, entre ces deux formules, l’histoire se complique dès la naissance.
Naissance des jumeaux. Le droit d’aînesse
Ces deux premiers épisodes (Gn 25,19-34 ; 27) mettent en place une série de thèmes qui vont se retrouver tout au long du cycle.
• Apparition d’une nouvelle génération (Gn 25,19-28).
Le motif de la stérilité de Rébecca, femme d’Isaac, reprend et précède d’autres récits construits autour du manque d’enfants, mais il est beaucoup moins développé ici que pour Sarah (Gn 16 ; 18,1-15) ou pour Rachel et Léa (Gn 30–31). Il est résolu rapidement, suite à une prière d’Isaac, par l’arrivée de deux jumeaux, présentés d’emblée comme rivaux : la rivalité n’est pas ici traitée au niveau de la génération des mères (Sarah/Hagar ou Rachel/Léa) mais au niveau de celle des enfants, par une lutte entre eux dès avant la naissance, qui rappelle celle des jumeaux de Tamar (Gn 38,27-30). C’est donc l’histoire d’une nouvelle génération qui commence et non plus celle d’Isaac, qui disparaît rapidement du récit, pour réapparaître une fois en Gn 26 dans une scène qui rejoue un épisode vécu deux fois par son père Abraham (Gn 12,10-20 ; 20,1-18).
La rivalité est annoncée à Rébecca dans un oracle qui fait d’elle l’ancêtre de deux peuples : « Deux nations sont dans ton sein, deux peuples se détacheront de tes entrailles. L’un sera plus fort que l’autre et le grand servira le petit. » (Gn 25,23). Cette inversion de l’ordre attendu (prééminence du premier-né) casse l’ordre familial établi et lance un récit qui se développera dans le chapitre suivant, à l’initiative de Rébecca et Jacob.
Mais, déjà, leur naissance pose les différences entre les « jumeaux » : Ésaü est caractérisé par deux traits physiques, « roux » et « velu », alors que Jacob est un actif qui saisit le talon de son frère, même si ce geste n’est pas forcément à interpréter comme visant à la domination.
L’aîné est un chasseur fréquentant le monde sauvage de la steppe ; notons que les qualificatifs qui lui sont attribués sont ailleurs connotés positivement : le seul autre personnage biblique « roux » est le jeune et beau David (1 S 16,12) et, quant à l’abondance de poils, elle caractérise l’habit des prophètes Élie (Za 13,4) et Jean Baptiste (Mt 3,4).
Jacob, lui, est qualifié de garçon « raisonnable » (v. 27 ; peut-être faudrait-il traduire par « civilisé » ?), fréquentant le monde domestique des tentes. Ce garçon qui sait raisonner va très vite montrer qu’il peut tirer parti de toutes les situations.
• Le rachat du droit d’aînesse (Gn 25,29-34).
Le narrateur fait défiler les années à toute vitesse pour arriver à une nouvelle confrontation des deux frères. Mais, ici, Ésaü se rapprocherait plutôt de la figure de l’homme sauvage, tel Enkidu dans l’Épopée mésopotamienne de Gilgamesh, un guerrier plein de force mais non civilisé (tablette I, colonne II, lignes 35-37). Les différences observées à la naissance prennent avec cet épisode une connotation plus marquée : négative pour Ésaü (notons qu’il n’est jamais désigné comme « premier-né »), positive pour Jacob. Ce qui était ébauché dès la naissance est maintenant montré par un narrateur qui dirige le regard et l’évaluation du lecteur. Le berger du monde domestique obtient ce qu’il veut du chasseur des steppes dans un récit qui se présente comme une caricature, forçant le trait sur l’esprit vif et rusé de l’un et sur l’aspect « mal dégrossi » de l’autre ; l’Ésaü présent ici est différent de celui du chapitre 27 qui pleure sa bénédiction perdue. Son nom, « Édom », reçoit une nouvelle justification, lié à la couleur rouge, celle d’une soupe – ce qui ne manque pas d’ironie.
Le mot bekhora qui désigne le droit d’aînesse, est plutôt rare dans l’Ancien Testament. Il n’apparaît qu’en Gn 27,36 ; Gn 43,33 ; 1 Ch 5,1.2 et Dt 21,17. Répété trois fois au cœur de ce récit (Gn 25,31.32.33) et une fois en conclusion (v. 34), il en est l’axe central.
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