La transmission et la conservation des écrits apocryphes est fort variée et parfois très aléatoire...
Quelques apocryphes, connus seulement par leur titre ou par un extrait non identifié, ont été découverts récemment. Prenons trois exemples.
Évangile selon Thomas
Il ne fut longtemps connu que par les mentions qu’en faisaient plusieurs auteurs chrétiens anciens, parmi lesquels Origène, jusqu’à la découverte de la Bibliothèque copte de Nag Hammadi, en Égypte, en 1945. Celle-ci contient, au codex n° II, un texte copte intitulé l’Évangile selon Thomas qui est un recueil de paroles de Jésus. Or, on connaissait déjà trois papyrus grecs parmi ceux trouvés à Oxyrhynque en Égypte (n° 1 ; n° 654 ; n° 655) qui contenaient des paroles de Jésus, sans que l’on sache à quel écrit les rattacher. Ces paroles sont repérables dans le texte copte découvert à Nag Hammadi, ce qui a permis de les identifier et de se rendre compte que l’on possédait des extraits de cet évangile sans le savoir. Toutefois les fragments d’Oxyrhynque présentent des différences avec les paroles correspondantes de l’Évangile copte : certains sont plus longs, d’autres plus courts, d’autres comportent des variantes. Tout cela montre, d’une part que l’ »Évangile selon Thomas » a existé en grec et a été traduit en copte, d’autre part que les formes grecque et copte n’étaient pas identiques.
Évangile du Sauveur
Plus récemment (1999), des chercheurs ont édité ce texte copte conservé dans un papyrus de Berlin (22220). Ils lui ont conféré ce titre, non qu’il figurât en tant que tel dans le manuscrit, mais parce que le texte se présentait comme un enseignement du Sauveur. Mais ce n’est que quelques années plus tard, en 2003, qu’un autre spécialiste s’est avisé que le papyrus copte de Strasbourg (5-6), qui était édité depuis 1900, et que l’on rattachait à un évangile inconnu, correspondait à une partie de cet Évangile.
Évangile de Judas
En 2006 a été rendue publique la découverte d’un nouvel évangile gnostique conservé en copte, l’ « Évangile de Judas ». Il se trouve dans le codex Tchacos, du nom de l’antiquaire zurichoise qui en a fait l’acquisition et permis la restauration et le déchiffrement. En réalité, ce codex a été découvert dans les années 1970 en Moyenne Égypte, mais il a alors connu un parcours complexe et été très endommagé, plus qu’entre l’époque de sa rédaction et la fin du XXe s., quand il aboutit entre les mains de spécialistes en 2000. Il se trouve que, dans son Contre les Hérésies (AH I, 31,1), rédigé dans les années 180, Irénée de Lyon signale un Évangile de Judas fabriqué par certains gnostiques. Il s’agit d’un texte grec, sur lequel il donne peu d’informations, mais ce qu’il dit de Judas, qui « a été le seul d’entre les disciples à posséder la connaissance de la vérité » et « a accompli le mystère de la trahison », correspond au contenu du texte copte. Encore un cas, par conséquent, de texte connu par une seule mention patristique et dont le texte finit par être découvert. Mais on peut se demander si le texte dont parle Irénée, qu’il a pu avoir entre les mains ou dont il a peut-être simplement entendu parler, était le même que celui qui est conservé en copte, ou si, comme l’Évangile selon Thomas, il a subi des modifications.
Quelques recueils
Si nous avons montré que les écrits apocryphes n’ont pas été conservés dans des recueils spéciaux, il faut pourtant signaler plusieurs cas particuliers.
La bibliothèque copte de Nag Hammadi
Elle n’est certes pas un recueil d’écrits apocryphes. Toutefois les treize codex qui la composent contiennent, à côté d’autres écrits, nombre de textes qui relèvent de ce que l’on peut qualifier d’apocryphes. Certains étaient déjà connus, comme l’ « Apocryphon de Jean » (attesté dans trois codex du Papyrus de Berlin 8502 : II, 1 ; III, 1 ; IV, 1). D’autres n’étaient connus que par leur titre comme l’ « Évangile selon Thomas » (NH II, 2). D’autres étaient connus sous un même titre mais se sont révélés être des textes différents, telle l’ « Apocalypse de Paul » (NH V, 2). D’autres étaient entièrement inconnus jusqu’alors, tels l’ « Épître apocryphe de Jacques » (NH I, 2), qui relève du genre du dialogue entre Jésus et ses disciples, ou les « Actes de Pierre et des douze apôtres » (NH VI, 1). Certains textes portent un titre qui les assimile à un évangile, sans que leur contenu ne concerne Jésus, ses paroles et ses actes, tel l’ « Évangile des Égyptiens » (NH III, 2 et IV, 2), qui n’a rien à voir avec un autre écrit connu sous le même titre. On peut noter que les codex III, IV et V ne contiennent que des textes que l’on peut rattacher au genre apocryphe.
Collection des Actes d’Apôtres
Une réelle collection de textes apocryphes est celle qui réunit des Actes d’apôtres et qui a été constituée en copte pour être traduite, avec des amplifications, en arabe puis en éthiopien. Les textes coptes sont eux-mêmes des traductions du grec, quand ils n’ont pas été rédigés directement dans cette langue, en imitation des textes grecs ou de manière plus originale. La version arabe fut réalisée au XIIIe s. La recension éthiopienne se nomme « Combats des apôtres », sa forme la plus étendue datant du XVIIe s. La première traduction de l’arabe en éthiopien remonte vraisemblablement à la fin du XIIIe s., peu de temps après la constitution du recueil arabe. Ce corpus est une précieuse source de connaissance des Actes apocryphes et de leurs évolutions.
Actes latins des apôtres
Le dernier recueil que nous voulons signaler est celui des Actes latins des apôtres, attribuée depuis le XVIe s. à Abdias, évêque de Babylone, et connu, de ce fait, sous le titre de Pseudo-Abdias. Constituée en Gaule au VIe s., cette compilation rassemble des Passions et des Actes des onze apôtres et elle est un bon témoin de l’histoire de la réception des Actes apocryphes en Occident. Elle a été utilisée par Jacques de Voragine pour la confection de sa Légende dorée, dans la seconde moitié du XIIIe s.
Évaluation
Deux faits importants ont été mis en évidence dans ce chapitre. Tout d’abord celui que les écrits apocryphes sont très largement une littérature en évolution. Les textes sont abrégés ou amplifiés, réécrits ou résumés, au gré des besoins et des convictions théologiques des groupes dans lesquels ils sont utilisés. Dans ce processus, l’usage liturgique a joué un rôle important.
Ensuite, le phénomène de la traduction, qui n’est pas sans lien avec le premier. Souvent ces textes ont été rédigés en grec, mais ils ont été traduits, en latin, mais aussi dans de nombreuses langues orientales : syriaque, arménien, slave, copte, arabe, éthiopien ; puis, du latin, en vieil anglais ou en vieil irlandais. On a vu qu’un texte pouvait être perdu ou mal transmis dans sa langue d’origine, mais conservé au contraire dans une ou plusieurs traductions. De sorte que la recherche sur les apocryphes implique souvent l’usage d’une ou plusieurs de ces langues, ce qui explique qu’elle est souvent un travail d’équipe, qui réunit des compétences variées.
© Jean-Marc Prieur, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 148 (juin 2009), "Les écrits apocryphes chrétiens", pages 8-10.