Matthieu achève le discours sur la Fin par la fresque du jugement par le Fils de l’homme...
La fresque du jugement par le Fils de l’homme achève le discours sur la Fin, mais aussi l’ensemble de la mission publique de Jésus, avant les événements imminents de la Passion. C’est aussi la conclusion des cinq grands discours, Matthieu ouvrant la section suivante par ces termes : “ quand Jésus eut achevé tous ces discours ” (26, 1). Telle était, en effet, la charpente de l’évangile : le Sermon sur la montagne (5, 1 – 7, 27), le discours de mission (ch. 10), le discours en paraboles (13, 1-52), l’Instruction sur l’Église (ch. 18) et le discours sur la Fin (24, 1 – 25, 46).
Les disciples avaient demandé “ quand ” se produirait la Fin (24, 3). À travers cinq paraboles, Jésus les avait réorientés vers un problème plus fondamental : “ comment ” se préparer au jugement inéluctable ? Le tableau conclusif comprend une introduction solennelle, puis deux dialogues symétriques et une allusion concise à l’exécution du verdict (v. 46).
En accord avec les traditions juives anciennes, l’introduction (v. 31-33) confère au Fils de l’homme céleste la fonction divine du jugement. Comme Dieu, il est accompagné par les anges (voir Za 14, 5). L’événement rassemble toutes les nations, symbolisées par les brebis et les boucs, et consiste avant tout en un tri qui, inspiré par la prophétie d’Ézéchiel (1e lecture de la solennité du Christ, Roi de l’Univers), donne au juge la fonction de berger. Le Fils de l’homme se trouve donc paré d’attributs proprement divins en sorte que, dans la suite du récit, c’est Dieu lui-même qui prend le parti des petits.
Appelé maintenant “ le Roi ”, le Fils de l’homme s’adresse à ceux que son Père a bénis. Ce premier dialogue (v. 34-40) se déroule en trois étapes. a) Le souverain énumère les œuvres de miséricorde pour lesquelles Dieu les bénit et leur donne son Royaume en héritage. b) Désignés à présent comme les justes, ces élus, étonnés, reprennent sous forme interrogative la liste des œuvres de justice. c) Enfin, le Roi révèle à ses interlocuteurs un mystère : chaque fois qu’ils ont secouru ces plus petits, qu’il appelle ses frères, c’est à lui-même qu’ils l’ont fait.
Le second dialogue (v. 41-45), parallèle au premier, caractérise immédiatement ceux de l’autre groupe comme maudits et voués au feu inextinguible destiné au diable et à ses agents. Eux aussi s’avouent bien surpris de n’avoir pas reconnu leur Roi. Le lecteur apprend en outre que venir en aide aux petits, c’était servir (v. 44) le souverain.
1. Le jugement mis ici en scène a, pour sûr, un cadre universel (“ toutes les nations ”) et l’on suppose que le Seigneur sauvera les êtres humains qui, même sans le connaître, auront cultivé la bonté. Cependant, le lecteur ne doit ni conjecturer les desseins de Dieu ni oublier que le texte concerne avant tout ceux qui prétendent connaître le Christ (voir Mt 7, 21-23).
2. Dans les actes énumérés comme pièces à conviction du jugement, nous savons enfin ce que le Sermon sur la montagne appelait “ vos belles œuvres ” (5, 16) et ce que signifiaient les talents à faire fructifier.
3. Le jugement ne porte pas la foi ou l’absence de foi en Jésus, mais sur l’amour. Plus exactement, selon la pensée judéo-chrétienne relayée par Matthieu (voir aussi Jc 2, 14-26), vide est la foi qui n’agit pas par l’amour.
4. Les légendes chrétiennes sont connues dans lesquelles un saint, secourant un mendiant, a vu ce dernier changer d’aspect et prendre les traits du Christ. Cette illustration édifiante du message ne doit pas ignorer qu’il s’agit avant tout d’une justice royale, au sens antique de l’expression selon laquelle le souverain prend fait et cause pour ses sujets défavorisés (voir Dt 15, 7-11). D’où cette sentence juive ancienne : “ Si vous avez nourri les pauvres, dit Dieu, je vous le compterai comme si vous me l’aviez fait à moi. ”
Dès lors, l’étonnement des justes comme des impies ne recouvre aucune culpabilité : il devait leur suffire d’appliquer le droit des pauvres exigé par la révélation biblique, et c’est au Fils de l’homme lui-même de leur révéler la mesure de sa solidarité avec les petits. Comme l’a vu saint Augustin (voir encadré), ce motif a sans doute pour proche parente la théologie paulinienne du corps du Christ.
5. Les actes répertoriés dans la fresque du jugement recouvrent en grande partie les œuvres juives de miséricorde qui, cependant, n’incluaient pas la visite des captifs. Ce motif, qui s’élargira ensuite, naquit lorsque, chez les premiers chrétiens, certains furent emprisonnés à cause de leur foi.
Au-delà des sources, ces actes de charité, tout simples, rejoignent les misères humaines profondes : la faim, l’isolement de l’étranger déraciné, la honte du mal vêtu, la réclusion forcée du malade et du prisonnier.
© Claude Tassin, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 129 (septembre 2004), « Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu », p. 74-75.