Tobit marie son fils Tobias...
La demande en mariage (Tobit 7)
Dans Ecbatane, Tobias et Raphaël sont accueillis chez Ragouël et Edna (Tb 7,1-8). Cette première scène n’est pas sans rappeler les grandes scènes d’hospitalité du livre de la Genèse qui préludent à des promesses divines : ainsi, l’hospitalité d’Abraham en faveur des trois visiteurs aux chênes de Mamré (Gn 18) ou encore celle de Laban en faveur du serviteur d’Abraham venu chercher une épouse pour Isaac (Gn 24) ; dans ce dernier cas, les motifs de l’accueil et du repas servent de cadre à la demande en mariage.
La demande (v. 9-12).
Tobias en a l’initiative et recourt à l’entremise de Raphaël (v. 9). Mais ce dernier n’aura pas besoin de s’exécuter car Ragouël, qui a l’ouïe fine, prend les devants en insistant sur la joie : « Mange, bois et réjouis-toi cette nuit… » (v. 10a) et « …maintenant, mon enfant, mange et bois, et le Seigneur agira en notre faveur » (v. 11b). Mais l’invitation à se réjouir « maintenant » ne présage rien de bon sur la réussite future des relations entre les deux fiancés. Ragouël ne cache rien à Tobias. Il lui transmet les deux données que ce dernier connaît par ailleurs :
Un fait positif (v. 10a) : la légalité des épousailles : « Je n’ai pas le droit de la donner à quelqu’un d’autre. » Cela est conforme à ce que Raphaël avait dit à Tobias (Tb 6,13 ; peut-être s’agit-il d’un renvoi à la prohibition des mariages mixtes, cf. Dt 7,3-4).
Un fait négatif (v. 10b-11) : la mort de tous les prétendants de Sara, élément que connu de Tobias (Tb 6,14-16).
Tobias prend alors son futur beau-père à ses propres mots : comment profiter du repas tant que la question matrimoniale n’est pas résolue ? Jouir des bienfaits de la vie suppose que Ragouël se décide clairement au sujet de sa fille (v. 12a). Ce dernier le fait en deux temps : d’abord en tête-à-tête avec Tobias pour exposer son accord (v. 12b), ensuite en présence de Sara en vue de rédiger l’acte de mariage (v. 13). Ainsi Sara lui sera donnée pour « sœur ».
Le mariage (v. 12-16).
La célébration du mariage se déroule en deux temps :
– la remise de l’épouse à son conjoint (v. 12) : le père prend la main de sa fille et la donne au fiancé ; c’est l’acte légal. L’autorité sur la femme passe du père au mari avec tous les interdits sexuels qui en découlent (cf. Lv 18).
– la rédaction d’un contrat (v. 13) : Ragouël consigne le mariage dans un document formel (voir encadré). La Loi mosaïque ne requiert pas la rédaction d’un tel acte écrit ; elle évoque plutôt le versement d’une somme d’argent, le mohar qui, ici, est passé sous silence.
Après la célébration, tous se restaurent ; le repas fait office de premier banquet de noces (un autre durera quatorze jours, voir 8,19-21). Les femmes, elles, sont invitées à se retirer. Sara, qui n’a rien dit jusque-là, est conduite par sa mère dans la chambre nuptiale. Ainsi se prépare la nuit nuptiale qui viendra sceller le mariage. En raison des circonstances, cela donne lieu à beaucoup d’émotion. Les pleurs d’Edna sont l’expression non pas de sentiments affectueux mais d’une angoisse liée à l’épreuve fatale qui attend normalement le nouveau conjoint. C’est pourquoi les larmes s’accompagnent d’une invocation au Seigneur.
Les noces (Tobit 8)
La tension dramatique monte d’un cran lorsque Tobias, à l’issue du repas, rejoint son épouse dans la chambre nuptiale. Mettra-t-il en œuvre les recommandations de Raphaël pour éviter le sort des précédents mariés ?
La nuit des époux (v. 1-9).
La tension est de courte durée car Tobias, se souvenant des conseils donnés par Raphaël (Tb 6,17-18), les suit à la lettre.
– Le rite d’exorcisme (v. 2-3) est raconté avec sobriété pour mettre en évidence son efficacité. Non seulement le démon s’enfuit comme prévu, mais en outre Raphaël intervient pour aller le lier « dans les contrées d’Égypte », sans doute le désert, lieu de séjour des puissances démoniaques (cf. Is 34,10-14).
– La prière au Seigneur (v. 4-8), recommandée par Raphaël (Tb 6,18), est acquittée par les nouveaux époux. Elle commence par une mise en condition : seuls dans la chambre, debout, en attitude de supplication (v. 4).
Puis, après une invocation en forme de bénédiction, la prière fait mémoire des bienfaits du Dieu créateur en faveur du premier couple, Adam et Ève (v. 5-6). Le mariage s’appuie clairement sur la relation de l’homme et de la femme selon Gn 2,18 ; ce qui les unit n’est pas d’abord la recherche de la fécondité mais la reconnaissance mutuelle.
Vient alors la supplication (v. 7) en deux moments, l’un négatif, l’autre positif. Les époux demandent d’abord au Seigneur d’accueillir leurs motivations sincères : non pas la satisfaction de désirs charnels mais une relation vraie. Ceci posé, ils demandent ensuite miséricorde et longue vie. Que le mariage soit heureux et dure le plus longtemps possible est, dans la tradition sapientielle, la caractéristique d’une vie droite, menée avec sagesse et justice (voir Ps 127 et 128). La demande sera exaucée puisque Tobias « vécut honoré jusqu’à l’âge de cent dix-sept ans » (Tb 14,14).
Après la prière, « ils se couchèrent pour la nuit » (v. 8). Le devoir envers le Seigneur ayant été honoré, les nouveaux époux sont en mesure d’accomplir en paix leur devoir conjugal.
La nuit des beaux-parents (v. 10-18).
Tandis que les uns s’endorment, les autres veillent. La quiétude des nouveaux époux laisse place à l’angoisse des beaux-parents.
– Le creusement de la tombe, fébrile, contraste avec la sérénité du sommeil des jeunes époux (v. 10-11). Seule la bonne nouvelle rapportée par une servante calme les esprits et laisse place à une prière (v. 12-14).
– La prière des beaux-parents fait écho à celle des époux ; la bonne nouvelle ne peut venir que de Dieu. La prière est rythmée par une triple bénédiction. Ragouël et Edna bénissent Dieu pour lui-même (v. 15), puis pour son action au-delà de ce qu’ils imaginaient (v. 16), enfin pour sa miséricorde envers les jeunes mariés (v. 17 ; la demande finale d’une longue vie rejoint celle des époux).
Après la prière, la fosse est comblée (v. 18) Ce qui aurait dû servir d’ultime demeure pour les époux n’a plus lieu d’être. Le lieu de deuil laisse place, au matin, à la table des réjouissances.
Le festin de noces (v. 19-21).
Il rappelle les repas d’hospitalité de la Genèse : celui d’Abraham envers les trois visiteurs lui annonçant que Sara sera enceinte (Gn 18,7-8), celui des mariages d’Isaac et de Rébecca (Gn 24,54-67), de Jacob, Léa et Rachel (Gn 29,22-28).
Comment interpréter l’indication des quatorze jours de festivité ? En effet, elle est double par rapport à la durée habituelle des mariages dans la Bible (sept jours, cf. Gn 29,27-28 ; Jg 14,17). Est-ce pour Ragouël l’occasion de donner un relief particulier à ce mariage inespéré ou bien une manière de retarder le départ de sa fille unique ? Rien ne permet de trancher. Pour l’heure, Tobias fait partie intégrante de sa belle-famille : « Aie confiance, mon garçon ! Je suis ton père, et Edna est ta mère » (v. 21). Ces termes, avec ceux de « frère » et de « sœur », confirment l’implication des sentiments affectueux au sein des relations de parenté.
Contrairement aux mariages habituels, Tobias n’a pas à fournir de mohar (en cadeaux, cf. pour Rébecca en Gn 24,53 ou en force de travail, cf. pour Rachel, Gn 29,15-30). En revanche, il reçoit la moitié des biens de Ragouël pour retourner vers son père, l’autre moitié lui étant réservée jusqu’au jour du décès de ses beaux-parents.
© Bertrand Pinçon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 158 (décembre 2011), "Le couple dans l'Ancien Testament", p. 37-40).