Bien que parfois étranges, les propos d'Ézéchiel sont loin d'être sans intérêts pour nous aujourd'hui...

Peu de chrétiens ont lu Ézéchiel. En dehors de quelques textes comme la vision des ossements desséchés, la parabole des mauvais bergers ou l’oracle sur le cœur nouveau, son œuvre demeure pratiquement inconnue. Le Nouveau Testament ne le cite pas beaucoup non plus, sauf l'Apocalypse de Jean qui en reprend quelques éléments. Et pourtant Ézéchiel est un prophète passionnant et passionné attachant et sensible, même si parfois ses images et son langage sont lourds.

Son influence ne se fit sentir que longtemps après sa mort. Plus peut-être que celle des autres prophètes, son œuvre fut lue et méditée, complétée et travaillée. Et cela explique en grande partie que son livre soit parfois déroutant. Les images s'alourdissent, il se répète, le texte devient flou à force de vouloir tout dire. C'est bien connu: à vouloir trop expliquer, on embrouille. Et c'est ce qui est arrivé à son livre.

Le prophète Ézéchiel était prêtre de Jérusalem (cf. 1,3). Ce cas n'est pas unique, le prophète Jérémie par exemple, était prêtre lui aussi, mais il n'exerçait pas à Jérusalem et son rôle sacerdotal était moins important. Ézéchiel appartient, lui, au clergé de Jérusalem, celui qui occupe le devant de la scène.

Le tiraillement entre son métier sacerdotal et sa mission prophétique intensifie la sensibilité extrême d'Ézéchiel. Pour lui, tout devient occasion d'annonce de la parole prophétique : la lame du rasoir (5,1s), la nourriture (4,9s), la mort de sa femme (24,15s)... Il entre corps et âme dans cette proclamation: c'est lui qui doit manger la nourriture impure, lui qui doit se raser la tête et la barbe. Il s'implique totalement dans ses actions symboliques comme dans ses visions : dans celles-ci, il ne voit pas seulement, il agit. Lors de la vision de la marmite (11,3), sa parole prophétique provoque la mort, comme elle provoque la vie dans la célèbre vision des ossements desséchés (37,10).

Ézéchiel est né prêtre, mais il est devenu prophète. Nous allons essayer, dans ce Cahier Évangile, de connaitre ce prophète, de comprendre ce prêtre.

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« Ce que voit cet homme n'est pas pour demain : il prophétise pour des temps éloignés... » (Ez 12,27)

Comme nous serions tranquilles si les prophètes parlaient pour des temps éloignés ! L'attitude qui consiste à rejeter dans le passé ou le futur la parole prophétique ne date pas d'aujourd'hui... Mais le prophète n'est pas un astrologue ni un devin qui annonce l'avenir (cf. Cahier Évangile n° 23, p. 6-8). C'est un homme qui parle pour l'aujourd'hui. Et c'est précisément cela que les contemporains d'Ézéchiel refusaient d'admettre.

D'après un oracle d'Ézéchiel (12,21-25), les exilés nient absolument l'efficacité de la parole prophétique : « Les jours s'éternisent et aucune vision ne se réalise ! » Dans l'oracle cité ci-dessus (12,27), la contestation est plus fine. On ne nie pas la force ou l'efficacité de la parole; on la remet pour plus tard : c'est une parole qui ne vaut pas pour eux, mais pour les autres ! Joli tour de passe-passe des Israélites désireux d'éloigner une parole embarrassante !

Malheureusement, la parole de Dieu annoncée par son prophète est une parole pour eux, c'est-à-dire pour l'aujourd'hui. La réponse divine se répète : « Quoi que je dise, cela se réalise sans trainer. C'est de votre vivant que j'exécuterai la parole que j'aurai dite » (12.25) : « Aucune de mes paroles ne trainera plus; la parole que j'ai dite s'exécutera, oracle du Seigneur ! » (12,28).

Comme tous ies prophètes, Ézéchiel parle pour ses contemporains. Mais plus encore que celle des autres peut-être, sa parole s'enracine dans l'aujourd'hui, car son temps était tellement dur qu'il avait un besoin urgent de la lumière apportée par la parole prophétique. Dans l'angoisse et l'incertitude d'avant la chute de Jérusalem, Ézéchiel parle pour dévoiler le sens et la signification de ce qui arrive à Juda. Dans le désespoir de l'exil, le prophète va faire renaitre l'espérance et la vie. Dans les deux cas, il ne s'agit pas de faire de la « science fiction ». La parole prophétique n'est pas une drogue qui fasse voyager loin de nous et de notre présent. Elle nous met au contraire face à nous-mêmes, dans ce présent qui est le nôtre. Elle nous interpelle ici et maintenant. Il n'y a pas d'échappatoire possible

 

© Jésus-Maria Asurmendi, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 38 (novembre 1981), « Le prophète Ézéchiel », p. 5 et 9.