La réponse à cette question est moins simple qu'il y paraît...

Cette question de l’origine de la force de Samson peut paraître incongrue, tant les représentations inconscientes des lecteurs et une bonne partie de l’histoire de l’interprétation ont associé cette force à la longueur des cheveux. Mais une lecture plus attentive du texte et plus sensible à ses indéterminations et à ses ambiguïtés montre que la réponse est moins simple qu’il n’y paraît.

Si nous essayons de mettre les choses à plat, nous recueillons les données suivantes :

1) Hormis de Samson lui-même qui la met en œuvre, cette force est connue du lecteur, et du lecteur seul (scène sans témoin), à partir du massacre du lion (14,6).

2) Son origine est alors clairement référée, par le narrateur réputé fiable, à Dieu lui-même : « L’esprit de Yhwh pénétra en lui […] et Samson déchira le lion » (14,6 ; prolepse en 13,25 et confirmation en 14,19 ; 15,14). Mais rien ne permet de dire si Samson est conscient ou non de ce lien.

3) Un certain nombre d’exploits fabuleux ne sont pas du tout – d’une façon ou d’une autre – rattachés à la divinité (15,4 : les renards ; 15,8 : la défaite ; 16,3 : les portes de Gaza ; 16,9.12.14 : les trois fois où le héros échappe aux liens de Dalila). Dans ces cas (les seuls où nulle mort d’homme n’est explicitement signalée), cette assistance divine doit-elle être considérée comme implicite ou faut-il comprendre que, même sans la grâce, Samson est doté d’une nature herculéenne ?

4) C’est vers la fin du récit, et vers la fin seulement, que certains propos de Samson et du narrateur semblent accréditer la thèse la plus populaire, celle de la force dans les cheveux. Le point de vue de Samson (personnage humain pas forcément fiable) : « Si j’étais rasé, alors ma force s’écarterait de moi » (16,17) ; le point de vue du narrateur : « Elle rasa les sept tresses […] et sa force s’écarta de dessus lui » (16,19) ; « Et la chevelure de sa tête commença à pousser » (16,22).

5) Au même endroit, cette interprétation « magique » est cependant contrebalancée par une information du même narrateur fiable et omniscient à propos du retrait de Yhwh de dessus Samson (16,20). Cette information (« Il ne savait pas que Yhwh s’était retiré loin de lui »), si elle est prise au sérieux, pourrait d’ailleurs signifier que Samson, en dehors de ses accès de fièvre passagers, bénéficiait jusque-là (depuis la naissance ? Voir 13,24) d’une grâce permanente bien qu’inappropriable (voir 15,16-18, quand Samson veut s’attribuer le mérite de la victoire) : si Yhwh s’est écarté, c’est qu’il était présent avant.

6) Enfin, les sept occurrences du mot « force » (kôah) dans le cycle de Samson se trouvent toutes en Jg 16 ; six d’entre elles sont construites avec un suffixe possessif qui renvoie toujours au héros danite : Samson lui-même : « ma force » (v. 17) ; Dalila : « ta force » (v. 6.15) ; les Philistins : « sa force » (v. 5) ; le narrateur : « sa force » (v. 9.19). Une seule fois, le mot est indéterminé quand Samson « s’arc-boute avec force » et que « le temple s’écroule » (v. 30).


© Didier Luciani, Cahier Évangile n° 168, Samson, récit et histoire. Lecture de Juges 13-16, p. 26 (encadré).