Le blocus décisif de Jérusalem commença peu avant la Pâque de l’an 70, depuis le mont Scopus. Titus disposait alors de quatre légions, environ quatre-vingt mille hommes, dont la 12e, laquelle, ayant subi la défaite que l’on sait sous le commandement de Gallus, légat de Syrie, avait une revanche à prendre.
La ruine de la Ville Au sein de la cité sainte qui disposaient de quelque vingt-cinq mille combattants, les dissensions empiraient, Jean de Giscala ayant fait assassiner Éléazar, fils de Simon bar Gioras. Cependant, les deux chefs finirent par s’allier, donnant tardivement raison à la note laconique de Tacite : « À l’approche des Romains, la guerre venant de l’extérieur fit naître la concorde » (Hist. V, 12).
Auparavant, Josèphe, en relative liberté dans le camp des Romains, prononce sous les remparts un long discours (Gu V), invitant les assiégés à se rendre. Cette pièce oratoire de qualité semble plutôt une fiction, composée « a posteriori » pour célébrer l’invincibilité des Romains. L’historien juif accompagnera à Rome les vainqueurs. Là, il sera affranchi et rédigera dans le calme son œuvre inappréciable quant à la connaissance de ces événements.
La stratégie de Titus Les assiégeants attaquèrent le point faible des défenses, savoir, à l’ouest, « la troisième muraille » bâtie récemment sous Agrippa Ier, mais qui reste en partie une énigme pour l’archéologie. Dès la fin du mois de mai, les assaillants, ayant aussi atteint la « deuxième muraille » se trouvaient en mesure de conquérir le Temple. Titus, cependant, temporisa, jouant à juste titre sur l’épuisement d’une ville en proie à la famine. Fin juillet, la forteresse Antonia, défendue par Jean de Giscala, tomba aux mains des Romains et fut rasée. Crédible sur ce point comme sur d’autres, Josèphe souligne combien les résistants de la Cité avaient, par des minages et autres artifices, héroïquement tenu tête aux techniques éprouvées de l’armée impériale.
La destruction du Temple Au début du mois suivant, le 6 août, semble-t-il – malheur sans pareil – les sacrifices s’interrompirent et le Sanctuaire fut incendié à la fin du même mois. Le Talmud livrera la réflexion suivante : « C’est un neuvième jour d’Ab [30 août ?], dit-on, que le Temple fut détruit la première et la seconde fois, que Béthar fut conquise et que Jérusalem fut anéantie [sous Hadrien] » (Rosh ha-Shanah 18b).
Josèphe (Gu VI, 259) souligne la sauvagerie de l’assaut : « Une foule de cadavres s’amoncelait près de l’autel ; le long des marches du sanctuaire ruisselait le sang et roulaient les corps des victimes. ». Il prétend que Titus, débordé par ses troupes, n’avait pas voulu ce carnage (Gu VI, 241). Mais, protégé par la famille impériale au moment où il rédige sa « Guerre », l’auteur semble plutôt partial. Il évoque aussi l’incendie et le pillage du trésor du Temple, c’est-à-dire, avec la disparition de cette banque nationale, une ruine totale et définitive de l’économie juive (Gu VI, 282).
Outre cet aspect, la destruction signifiait la rupture complète entre Rome et la Terre juive, puisque le Temple symbolisait l’équilibre minutieusement entretenu entre l’aristocratie locale et le pouvoir impérial, équilibre pulvérisé au jour où les jeunes partisans d’Éléazar avaient mis fin aux sacrifices offerts par l’Empereur. Pour dramatiser l’incendie du Temple, Josèphe énumère en conclusion (Gu VI, 288-311) des phénomènes prophétiques et miraculeux, bien antérieurs, qui auraient dû dissuader les Juifs de se lancer dans la lutte. Ainsi, lors de la dernière Pentecôte avant la guerre, les prêtres gardant de nuit le Sanctuaire auraient entendu une voix divine répétant : « Sortons d’ici. » Ces légendes, forgées pour la plupart après la ruine, expliquent le ton tragique entourant l’annonce de la ruine du Temple, durant les années 80, dans les évangiles et dans le drame d’Étienne (Ac 6–7).
Les dernières poches de résistance, dans la ville haute, furent vidées au mois de septembre. Trois tours du palais hérodien restaient debout, tant pour montrer quelle force Titus avait dû vaincre que pour assurer une base défensive à la garnison romaine, la 10e légion (Fretensis).
“Judaea capta”, la Judée prisonnière Une fois Jérusalem rasée, ses habitants trucidés massivement ou déportés, Rome estime la guerre terminée. L’année suivante, en 71, la cérémonie du Triomphe honore à Rome Vespasien et ses deux fils, Titus et Domitien. Ce dernier deviendra empereur une dizaine d’années plus tard (81-96). Lors de cette célébration, on exhiba Simon bar Gioras, promptement exécuté en public au Capitole, et Jean de Giscala qui finira ses jours en prison. En haut du Forum romain, face au Colisée, l’arc de Titus conserve la mémoire de l’événement. On y voit, parmi les trophées, les symboles du Temple : le chandelier à sept branches et la table des pains de proposition. Sur ses monnaies, Vespasien célèbre encore sa victoire par l’inscription de cette année-là : “Judaea capta” (voir Suppl. au C.E. 36, p. 92).
La dernière forteresse Mais trois forteresses juives tenaient encore contre Rome : l’Hérodion, Machéronte et Masada. Titus confia à Lucius Bassus la reconquête de ces lieux. Ce nouveau gouverneur de Judée obtint vite la réddition des deux premiers sites.
La chute de Masada Après sa mort, son successeur, Flavius Silva, eut à s’emparer de Masada où commandait Éléazar ben Yaïr, petit-fils de Judas le Galiléen. Flavius Josèphe (Gu VII) s’étend sur la fin tragique de cette citadelle, à savoir un suicide collectif. Les fouilles archéologiques de l’endroit, au XXe s., non exemptes d’idéologies politiques, ont trop cherché à faire concorder les indices archéologiques avec le récit de Josèphe. Or ce dernier, à travers son lyrisme dramatique sur la fin de Masada, cherche surtout à s’excuser de ne s’être point suicidé lors de sa reddition à Iotapata. Ce qui pose question quant à l’historicité de ses propos sur Masada.
Le “fiscus judaicus”, l’impôt juif Appelées désormais “Judaea”, les terres juives tombaient sous la coupe de procurateurs de la classe prétorienne qui ont laissé peu de traces dans l’histoire. Et le pays, exsangue, dut endurer la main mise de Vespasien sur les domaines fonciers. Même Josèphe, malgré d’ultérieures compensations, se trouva dépossédé de ses terres des environs de Jérusalem. Selon les chiffres concordants de Josèphe et de Tacite, cette guerre aurait coûté la vie de six cent mille Juifs, soit, pense-t-on, quelque 25 % de la population.
L’impôt du Temple, le didrachme, toujours perçu, comme “fiscus judaicus”, jusque dans la diaspora, partait désormais à Rome enrichir le temple de Jupiter capitolin que Vespasien voulait restaurer et embellir. Affront insupportable pour les Juifs, cette mesure avait cependant ses parallèles en d’autres provinces d’un Empire toujours en quête de revenus pour financer sa politique coloniale et son goût du prestige (voir Appien d’Alexandrie, « Livre syrien » 50,253).
© Claude Tassin, SBEV / Éd. du Cerf,
Cahier Évangile n° 144 (juin 2008), "Des fils d'Hérode à la 2e Guerre juive", p. 34-36.