Luc propose ici quelques récits de miracles qui coïncident avec ses déplacements sur le lac...
À partir de la césure de Luc 8,22, marquée par la formule : « Or, un jour », Luc propose un groupe de récits qui coïncident avec des déplacements de Jésus sur le lac (vv. 22, 26,37 et 40).
Le premier donne lieu au miracle de la « tempête apaisée ». À la différence de Marc (4,35-41), Luc n’en fait pas un récit d’exorcisme, mais une révélation de l’identité divine de Jésus qui protège ses disciples par sa parole puissante et les délivre du péril qui les menace. Dans ce même récit, Jésus ne traite pas ses disciples d’« hommes de peu de foi », comme il le fait dans l’évangile de Matthieu (8,25), pas plus qu’il ne leur reproche leur incrédulité (cf. Mc 4,40), mais il leur demande « où est leur foi » (8,25), comme si, bien qu’ayant la foi, ils ne savaient pas encore l’exercer au milieu de l’épreuve. La réaction des disciples face au pouvoir de Jésus sur les vents et les flots n’en est que plus compréhensible, car ils savent que Dieu seul domine les forces de la nature (Ps 107[106],28-30). Dans les Actes des Apôtres (27,13-44), le récit de la tempête essuyée par Paul attestera également, malgré son apparente absence, de la protection du Ressuscité à l’égard de ses envoyés.
Le récit suivant conduit le lecteur en territoire païen où Jésus fait une brève et unique incursion, puisque Luc ne rapporte pas son voyage dans les territoires de Tyr et de Sidon (Mc 7,34-41). Ici, Jésus ne se contente pas de guérir un possédé, mais il détruit le nombre impressionnant des démons qu’il vient d’expulser: une légion (5 500 fantassins et120 cavaliers) ! On est loin des sept démons qui, dans le monde juif, représentent les possessions les plus sévères (cf. 8,2 ; 11,26). Ainsi se révèle une fois encore la puissance salvatrice du « Fils du Dieu Très Haut » (8,29), qui provoque la chute des puissances du mal (cf.4,34). En voyant le possédé guéri et « sauvé » (v. 36), « assis aux pieds de Jésus » (v. 35) dans la position du disciple, la population de la région est saisie de crainte. Elle demande donc à Jésus de s’éloigner, ce qu’il s’empresse manifestement de faire, d’autant plus que sa mission n’est pas de prêcher aux non-Juifs ; ce sera celle des apôtres. Auparavant, comme il l’avait déjà fait (5,24), Jésus renvoie celui qu’il vient de sauver « dans sa maison », en lui demandant de « raconter tout ce que Dieu a fait pour lui ». Mais lui s’en va, proclamant tout ce que Jésus a fait pour lui (vv. 38-39) !
Après que Jésus ait retrouvé la foule (cf. 8,4), Luc rapporte l’intervention d’un chef de synagogue en faveur de sa fille unique, âgée de douze ans, en train de mourir (8,41-42),et la guérison d’une femme qui, souffrant de pertes de sang, avait connu douze ans de soins médicaux inefficaces (8,43). À cette occasion, Jésus pose deux gestes qui vont à l’encontre des pratiques liées à la loi de Moïse : courant le risque de devenir lui-même impur (cf. Lv 15,25-27), il accepte d’abord d’être touché par une femme impure dont il reconnaît la foi, et qu’il invite à une rencontre franche et sereine pour qu’elle ne soit pas seulement guérie mais sauvée (vv. 47-48) ; avant de la« réveiller » (vv. 54-55 ; cf. 1 R 17,21-22), il touche ensuite une jeune fille qui vient de mourir, contrevenant à nouveau à la Loi qui interdit de toucher un mort (Nb 19,11-16).
Dans cet épisode où tous se moquent de lui (vv. 52-53 ; cf. Ac 17,32), Jésus manifeste une fois encore la venue du règne de Dieu (cf. 7,22) mais, pour la première fois dans cet évangile, il ordonne de ne parler à personne de ce qu’il a fait (v. 56).
© Pierre Debergé, Cahier Évangile n° 173, Pour lire l’Évangile selon saint Luc, p. 26-28.