Voilà une affirmation qui suscite bien de l’incompréhension...

" Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres ; femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de l'Église, lui le Sauveur de son corps". Mais, comme l'Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris " (Ep 5,22-24).

S'il est un passage du Nouveau Testament qui suscite de l’incompréhension, c'est bien ce passage de la lettre aux Éphésiens. Un premier constat s’impose pourtant : trois versets seulement sont consacrés aux devoirs féminins alors que sept concerneront ensuite les devoirs des hommes (5,25-32). Cette disproportion étonne. Signifie-t-elle que les maris avaient, plus que les femmes, davantage besoin d’être instruits au sujet de leur vie de couple ? La question mérite d’être posée, mais une chose est certaine : l’auteur de ce passage (l’authenticité paulinienne de la lettre est discutée) semble d’abord s’adresser aux hommes. C’est pour cela que, de manière astucieuse, il commence par rappeler aux femmes qu’elles doivent se soumettre à leurs maris. Pourquoi ? Parce qu’une prédication qui aurait proclamé la fin de la soumission de la femme et l’abolition de toute hiérarchie n’aurait pas été entendue ! En énonçant d’abord ce qui était admis par tous, l’auteur de ce passage savait qu’il ne rebuterait personne et que son auditoire, conquis, écouterait la suite. Or c’est là que tout change : délaissant les prérogatives masculines, l’auteur n’entretient les maris auxquels il s’adresse que de leurs obligations. Elles sont autrement astreignantes que celles de leurs épouses : " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré pour elle ; il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l'eau qui lave et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable. C'est ainsi que le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps " (Ep 5,25-28).

Voilà où réside la nouveauté de l’Évangile : les maris doivent se livrer pour leurs femmes comme le Christ s'est livré pour l'Église. S’il ne conteste pas, à première vue, une situation culturelle où une position d'autorité était reconnue à l'homme, l'auteur de la lettre montre ainsi comment la primauté de l'homme devient en Jésus-Christ une primauté d'amour. À l’opposé des abus auxquels leur situation de chef conduisaient les maris, l'amour à l'exemple du Christ devient donc le fondement de l'exigence pour les maris de se donner totalement à leurs femmes.

En affirmant que la relation entre l’homme et sa femme ne peut plus être déterminée par des réflexes de supériorité mais par une attitude faite de dépossession et d’abandon ; en invitant aussi les femmes à respecter réellement leurs maris, l’auteur de cette lettre élevait également le mariage au rang de sacrement de l’Amour du Christ pour l’Église. Au même moment, il annonçait que la nature réelle de l’union conjugale nous est révélée par l’acte d’offrande du Christ qui, en se livrant pour l’humanité, a manifesté la profondeur et la grandeur de l’Amour de Dieu.

Plus que quiconque, l’auteur de la lettre savait pourtant que, dans cet ordre nouveau instauré par le Christ, chaque membre du couple aurait à vaincre sa tentation propre. Pour la femme, invitée à respecter son époux, il s’agirait de ne pas simuler une fausse soumission et de ne pas se jouer de son mari en le dominant en réalité ! Quant au mari, atteint dans ses prérogatives masculines, il lui faudrait apprendre à se méfier de ses réflexes de domination. Une telle transformation des rapports humains réclamait la conversion et de l’un et de l’autre. Elle impliquait une reconnaissance mutuelle, aucun des deux au sein du couple ne cherchant à aliéner l’autre ou à le confisquer.


© Pierre Debergé,
SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 126 (décembre 2003), "Paul, le pasteur" (p.44)