Pour lire Isaïe dans son ensemble il faut regarder de près ce qui se joue dans les chapitres historiques : 36-39...

Le rôle des chapitres centraux (Is 36-39) dans l’architecture du livre

Les chapitres 36–39 (// 2R 18–20) ont longtemps été considérés comme un épilogue historique au Premier Isaïe sur le mode de celui qui conclut le livre de Jérémie (Jr 52). Pourtant, comme B. Childs (1979) l’a fait remarquer, ces chapitres ont un rôle important dans l’architecture du livre puisque, d’une part, ils se situent au VIIIe siècle et contiennent les seules mentions du " Prophète Isaïe " dans le livre des Rois et que, d’autre part, ils se concluent par l’annonce de l’exil à Babylone qui constitue l’arrière-fond du " Deutéro-Isaïe ".

Pour lire Isaïe dans son ensemble il faut donc regarder de près ce qui se joue dans ces chapitres historiques :
• deux acteurs principaux : le roi juste Ézéchias et le prophète Isaïe;
• le salut de YHWH est accordé par deux fois successivement à Jérusalem (face à l’Assyrien) puis à son roi (atteint d’une maladie mortelle);
• l’annonce par le prophète dont le nom signifie " YHWH sauve " de la pire catastrophe qu’ait connue l’Israël biblique : destruction du temple, perte de la dynastie davidique et exil à Babylone.

L’oracle de Nathan et l’unité du livre d’Isaïe

Partant de là, le lecteur remarquera que ces chapitres sont précédés au chapitre 7 (v. 1-17a) par un autre épisode à prétention historiographique racontant également une rencontre entre le prophète Isaïe et un représentant de la maison de David, le roi Achaz, père d’Ézéchias. Le parallèle entre les deux épisodes est marqué notamment par une identité de lieu au départ (7,3//36,2) et par le fait qu’Achaz est désigné à deux reprises par l’appartenance qu’il partage avec Ézéchias, à la " Maison de David ". Cette manière pour le moins surprenante de s’adresser à Achaz (" Écoutez donc, maison de David ! " 7,13) est reprise dans l’annonce faite à Achaz de l’invasion assyrienne en 7,17, laquelle constitue précisément l’arrière-fond du chapitre 36. En outre, dans l’annonce de l’invasion babylonienne faite, cette fois, à Ézéchias, le mot " maison " revient 6 fois en 6 versets (39,2-7). Dans ce dernier cas, il n’a plus le sens de " dynastie " mais celui de " palais ". Or cette ambiguïté n’est pas étrangère à la mémoire du lecteur biblique, surtout dans le cadre d’une rencontre entre un roi et un prophète : n’est-ce pas grâce à elle que Nathan, maniant l’ironie, fait comprendre à David l’ordre de priorité que souhaite YHWH dans la construction des maisons ? L’oracle qu’il lui délivre pourrait en effet se résumer ainsi (cf. 2 Sm 7,1-17) : Ce n’est pas toi qui va construire une maison à YHWH (un temple), c’est lui qui va te construire une maison (une dynastie).

L’importance de cet oracle de Nathan pour la compréhension du texte isaïen a été signalée par de nombreux auteurs dont J. Vermeylen (1977) et E. Conrad (1988). Ce dernier fait en outre remarquer que la forme d’oracle de guerre (avec notamment l’exhortation : " ne crains pas ! ") qui caractérise les interventions d’Isaïe auprès des deux rois se retrouve également à d’autres endroits, mais adressé cette fois au peuple. Cela pourrait suggérer le passage de la charge de " serviteur de YHWH " (titre davidique) aux serviteurs israélites. Il y a là un renouvellement des promesses faites à David que la succession des oracles accompagne en jouant sur le schème (ancien, premier / nouveau, dernier) comme nous pourrons le relever dans la lecture suivie. C’est à cette lecture qu’il faut maintenant s’atteler sachant que pour réussir cet exercice il n’y a pas de meilleur pédagogue que le texte lui-même.


© Dominique Janthial, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 142 (décembre 2007), "Le livre d'Isaïe ou la fidélité de Dieu à la maison de David",  p. 6-8.