Plusieurs points caractérisent le récit que fait Luc de l’entrée de Jésus à Jérusalem...
Plusieurs points caractérisent le récit que fait Luc de l’entrée de Jésus à Jérusalem.
À la différence des autres évangélistes, il limite d’abord le nombre de ceux qui, remplis de joie, louent Dieu pour tous les miracles qu’ils ont vus et acclament Jésus comme le/leur roi puisqu’il réserve cela aux seuls disciples (v. 37), sans jamais faire allusion aux habitants de Jérusalem.
Autre différence : c’est de la foule que viennent les réactions négatives de quelques pharisiens, mentionnés ici pour la dernière fois. Indignés par l’acclamation de Jésus comme roi-messie, ils lui demandent de « reprendre » ses disciples, autrement dit de les faire taire (v. 39) ; mais la réponse de Jésus, qu’ils appellent « maître », tout en donnant raison aux disciples, annonce la destruction de Jérusalem qui n’a pas accueilli son roi (vv. 40.44 ; cf. Ha 2,11).
Enfin, contrairement aux évangélistes Matthieu (21,5) et Jean (12,15), Luc ne cite pas la prophétie de Zacharie (9,9-10) à propos de l’arrivée, à Jérusalem, de son roi « monté sur un ânon », même si certains traits s’en rapprochent. À cet oracle prophétique, il semble préférer l’intronisation du roi Salomon (1 R 1,38-40), avec laquelle son récit présente plusieurs ressemblances littéraires : les deux disciples qui « font monter Jésus » sur l’ânon ; la « descente » depuis le mont des Oliviers ; la « joie de la multitude » qui s’exprime « à pleine voix ». On notera également que Jésus, pour la première et dernière fois, se désigne ici comme « le Seigneur » (v. 31d ; repris en v. 34b), tout en faisant preuve d’une préscience prophétique puisqu’il est capable d’indiquer exactement aux disciples ce qu’ils trouveront (vv. 30-31).
La première partie de l’acclamation : « Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur » (v. 38a) reprend le psaume 118(117),26, à ceci près que Luc y insère un titre non employé jusqu’ici à propos de Jésus : « le roi ». Préparé en amont (Lc 1,32b.33 ; 18,38 ; 19,12), ce titre manifeste la véritable identité de Jésus, en même temps qu’il s’inscrit en tension avec l’appellation « le roi des Juifs » qui sera utilisée ensuite de manière ironique par les soldats (23,37-38).
La deuxième partie de l’acclamation : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux » (19,38b), fait écho à celle des anges, à Bethléem : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes » (2,14), à cette différence cependant qu’ici la paix est au ciel, et non sur la terre. Il est possible que ce soit, pour Luc, une manière de montrer que Jésus, reconnu comme roi-messie, n’est pas un roi politique, mais on peut y voir aussi une conséquence du non-accueil de la paix universelle apportée par Jésus (cf. 19,42). Par la suite, on constatera que le premier don que le Ressuscité offrira à ses disciples n’est autre que la paix (24,36) qu’une fois crucifié il a reçu de son Père, après avoir connu son agonie sur ce même mont des Oliviers (cf. 22,41- 44) où la foule des disciples l’acclame.
Dans un contraste saisissant avec la joie de ses disciples, Jésus, à la vue de Jérusalem, pleure ensuite sur elle. Dans l’évangile de Luc, c’est la seule fois qu’il pleure, parce que la Ville sainte n’a pas su reconnaître en lui le messager de la paix (19,42 ; Ac 10,36), pas plus que le temps où elle était visitée (v. 44 ; cf. 1,68). Aussi, à la suite de bien des prophètes, porteurs du jugement de Dieu (cf. Es 29,3), il annonce la destruction de Jérusalem (vv. 43-44 ; cf. 21,20).
En entrant dans le Temple, Jésus prend possession de la « maison » de son Père (cf. 2,49). Puis, il procède à sa purification en chassant les marchands (cf. Za 14,21), un geste que Luc interprète en citant les prophètes Isaïe (56,7)2 et Jérémie (7,11) (1). L’accusation de Jésus concerne surtout les responsables du Temple qui en ont détourné la mission à leur profit, en faisant de ce lieu de prière un lieu de commerce. On sait, en effet, que Caïphe avait depuis peu autorisé l’ouverture d’un marché dans l’une des cours du Temple, et c’est contre ce commerce d’animaux dans l’enceinte sacrée que Jésus s’insurge.
Luc indique ensuite que Jésus enseignait chaque jour dans le Temple et qu’à la différence du récit de Marc, où on le voit faire la navette entre Jérusalem et Béthanie, il n’en sortait que pour passer la nuit sur le mont des Oliviers (21,37). Les pharisiens ayant disparu (v. 39), ce sont désormais les grands prêtres et les scribes, ainsi que les chefs du peuple, qui « cherchent à le faire périr », mais ils ont peur du peuple
© Pierre Debergé, Cahier Évangile n° 173, Pour lire l’Évangile selon saint Luc, p. 50-51.
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(1) Il faut remarquer qu’à la différence de Marc, Luc coupe la citation de sa partie finale : celle-ci n’a plus de sens puisqu’il rédige son évangile après la destruction de Jérusalem.