À sa manière, le Père Charles de Foucauld a anticipé le renouveau biblique du XXe siècle...

Le 1er décembre 2016, on a célébré le centenaire de la mort de Charles de Foucauld (1858-1916). La spiritualité qui se dégage de sa vie et de ses écrits a marqué l’Église, en particulier catholique, sous des formes très variées. Au fil de ses écrits et de sa correspondance se dégage un rapport personnel avec les Écritures saintes. À une époque troublée par les recherches critiques, sa lecture fréquente des Psaumes et des Évangiles, médités, priés, commentés, traduits, anticipe le renouveau biblique du XXe siècle.
Par Mgr Jean-Charles Thomas, ancien évêque de Corse et de Versailles, initiateur de La Bible expliquée (2004), rédacteur des sites http://thomasjch.com/ et http://thomasjch.one/

« Ma vie se poursuit dans un calme profond, le jour je travaille pendant qu’il fait clair, le matin et le soir et une partie de la nuit je lis et prie, [...] en m’éveillant... je médite par écrit sur les Saints Évangiles et les Psaumes » (Lettre à l’abbé Henri Huvelin, 16 janvier 1898). À partir des centaines de pages écrites par Charles de Foucauld nous pouvons dessiner son rapport à la Bible, plus précisément aux quatre évangiles (1).

Imiter Jésus

Il y cherche et y trouve prioritairement la personne de Jésus qu’il appelle son Bien-Aimé. Il en analyse le comportement et les enseignements pour imiter celui qui est devenu la Lumière de son existence.

« Jésus a dit, c’est sa première parole à ses apôtres, sa première parole à tous ceux qui ont soif de le connaître : "Venite et videte". Commencez par "venir" en me suivant, en m’imitant, en pratiquant mes enseignements, et ensuite vous "verrez", vous jouirez de la lumière, dans la même mesure que vous aurez pratiqué..."Venite et videte" : j’ai vu tellement par mon expérience la vérité de ces mots » (Lettre à Henri de Castries, 14 août 1901).

« La Passion, le Calvaire, c’est une suprême déclaration d’amour... C’est pour nous porter, nous tirer à l’aimer librement, parce que l’amour est le moyen le plus puissant d’attirer l’amour, parce que aimer est le moyen le plus puissant de se faire aimer... Puisqu’il nous a fait ainsi sa déclaration d’amour, imitons-le en lui faisant la nôtre » (La Bonté de Dieu, p. 194).

« Trouver le temps d’une lecture de quelques lignes des saints évangiles [...] Nous imprégner de l’esprit de Jésus en lisant et relisant, méditant et reméditant sans cesse ses paroles et ses exemples ; qu’ils fassent dans nos âmes comme la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle, toujours à la même place » (Lettre à Louis Massignon le 22 juillet 1914 en pensant aux membres del’Union dont celui-ci est le responsable).

« C’est selon l’Évangile de Jésus, selon les paroles de Jésus, les exemples de Jésus, les conseils de Jésus, les enseignements de Jésus que nous serons jugés » (L’Imitation du Bien-Aimé, p. 204). Charles de Foucauld expose ainsi l’essentiel de sa relation à la Bible. Elle n’est pas une bibliothèque à étudier mais un ensemble de textes conduisant à la personne de Jésus ; non pas d’abord pour en analyser la personnalité mais pour porter sur lui un regard d’amour ; non pas d’abord par fascination d’un personnage important de l’histoire passée mais pour actualiser le contact avec un homme Vivant devenu son contemporain. Un goutte à goutte quotidien, donnant du sens à chaque journée. Une conversation avec un ami connaissant si bien le cœur humain qu’il est sage de se mettre à son école pour avancer vers Dieu sur la route la plus sûre.

Foucauld ne ressent plus la distance entre le passé et le présent. L’oreille tendue, il semble écouter physiquement le Bien-Aimé. Il le voit, lui parle, se glissant parfois à tel point dans le tête-à-tête de Jésus avec son Père ou avec les humains qu’on ne sait plus si c’est lui qui parle ou Jésus. L’un des exemples les plus frappants de cette inclusion de Foucauld dans le cœur du Christ se trouve dans son commentaire de « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 24,36) : « Mon Père, je me remets entre Vos mains ; mon Père, je me confie à Vous ; mon Père, je m’abandonne à Vous ; mon Père, faites de moi ce qu’il Vous plaira ». Ce commentaire, diminué de ses répétitions, est devenu la célèbre prière d’abandon de Charles de Foucauld, inlassablement reprise par ceux qui s’en remettent au Père Universel pour vivre chaque journée.

À Nazareth

Toute personne habituée à lire la Bible et les pages écrites par des poètes ou des croyants, juifs ou chrétiens, historiens ou chercheurs, archéologues ou agnostiques, comprend à quel point Foucauld représente un rapport à la Bible complètement original et inimitable. Écouter quelques lignes des commentaires de Foucauld suffit pour identifier l’auteur.

Quand il noircit la majorité de ses cahiers de méditations sur la Bible, Charles de Foucauld habite une cabane de jardinier chez les Clarisses de Nazareth. Une joie intense l’anime. Il est libéré du regard porté par la société française sur le vicomte de Foucauld de Pontbriand, fils de famille aristocratique aisée, sur l’officier qui mena grand train de vie avant de démissionner de l’armée à 24 ans, sur le jeune explorateur du Maroc couronné de la plus haute distinction par la Société de Géographie à l’âge de 27 ans. Lui qui a retrouvé la foi un jour d’octobre 1886, dans sa 28e année, est devenu moine en France puis en Syrie, vivant pauvrement en proximité avec des musulmans plus pauvres que lui, chez lesquels il retrouvait ce qu’il avait découvert au Maroc, « la vue de cette foi, de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu [qui] m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines » (Lettre à Henri de Castries, 8 juillet 1901).

Foucauld est heureux de vivre en Terre Sainte, à Nazareth, le village de Joseph et de Marie. Il se conçoit comme membre de cette sainte famille : ses concitoyens sont les gens du pays, hier de religion juive, aujourd’hui de religion musulmane.

Il ne détache jamais les yeux de ce Jésus nazaréen, juif de Galilée, peu apprécié des autorités religieuses de son temps, scandalisé par la façon dont la religion officielle a déformé l’Alliance d’amour donnée par Dieu à son peuple, la réduisant à des pratiques sans âme. Son Jésus, son compatriote de Nazareth « a paru comme le dernier ouvrier… Je dois être aussi petit que mon maître, pour être avec lui, pour marcher derrière lui, pas à pas, en fidèle domestique, fidèle disciple... fidèle frère » (La dernière place, pp. 52-53) ; « Il n’a fait que descendre en s’incarnant, descendre en se faisant petit enfant, descendre en obéissant, descendre en se faisant... pauvre, délaissé, exilé, persécuté, supplicié, en se mettant toujours à la dernière place »(Voyageur dans la nuit, p. 208). Foucauld voit dans le comportement de Jésus à Nazareth non seulement la pauvreté ordinaire et courante, mais une recherche de l’abjection, de la dernière place.

Il écrit dans la chapelle, pour être certain de la proximité de Jésus, souvent pendant la nuit, en adoration devant le Saint Sacrement : « Tu es là, Seigneur Jésus... Que tu es près, mon Dieu ! mon Sauveur ! mon Jésus, mon frère, mon Époux, mon Bien-Aimé ! [...] C’est grande folie si nous croyons qu’il y a quelque chose de mieux pour sa gloire que d’aller à ses pieds... Aimons-Le le plus possible, c’est tout ce qu’il nous faut dans le temps et dans l’éternité... Quand on aime, ne trouve-t-on pas bien, parfaitement employé tout le temps passé près de ce qu’on aime ? » (La dernière place, pp. 81-83, écrit en 1897). Il conservera cette habitude. Plus tard, c’est dans la chapelle qu’il rédigera son dictionnaire monumental de la langue touarègue, les collections de poésies, dessinant comme un professionnel pour faire voir et toucher ce dont il parle. Devant l’hostie, comme plongé dans la présence du Christ.

Nazareth ! Foucauld l’a découvert physiquement dès sa conversion. Sur les conseils de l’abbé Huvelin, son conseiller spirituel – on disait alors « directeur de conscience » –, il est devenu pèlerin en Terre Sainte. De novembre 1888 à février 1889, il a mis ses pas dans les pas de Jésus, refaisant ses déplacements, évangiles en main, de Nazareth à Jérusalem, traversant la Samarie ou longeant le Jourdain. Toujours aussi concret, incarné, enraciné. Reconnaissant en Jésus la révélation et le sens de son existence, il reviendra dix ans plus tard à Nazareth et Jérusalem, passant l’essentiel de son temps à lire, méditer, prier l’Évangile. De façon concrète, affective, chaleureuse, il se fait contemporain du Christ. De 39 à 42 ans : nous sommes en 1897-1900.

Certains ne manqueront pas d’interpréter le rapport de Foucauld à la Bible comme une sorte de littéralisme, une abolition de la distance ineffaçable entre le texte biblique et celui qui le lit pour en comprendre le sens. À la racine de sa pratique nous trouvons ses années de moine trappiste, à Notre-Dame des Neiges (Ardèche) puis à Akbès, en Syrie (1890-1896). Il y a découvert la lectio divina, continue, silencieuse, personnelle, complétée par l’Office de nuit où sont lus d’amples passages des Pères de l’Église commentant eux-mêmes l’Écriture. Il a constaté la diversité entre les Pères. D’où sa décision de 1898 : « C’est pourquoi j’entreprends petitement et humblement cette lecture de la Bible, dans le désir de la lire d’un bout à l’autre uniquement en vue de Dieu, pour mieux le connaître, l’aimer et le servir... »(Petites remarques sur la Sainte Bible).

Traduire et commenter

À quelle source Charles puise-t-il sa lecture méditée ? La vieille Vulgate en latin. Il gardera l’habitude d’associer le tabernacle et la Bible en latin dans sa minuscule chapelle. Les deux Tables. Très certainement aussi une ou plusieurs traductions françaises. Mais pourquoi seulement le latin, lui qui a appris l’arabe, qui s’est fait passer pour rabbin et fut reçu dans les communautés juives du Maroc pratiquant l’hébreu, et que toute la science de son temps intéresse ? Pourquoi ne semble-t-il pas s’être intéressé aux travaux scientifiques de son époque ?

Probablement parce que ceux-ci touchaient l’ensemble de la Bible, en la considérant comme une bibliothèque à analyser et triturer selon des hypothèses scientifiques. Également parce que Foucauld se comporte en catholique fidèle à Rome. Or, à son époque, dans le prolongement du Concile de Trente (1545-1563), les Papes reconnaissent comme seul texte « authentique » celui de la Vulgate latine (c’est ce texte qui est à la base des traductions catholiques). Conscients des difficultés et des variations d’interprétation, ils réservent à des spécialistes le droit de la commenter. L’Église hiérarchique se reconnaît comme l’unique maîtresse chargée de transmettre la Bible aux fidèles. Cette attitude, maintenue fermement par opposition aux protestants, a continué jusqu’au Concile Vatican II. Les catéchismes fondaient la foi sur la « doctrine chrétienne » ou les « vérités à croire » et non pas prioritairement sur la personne de Jésus. La Bible était résumée dans des « histoires saintes ».

Sans le mentionner, Foucauld imite néanmoins Martin Luther qui avait traduit la Bible dans la langue du peuple, l’allemand, en 1534. Il apporte sa part à la diffusion de l’Évangile en le traduisant en langue touarègue ou tamacheq (2). Il rédige également un catéchisme au titre étonnant (pour nous) : L’Évangile présenté aux pauvres nègres du Sahara (environ 80 pages, qu’il préface de ces lignes : « Cœur sacré de Jésus, Votre indigne serviteur Vous offre ce pauvre travail, destiné à Vos enfants. Faites tomber sur eux Vos rayons. Ne les laissez pas dans l’ombre de la mort. À Beni Abbès, 1903 ». Chaque leçon s’appuie sur de longues citations des évangiles ; elle commence et se termine par la phrase « Mon Dieu, faites que tous les humains aillent au ciel ». La visée est clairement positive. Désirant crier l’Évangile aux plus pauvres, il s’en donne les moyens, même si personne ne les utilise !

Autre élément éclairant l’environnement intellectuel de Charles de Foucauld : son rapport à la science biblique, à commencer par les traductions qui se multiplient. En 1880, le protestant genevois Louis Segond fait paraître une belle version. Celle de John Nelson Darby en 1885 est beaucoup plus littérale. En 1906, la Bible hébraïque est traduite par une équipe dirigée par le grand rabbin Zadoc Kahn. Et puis, il y a la Sainte Bible du chanoine Crampon (1826-1894). Mgr Charles Guérin, préfet apostolique de Ghardaïa, en parle à Foucauld qui s’y intéresse et commande la version en sept volumes.

Lecture critique, lecture croyante

Outre les traductions, il y a, au XIXe siècle, le développement de la critique biblique (3). L’époque est marquée d’un côté par le rationalisme et, de l’autre, par les résistances tant de la hiérarchie catholique que du fondamentalisme protestant. Pourtant des historiens, des théologiens, des biblistes de toutes confessions ont cherché à conjuguer foi, spiritualité et exigence scientifique. On doit citer ici le protestant Adolf von Harnack dont la traduction française de l’Essence du christianisme paraît en 1902. Par-delà la « gangue » de la culture grecque, il voulait retrouver le message de l’Évangile, pour lui essentiellement moral. Alfred Loisy l’a discuté dans L’Évangile et l’Église (1902). Mais chez l’un et l’autre, il y a un même mouvement de fond. « Ce mélange de savoir étendu et de ferveur profonde, d’exigence intellectuelle et d’engagement existentiel correspond bien aux aspirations de cette époque. Refuser des alternatives ruineuses, allier la foi et la science, conjuguer une critique du texte biblique avec une lecture croyante, voilà l’idéal que le protestantisme libéral n’a jamais cessé de poursuivre, refusant aussi bien l’obscurantisme que l’irréligion. Sur ce point, on peut penser qu’Harnack a fasciné ses auditeurs et ses lecteurs » (André Gounelle). À Jérusalem, l’École biblique, fondée en 1888 par le dominicain Marie-Joseph Lagrange, tentait alors d’allier histoire, archéologie et foi. À ces études et initiatives, il faut ajouter une autre dimension, plus intérieure. En 1893, dans l’encyclique Providentissimus Deus, Léon XIII avait loué ceux qui puisaient dans la Sainte Écriture le meilleur de leur nourriture spirituelle – et de cela le frère Charles est un témoin éminent.

Il s’est éloigné de la foi à partir de quinze ans, notamment à cause de ses lectures où la religion était souvent ridiculisée ou suspectée. Le climat culturel de l’époque est au scientisme et au laïcisme. L’anticléricalisme enfle. Engagé dans l’armée de 1876 à 1882, entièrement consacré à son exploration du Maroc de 1882 à avril 1885 où il reçoit la médaille d’or de la Société de géographie, on l’imagine mal se passionnant pour les débats sur la Bible qui agitent une petite partie des intellectuels français.

Lorsqu’il redécouvre la foi, en octobre 1886, il a 28 ans. Toute son énergie se concentre sur le cœur du christianisme, la personne de Jésus, révélateur de l’Unique Dieu. L’abbé Henri Huvelin (1830-1910) lui a conseillé de mettre ses pas dans ceux du Christ. Fort cultivé, agrégé de philosophie, de grec et de lettres, ancien élève de l’École normale supérieure, apprécié par Charles qui le choisit comme conseiller spirituel, l’abbé ne semble pas avoir été mêlé aux débats bibliques alors en cours.

Foucauld, loyalement fidèle à Rome, respecte les principes catholiques de l’époque : attachement à la Vulgate latine comme texte « authentique », utilisation exclusive de Bibles traduites par des catholiques, de préférence assorties de citations des Pères de l’Église, méfiance vis à vis d’une lecture personnelle de l’Ancien Testament susceptible d’interprétations déviantes. Il n’est cependant pas totalement étranger aux études bibliques de son temps. Dès sa conversion, il se procure quelques ouvrages savants : tout d’abord La vie de N.-S. Jésus-Christ de l’abbé C. Fouard (1880), puis La religion primitive d’Israël de M. V.-G. Roux (1872), plusieurs livres de F. Vigouroux : La Bible et les découvertes modernes (1885), Manuel biblique (1890), Le Nouveau Testament et les découvertes archéologiques modernes (1896), une Étude sur les religions sémitiques par M.-J. Lagrange (1903) etc. Mais, rappelons-le, il poursuivait une visée personnelle quand il abordait la Bible : connaître et imiter le Seigneur Jésus, convertir sa façon d’être pour vivre en sa présence. Son travail intitulé Le Modèle Unique nous en persuade (4).

La lecture fréquente des Écritures

À l’occasion d’une commémoration œcuménique des 500 ans de la Réforme protestante, le pape François s’est rendu en Suède à la fin du mois d’octobre 2016. Dans un entretien préalable accordé à La Civiltà cattolica (28 octobre 2016), il exprime deux convictions que Foucauld a partagées et que l’Église catholique pourrait apprendre de la tradition luthérienne : la capacité de « réforme », qui est « fondamentale car l’Église est semper reformanda », et la proximité avec l’Écriture : « Luther a fait un grand pas pour mettre la Parole de Dieu dans les mains du peuple ». Le pape ajoute : « La proximité fait du bien à tous. La distance au contraire nous rend malades. […] Nous aussi, chrétiens, nous nous rendons malades de divisions ». Le retour à l’Évangile peut seul redonner du souffle aux chrétiens et susciter les indispensables renouveaux.

Foucauld l’a clairement vécu et encouragé depuis plus de cent ans. Le concile Vatican II a largement confirmé cette orientation comme perspective catholique remplaçant celle de la fin du xixe siècle. La constitution conciliaire Dei Verbum n° 25 (1965) proclame : « Le saint Concile exhorte avec force et de façon spéciale tous les chrétiens […] à acquérir par la lecture fréquente des divines Écritures "une science éminente de Jésus-Christ" (Ph 3,8). […] Qu´ils approchent donc de tout leur cœur le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie, qui est remplie des paroles divines, soit par une pieuse lecture, soit par des cours faits pour cela ou par d’autres méthodes qui […] se répandent de manière louable partout de notre temps. Mais la prière – qu’on se le rappelle – doit accompagner la lecture de la Sainte Écriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme, car "c’est à lui que nous nous adressons quand nous prions ; c’est lui que nous écoutons, quand nous lisons les oracles divins" (Saint Ambroise) ».

Anticipateur sur ce point comme sur plusieurs autres, Foucauld donnait les mêmes conseils depuis 1908 dans le Directoire qu’il destinait à l’Union, son rêve, sorte de réseau constitué de chrétiens conscients d’être tous appelés à devenir des évangiles vivants, des annonciateurs de l’Évangile de l’Amour, quel que soit leur statut, marié ou non, ordonnés ou non, à l’image du couple Priscille et Aquilas. « Ces chrétiens [sont invités à] être une prédication vivante : chacun d’eux doit être un modèle de vie évangélique ; en les voyant, on doit voir ce qu’est la vie chrétienne, ce qu’est la religion chrétienne, ce qu’est l’Évangile, ce qu’est Jésus. […] Ils doivent être un Évangile vivant : les personnes éloignées de Jésus doivent, sans livres et sans paroles, connaître l’Évangile par la vue de leur vie » (Directoire, article 28, n°6). Cent ans après sa mort, Charles de Foucauld dit encore aux chrétiens, et à chacun d’eux : « en vous voyant, les personnes éloignées de Jésus doivent voir ce qu’est Jésus… Celui qui passait en faisant le bien » (5).

Impossible de conclure sans s’étonner de la résistance dont font preuve, encore aujourd’hui, de nombreux catholiques face aux évolutions et aux conseils les plus judicieux concernant leur rapport à la Bible, à la méditation des Évangiles, et à la préférence radicale pour la Révélation biblique comme fondement de conversion quotidienne, de foi et d’évangélisation (6).

 

© Jean-Charles Thomas, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 180 (juin 2017), « Les quatre livres d’Esdras », p. 55-62.

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Notes

(1) Charles de Foucauld écrivit des méditations à base biblique jusqu’au terme de sa vie, mais l’essentiel avant 1901 et son ordination sacerdotale. L’ouvrage L’Esprit de Jésus (2005), pp. 11-39 et 46-51, introduit avec bonheur à ses Méditations et Explications de l’Évangile (1896-1915). Les éditions Nouvelle Cité ont publié 17 volumes de ses écrits auxquels s’ajoutent les correspondances entretenues avec des proches, amis d’enfance, de lycée, de jeunesse ou de famille. Pour découvrir comment Foucauld lisait la Bible et notamment les Évangiles, prendre les titres suivants : Aux plus petits de mes frères (1974), Qui peut résister à Dieu (1980), Commentaire de saint Matthieu (1989), La Bonté de Dieu (1996), L’Imitation du Bien-Aimé (1997), En vue de Dieu seul (1999), Méditations sur les Psaumes (2002), Crier l’Évangile (2004), Petit frère de Jésus (2003), L’Esprit de Jésus (2005).

(2) Charles de Foucauld demeure le spécialiste de cette langue à laquelle il consacra une grande partie de son temps à partir de 1905. Il est l’auteur du Dictionnaire touareg-français (4 volumes), d’une collection de Poésies touarègues et Proverbes (six mille vers, deux tomes), d’un Dictionnaire abrégé touareg-français des noms propres, etc.

(3) Sur la critique biblique, voir Anne-Marie Pelletier, « Exégèse moderne et contemporaine » dans Collectif, Le Grand Livre de la Théologie, Éd. Eyrolles, 2014, surtout pp. 83-89 ; Gérard Billon, « Héritage et ruptures en milieu catholique » et Élisabeth Parmentier, « Héritage et ruptures en milieu protestant » dans « Lire La Bible aujourd’hui. Quels enjeux pour les Églises ? », Cahiers Évangile n° 141, 2007, pp. 36-63. Sur les grandes traductions du xixe siècle, voir Gérard Billon, Jacques Nieuviarts, « Traduire la Bible en français », Cahiers Évangile n° 157, 2011, pp. 26-33.

(4) Composéà Nazareth en 1898-1899, autographe remis à l’abbé Huvelin le 20 avril 1906, publié au Caire en 1917. Texte intégral accessible sur le site http://thomasjch.com/modele.html

(5) Ainsi concluait Pierre Sourisseau dans une conférence donnée le 1er décembre 2015 à l’église Saint-Augustin (Paris) http://centenaire.charlesdefoucauld.org/Paris-90 (consulté le 21/04/2017). Il vient de publier une monumentale biographie : Charles de Foucauld, Éd. Salvator, 2016. Voir aussi Maurice Bouvier, Le Christ de Charles de Foucauld, « Jésus et Jésus-Christ » n° 89, Desclée-Mame, 2004.

(6) Pour mesurer à quel point Charles de Foucauld est un anticipateur, consulter les neuf thèmes de réflexion qui lui sont consacrés sur le site http://thomasjch.com/foucauld.html