Quelques principes de base pour une première approche de l'analyse narrative...
Optique de l’analyse narrative
Quel angle de vue est propre à l'analyse narrative dans l'approche d'un récit ? Pour le dire autrement : quelles questions cette lecture pose-t-elle au texte qu'elle aborde ?
Il existe, on le sait, bien des manières de raconter une même histoire, et la façon de raconter n'est pas indifférente au sens qui se dégage et à l'effet produit. Au contraire, elle est souvent déterminante. La lecture narrative prend en compte cette distinction entre l'histoire racontée d'une part et la narration d'autre part, à savoir le récit concret qui est fait de cette histoire. Celui-ci relève du narrateur, de la « voix » qui raconte l'histoire et qui, dès lors, met en œuvre une façon précise de raconter.
Essentiellement, donc, l'analyse du récit s'interroge sur le comment de la narration. Pour elle, un récit est le véhicule d'une communication entre un émetteur (le narrateur) et un récepteur (le lecteur), et un des objectifs principaux de la lecture est d'étudier la a stratégie narrative », c'est-à-dire les modalités concrètes que le narrateur met en place dans le récit pour communiquer avec le destinataire et lui présenter son monde de valeurs et ses convictions.
Des questions pour un récit
Pour ce qui est de l'histoire racontée, comment le récit qui en est fait est-il construit ? Comment le narrateur en structure-t-il l'intrigue ? Celle-ci conduit-elle à transformer une situation à dénouer un conflit ou à dévoiler une vérité cachée ? Quel rythme le narrateur adopte-t-il aux différents moments de son récit et quel est l'effet ainsi produit ? Comment s'y prend-il pour créer et maintenir le suspense, et donc l'attention du lecteur ? Comment induit-il ce dernier à découvrir ce qui est caché dans le récit ? Quel usage fait-il de la répétition, à l'intérieur de son récit ou entre divers épisodes de l'histoire biblique ?
Quels personnages le narrateur met-il en scène et comment les fait-il jouer entre eux ? À quels procédés a-t-il recours pour les caractériser ? Description directe, dialogues, monologues intérieurs, opposition avec d'autres acteurs appréciations explicites font partie de l'arsenal des techniques à la disposition du narrateur : quelles sont celles qu'il privilégie ? En particulier, comment le narrateur s'y prend-il pour mettre en scène le personnage « Dieu » ?
Pour ce qui est du narrateur lui-même, à partir de quelle perspective envisage-t-il les choses et les événements ? Raconte-t-il lui-même leur déroulement ou montre-t-il l'action telle qu'elle se joue entre les personnages en dialogue ? Le narrateur intervient-il, prend-il position par rapport à ce qu'il raconte, porte-t-il des jugements de valeur pour guider la lecture, ou au contraire reste-t-il en dehors laissant au lecteur le soin d'apprécier ce qui se passe ? Bref, comment s'y prend-il pour tenter de faire partager au lecteur son système de valeurs ?
De manière plus globale, l'analyse narrative portera une attention spéciale aux répétitions à l'intérieur même du récit, aux conventions narratives mises en œuvre, aux rapports avec d'autres récits comparables en tout ou en partie.
Le lecteur et sa tâche
Grâce à cette approche multiple, l'analyse du récit permet de découvrir combien le sens d'un texte se construit dans l'événement même de la lecture. Car le lecteur n'est pas un récepteur passif. Il est comme entraîné par le narrateur à entrer dans un processus actif, dynamique, de production de sens à partir d'éléments et de signes disposés tout au long de la narration.
En ce sens, l'approche narrative ne propose pas une lecture froide et technique des récits. Au contraire. Tout en démultipliant le plaisir de lire, elle introduit à un dialogue vrai avec le texte, en donnant à celui-ci les moyens de dire ce qu'il dit. Mais en acceptant de jouer le jeu que propose le narrateur, le lecteur autorise ce dernier à questionner, voire à bousculer ses représentations, ses valeurs et sa vérité en lui en proposant d'autres. Pris au sérieux, un tel dialogue ne laisse personne intact.
Cette lecture nouvelle pourrait donc bien impliquer, au-delà de la mise en œuvre de ses procédures, une nouvelle herméneutique biblique, une manière différente d'envisager l'anthropologie et la théologie bibliques. Non pas seulement comme un regard purement historique sur la manière dont l'Israël ancien a considéré Dieu et l'homme dans leurs relations mutuelles, mais aussi comme un processus actuel où une vérité de l'homme et de Dieu vient au jour dans l'expérience même du dialogue entre le narrateur biblique et son lecteur.
(…)
© Collectif SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 107 (Mars 1999), « L’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament », p. 6-8.