Cette constitution est l’un des documents majeurs de Vatican II...

Le 18 novembre 1965, dans la quatrième session du concile Vatican II, était votée solennellement la constitution dogmatique Dei Verbum : 2 344 voix pour et 6 voix contre.

Contrairement à ce que beaucoup croient, cette constitution est l’un des documents majeurs de Vatican II et elle a profondément marqué les débats. Elle fut discutée dans chacune des quatre sessions du Concile. Un très bref passage en revue de celles-ci peut permettre de percevoir les progrès de la discussion.

Écritures, Tradition, Église

Lors de la première session du Concile, le texte était intitulé : « Les sources de la Révélation ». Écriture et Tradition étaient considérées comme des réalités séparées. On voit le chemin parcouru pour rapprocher les points de vue et parvenir aux perspectives du chapitre II.

L’une des grandes nouveautés de Dei Verbum est aussi la rédaction du chapitre VI : « La Bible dans la vie de l’Église ». Ce chapitre invite à vénérer les Saintes Écritures comme cela est fait pour le Corps du Seigneur. Cette vénération doit aller jusqu’à faire de l’Écriture « la force de la foi, la nourriture de l’âme, la source pure et permanente de la vie spirituelle » (n° 21). Dei Verbum se termine par un vœu solennel :

« Que le trésor de la Révélation confié à l’Église comble de plus en plus le cœur des hommes […]. Qu’un renouveau de vie spirituelle jaillisse d’une vénération croissante pour la Parole de Dieu qui demeure à jamais. » (n° 26)

Le pape Benoît XVI a souhaité que le synode des Évêques revienne sur « la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église ». Ce synode, auquel il m’a été donné de participer, fut un grand moment d’échanges, de prière et d’approfondissement. Tenu en 2008, il fut suivi, en 2010, de l’exhortation Verbum Domini qui reprend bien les thèmes abordés et leur donne une ampleur renouvelée. Verbum Domini est beaucoup plus développé que Dei Verbum (26 paragraphes d’un côté, 124 de l’autre !). À le lire, on constate que les débats, parfois passionnés, du Concile, sont largement dépassés et que d’autres perspectives s’ouvrent.

● Les unes sont plus théologiques. Que signifie, par exemple, l’expression « sacramentalité de la Parole » (n° 56) ? Benoît XVI établit une analogie avec la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie : « La proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration implique la reconnaissance que le Christ lui-même est présent et s’adresse à nous pour être écouté. »

● Les autres sont plus pastorales. C’est d’ailleurs l’objet essentiel de notre colloque. Il faudrait citer la table des matières des deuxième et troisième parties de Verbum Domini : « La Parole dans l’Église » et « La Parole pour le monde ». On y relève de longs développements sur la liturgie, lieu privilégié de la Parole de Dieu (nos 52-71) et sur la Parole de Dieu dans la vie ecclésiale (nos 72-89). Dans la troisième partie, il faut noter les remarques portant sur la mission de l’Église qui consiste à annoncer la Parole, sur l’engagement dans le monde, la culture et le dialogue interreligieux.

Écritures et Parole

Mais il faut rejoindre les préoccupations et les responsabilités des animateurs bibliques. Les interventions des évêques pendant le synode sur la Parole de Dieu peuvent être brièvement résumées en quatre grands domaines.

● Il faut tout d’abord que la Parole de Dieu puisse rejoindre chacun dans sa langue ; c’est la question de la traduction des Saintes Écritures. Elle n’est pas encore achevée pour toutes les langues de la terre. De plus,le travail de traduction est toujours à reprendre car les langues évoluent.

● Il faut ensuite que la Parole soit bien comprise ! La question de l’interprétation des textes est essentielle. La Parole de Dieu est à la fois œuvre des hommes et œuvre de Dieu. Elle doit être comprise, non pas comme un texte du passé, mais comme une parole vivante. Elle doit aussi être lue dans l’esprit dans lequel elle a été écrite, en laissant toute sa place à l’action de Dieu. En un mot, foi et raison doivent tenir harmonieusement leur place (n° 36). Toute lecture fondamentaliste est à rejeter, mais aussi une lecture purement moralisatrice. Il faudra donc passer de la lettre à l’esprit pour avoir une lecture qui mette en lumière l’unité intrinsèque de la Bible.

● La Parole de Dieu est un appui essentiel pour la vie chrétienne. Beaucoup d’évêques ont souligné l’importance de la lectio divina comme manière de découvrir et de savourer la Parole, en y rencontrant personnellement le Christ. D’autres ont cité des expériences vécues dans un contexte de persécution où garder le texte de la Bible était dangereux et où certains connaissaient alors par cœur un certain nombre de textes ou de chapitres pour les transmettre.

● Enfin, les lecteurs potentiels de la Parole de Dieu doivent avoir faim de celle-ci. La Bible peut être traduite, présentée avec des interprétations de bon aloi, accessible sans danger, mais s’il n’y a pas le désir de la lire, rien ne se produira. C’est la grande question à laquelle nous sommes confrontés : comment donner faim de la Parole de Dieu ? Comment faire découvrir que la Bible n’est pas un vieux livre poussiéreux, mais la Parole du Dieu vivant ?

Lire les Écritures

Les animateurs bibliques sont en première ligne sur toutes ces questions. Sans cesse, ils doivent aider à dépasser les réflexes spontanés qui surgissent devant une page de l’Écriture :

– parfois une sacralisation excessive, surtout en ce qui concerne les évangiles devant lesquels une interprétation de type historico-critique paraît être scandaleuse ;

– parfois une lecture purement historique, au point qu’il devient impossible de percevoir comment Dieu peut nous rejoindre là où nous sommes alors que la parole qui nous est adressée est bien vivante et incarnée ;

– ou encore une lecture moralisatrice : dans ce cas, c’est le mystère du salut qui est perdu de vue et la priorité est laissée à l’action humaine ;

– il faut encore ajouter tous les défis qui tiennent à une méconnaissance de l’Écriture dans son ensemble, si bien que l’on est parfois tenté de majorer l’interprétation d’un seul passage au détriment de la lecture globale et unifiéede l’Écriture.

On pourrait ajouter beaucoup de choses qui rejoignent lequotidien.

Le colloque qui s’est tenu le 9 et 10 octobre 2015 à Paris a voulu mettre en valeur deux dimensions :

● D’une part, une connaissance plus approfondie de Dei Verbum : ses grandes articulations, son histoire, ses nœuds. Les interventions en présentent l’essentiel et précisent ce que croit l’Église à propos de la Révélation et des Saintes Écritures.

● D’autre part, une approche plus expérimentale : la pluralité des lectures de la Bible, des expériences de lecture, une lectio divina, la visite de l’exposition « La Bible, patrimoine de l’humanité ».

Enfin, comment ne pas souligner que la lecture de l’Écriture a une dimension œcuménique forte ? Déjà, Dei Verbum n° 22 en parle, même si c’est en évoquant des traductions « en collaboration avec des frères séparés ». Mais Verbum Domini va plus loin. Je cite : « Écouter et méditer ensemble les Écritures nous fait vivre une communion réelle, même si elle n’est pas encore pleine. »

Avec insistance, le chapitre VI de Dei Verbum invite les lecteurs des Écritures à découvrir qu’elles sont vivantes. Comment une parole venue du passé peut-elle être vivante et toucher les croyants d’aujourd’hui ? Tel est le défi rencontré.

Pour beaucoup de croyants, en effet, la Bible est trop loin de leur vie, soit parce qu’ils ne la connaissent pas bien ou qu’ils ne savent pas ce qu’ils peuvent en attendre, soit parce qu’il n’y a pas beaucoup de moyens pour lire ensemble l’Écriture et la percevoir comme une « bonne nouvelle » pour chacun. C’est là que l’action des animateurs bibliques est fondamentale ! Leur expérience et leur pratique sont d’une grande importance et ce colloque permettra, j’en suis certain, de nombreux échanges et partages d’expériences. Beaucoup de domaines sont concernés. Voici deux d’entre eux :

• Les animateurs pratiquent plusieurs méthodes de lecture. Elles ont toutes leur valeur, même si aucune ne peut à elle seule exprimer la richesse extraordinaire du texte inspiré. Pendant le Synode des évêques, il a souvent été question de la méthode historico-critique, parfois même pour l’attaquer ! Mais j’ai entendu aussi un Sud-Africain présenter une méthode permettant à des gens qui ne savaient pas lire de découvrir la Parole et de se sentir concernés (seven steps) : c’est la force de l’oral !Quelle que soit la manière de faire, une méthode sérieuse de lecture est indispensable. Sinon,la porte est ouverte à toute fantaisie. Mais la méthode ne suffit pas : elle doit permettre au lecteur de découvrir que Dieu lui parle.

• Plus profondément encore, il en va de la perception de ce qu’est l’Écriture et de sa place dans la vie de l’Église. Qu’on le veuille ou non, la théologie nous rattrape ! Un regard précis sur Dei Verbum aide à percevoir tout ce qu’implique l’animation biblique pour que la Bible soit abordée avec fruits. « Que les Saintes Écritures soient lues dans l’Esprit dans lequel elles ont été écrites », souhaitait le Concile. Ce colloque a voulu répondre à cette demande.


©  Mgr Pierre-Marie Carré, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 175 (Mars 2016), « Interpréter les Écritures. Actes du colloque pastoral Dei Verbum. Collège des Bernardins (Paris), 9-10 octobre 2015 », p. 5-8.