Quels sont la fonction et le « statut » des collections législatives du Pentateuque ?
Fonction des textes législatifs
Quels sont la fonction et le « statut » des collections législatives du Pentateuque ? Sont-ils comparables à ceux des « codes » du Proche Orient ancien, où la publication de collections juridiques placées sous l’autorité d’un souverain peut parfois être interprétée comme un acte de propagande royale (ainsi le célèbre Code de Hammourabi, du xviiie siècle avant notre ère, qui servit longtemps de modèle pénal) ?
Premier constat, l’absence quasi totale, dans les récits bibliques, de références explicites aux dispositions pénales envisagées par les lois invite à ne pas considérer trop facilement ces dernières comme les sources concrètes du droit à l’époque où elles ont été composées. Il convient d’ailleurs de bien distinguer l’histoire de la composition des textes, et la question du statut d’autorité (théologique, juridique) qu’ils acquièrent dans une société donnée. En l’absence de fonction juridique des lois du Pentateuque, une hypothèse « classique » consiste à les considérer comme des écrits destinés à l’apprentissage des scribes, ou encore comme des « cas d’école ». Les codes de la Torah pourraient ainsi représenter, aux différentes époques où ils ont été composés, non pas la source principale des décisions juridiques, mais des manifestes exprimant un droit souhaité.
Ces hypothèses ne doivent pas conduire à perdre de vue la première « fonction » des collections législatives du Pentateuque : il s’agit de textes avant tout théologiques. Ces lois énoncent différentes compréhensions de l’identité d’Israël, qui sont reflétées non seulement par le contenu objectif des différentes prescriptions, mais aussi par la structure de chaque collection et enfin par les liens qu’ils entretiennent avec les sections narratives du texte.
L’insertion du Code de l’Alliance (Ex 20,22 – 23,19) dans le livre de l’Exode est tardive (époque perse). L’édition du texte est donc beaucoup plus récente que le matériel littéraire qu’il rassemble. La structure du code met en relation des lois casuistiques (mishpatîm) et des lois apodictiques.
Les premières sont l’expression d’un droit local coutumier, et n’ont pas de fondement théologique. Ces normes touchent différents domaines de la vie sociale, régulent les relations de voisinage et ne constituent pas l’expression d’une réflexion spécifiquement religieuse. Leur proximité avec la formulation des collections de lois du Proche Orient ancien est remarquable.
Les lois apodictiques représentent des principes, théologiquement fondés (des métanormes selon l’expression de F. Crüsemann) qui viennent critiquer l’insuffisance des normes. Elles ont pour objet premier la protection des plus pauvres et la prévention de l’esclavage pour dettes.
Une composition d’époque royale.
L’étude du vocabulaire, du contexte socio-historique, des motifs théologiques permet d’envisager une influence prophétique sur la formulation des lois apodictiques et de situer la date probable de leur composition au début du viie siècle avant notre ère.
Les lois cultuelles d’Ex 20,24 s., comme le calendrier d’Ex 23,14 s., fournissent des arguments en faveur de l’antiquité des dispositions rassemblées dans le Code de l’Alliance (même si le texte est d’édition tardive – cf. Ex 20,22-23 ; 21,1 ; 23,13 – et comporte des compléments – Ex 22,20b.24a ; 23,13), puisque ces textes n’envisagent pas de centralisation du culte, et dissocient la fête des Azymes de la célébration pascale.
Le Deutéronome préexilique (Ur-Deuteronomum) hérite des traditions du Code de l’Alliance, qu’il réinterprète et développe : les insistances théologiques de cette nouvelle collection de lois portent sur la centralisation du culte sacrificiel (Dt 12,13-19), qui constitue une nouveauté importante, et sur l’interdiction de l’idolâtrie. Le Code deutéronomique (Dt 12–26) est la collection législative du Pentateuque où l’éthique « communautaire » occupe la place la plus grande. Ce texte établit un lien entre prescriptions cultuelles et prescriptions éthiques : la participation aux fêtes de pèlerinage implique la prise en considération des plus pauvres (Dt 16,9 s.).
Durant l’exil, le Code deutéronomique reçoit des compléments « deutéronomistes », qui répondent à la nouvelle situation politique et religieuse. La loi sur le roi (Dt 17,14-20) peut être considérée comme une addition exilique, du fait de son approche critique de la monarchie.
© Olivier Artus, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 156 (juin 2011), "Le Pentateuque, histoire et théologie", p. 44-45.